Intervention de Martine Martinel

Réunion du 24 octobre 2012 à 10h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMartine Martinel, rapporteure pour avis :

Je n'aborderai que deux des thèmes abordés dans le rapport, lesquels sont au coeur de l'actualité : d'une part, France Télévisions et, d'autre part, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).

France Télévisions fait face à une dégradation extrêmement brutale de sa situation financière. Je ne m'appesantirai pas sur la suppression de la publicité, la création de l'entreprise unique, qui a été selon moi une erreur, ou encore la remise en cause systématique des engagements pris par l'État. Le groupe se trouve aujourd'hui dans une situation d'instabilité stratégique et financière incompatible avec la gestion sereine d'une entreprise.

Cependant, je regrette également de constater que le groupe n'a pas totalement joué le jeu et a manqué à certains engagements pris dans le cadre du contrat d'objectifs et de moyens (COM) en matière d'amélioration de la gestion. Les économies décidées dans l'urgence en 2012 portent malheureusement essentiellement sur les programmes. Parallèlement, les effectifs ont augmenté en 2011, et même en 2012. En outre, les deux plans de départ volontaires auront coûté 58 millions d'euros, sans impact sur les effectifs, faute de pilotage par le groupe…

Pour sortir de cette situation, il faut, me semble-t-il, stabiliser tant les missions que le modèle économique du service public. Je pense qu'une réflexion ambitieuse sur le rôle et le périmètre du service public doit précéder la définition des moyens.

Près de trente ans après la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, le service public vit une véritable crise d'identité. L'État ne sait pas toujours ce qu'il en attend. Il multiplie ses missions en lui demandant des économies. Il lui demande de se défaire de l'audimat tout en fédérant le public le plus large. Les chaînes se sont ajouté les unes aux autres sans réflexion préalable. Les programmes jeunesse sont ainsi éparpillés sur quatre chaînes. Deux chaînes, France 4 et France Ô, s'adressent aux jeunes adultes et les lignes éditoriales de France 2 et France 3 n'apparaissent pas suffisamment distinctes.

Plus globalement, on peut s'interroger sur le rôle du service public dans la révolution médiatique que nous vivons actuellement. N'y a-t-il pas des thématiques qu'il devrait traiter de manière plus systématique, comme le développement durable, l'économie, l'Europe ? L'information étant l'une des missions pour lesquelles il a une légitimité plus forte que jamais, faut-il définitivement abandonner l'idée d'une chaîne spécifiquement dédiée à l'information ? Et quelle doit être la place des programmes de proximité dans cet ensemble, alors que tous les autres médias locaux sont actuellement en crise ?

Une fois les missions redéfinies et les besoins estimés, se pose la question, fondamentale, de la nature des ressources : redevance, budget de l'État, ou ressources propres ?

À mon sens, la priorité serait de faire disparaître la dotation budgétaire qui s'avère la ressource la moins fiable qui soit.

La redevance est évidemment le mode naturel de financement du service public et son augmentation se fera d'autant plus facilement que les missions du service public auront été clairement définies. Si l'on peut regretter que l'application d'une demi-redevance aux résidences secondaire n'ait pas lieu dans le cadre du présent projet de loi de finances, une réflexion sur la redevance demeure incontournable pour les prochaines échéances.

Je suis également favorable à ce qu'une réflexion soit ouverte sur la relation entre les producteurs et le diffuseur qu'est France Télévisions. Premièrement, la contribution du groupe au financement de la création doit être proportionnée à ses moyens. Deuxièmement, vous n'êtes pas sans savoir que le groupe ne dispose d'aucun droit de propriété sur les oeuvres qu'il finance. Ainsi, il doit racheter les droits des programmes qu'il a déjà financés pour pouvoir les reprogrammer. Je donnerai un exemple fameux : le feuilleton « Plus belle la vie » a été racheté deux fois et le contribuable a donc payé deux fois ! La redevance britannique est certes plus élevée que la nôtre, mais elle finance la production de programmes qui permettent ensuite de dégager d'importantes ressources commerciales, lesquelles représentent plus de 20 % des ressources de la BBC, alors que France Télévisions Distribution est encore en déficit cette année.

Par ailleurs, il serait dommage de considérer que la question de la place de la publicité sur le service public est close. La situation actuelle, qui résulte des choix du précédent gouvernement, n'est pas dépourvue d'ambiguïté, voire d'hypocrisie. C'est une logique absurde du tout ou rien. Ce qui est acceptable avant 20 heures précises, ne le serait plus du tout après. Et après 20 heures, vaut-il mieux un volume de publicité contingenté ou, ce que nous avons actuellement, un tunnel de programmes courts parrainés, sans aucun intérêt pour le téléspectateur ? D'autant que les arguments de France Télévisions pour demander l'autorisation de retarder le début des programmes de première partie de soirée sont convaincants. Enfin, est-il logique qu'il n'y ait pas de publicité avant et après certains programmes extrêmement commerciaux de divertissement après 20 heures et de la publicité dans d'autres programmes, tels que les programmes destinés aux enfants ? Toutes ces questions méritent d'être posées. Je n'y apporte pas de réponse mais il est important de les poser avant la grande loi sur l'audiovisuel qui nous est annoncée.

En ce qui concerne le CSA, j'avais été troublée, comme beaucoup d'entre vous je suppose, par la précipitation qui a présidé au lancement de six nouvelles chaînes gratuites en haute définition sur la télévision numérique terrestre (TNT). J'ai également été assez choquée, de la décision concomitante de « dénumérotation » des chaînes locales, dont n'ont pas dû manquer de vous alerter les acteurs des chaînes locales dans vos circonscriptions. C'est pourquoi, dans le cadre de la réflexion sur l'avenir du CSA, je me suis intéressée à sa politique en matière d'élaboration du paysage audiovisuel hertzien.

Le président du CSA, Michel Boyon, dans son rapport d'août 2011 sur la TNT, regrettait que la dimension économique du secteur audiovisuel ait trop longtemps été sous-estimée, voire ignorée. C'est en effet le principal reproche qui est fait au CSA par les nombreux acteurs que j'ai auditionnés. Mais, au-delà, les auditions ont mis en évidence un certain nombre de zones d'ombre dans l'action du CSA.

Décision « baroque », « politique », « incompréhensible », « catastrophe », « connerie noire »… les interlocuteurs ont fait preuve d'une grande richesse lexicale pour qualifier le lancement des six nouvelles chaînes. À l'issue des auditions, il me semble que cette décision est aussi contestable sur le fond que sur la forme.

Sans pour autant être facétieuse ou malicieuse, je relèverai que les meilleurs arguments contre ce lancement se trouvent dans le rapport de Michel Boyon de 2011, lequel souligne l'absence d'élasticité du marché publicitaire et le fait qu'on ne peut donc que redouter les conséquences d'un élargissement de la TNT sur la fragmentation des audiences, le marché publicitaire et le financement de la création.

Si cette décision n'est pas pertinente du point de vue économique, on aurait pu penser que le CSA s'était appuyé sur l'intérêt du public. Or, un sondage publié en 2011 avait très clairement montré que les Français appréciaient la TNT mais n'en demandaient pas davantage.

Sur la forme, le CSA n'a pas lancé la consultation préalable qu'il devait lancer en application de la loi. On peut donc légitimement s'interroger sur ce qui a motivé la précipitation, à la limite de la légalité, avec laquelle le CSA a pris une décision peu opportune pour l'ensemble du secteur.

En ce qui concerne les chaînes retenues, j'exprime, dans le rapport, mes interrogations, partagées par M. Hervé Bourges, spécialiste entre autres des questions de diversité, sur la ligne éditoriale de « TVous la diversité ». Interrogé sur ce qu'est la thématique de la chaîne, son créateur cite pêle-mêle les minorités visibles, les femmes, les homosexuels, les handicapés mais aussi les familles recomposées, les familles monoparentales… Comme je l'écris dans mon rapport, seuls les hommes blancs, bien portants et hétérosexuels ne sont pas ciblés. Le CSA s'était pourtant exprimé assez clairement en son temps contre la création de chaînes ghettos.

En ce qui concerne la TNT gratuite nationale, si le bilan est positif en termes d'audience, il est très décevant en termes de qualité des contenus, de financement de la création et de diversité des acteurs.

Venons-en aux télévisions locales. Quarante-trois chaînes sont à ce jour autorisées par le CSA qui dit mener une action très volontariste depuis trois ans avec la création de trente chaînes locales tout en reconnaissant que leur viabilité économique, comme nous le savons tous, est loin d'être garantie. Les mesures en direction de ces chaînes ont été quasi inexistantes ces dernières années. Elles se limitent à la commande d'une étude sur leurs perspectives de développement, suivie d'une consultation publique. Alors que cette consultation avait souligné le caractère absolument stratégique de la numérotation, la seule mesure qui est intervenue depuis est la « dénumérotation » des chaînes, décidée sans concertation préalable par le CSA pour faire de la place aux six nouvelles chaînes qui n'en avaient même pas demandé autant. Je montre par ailleurs dans mon rapport que le contrôle du CSA sur les télévisions locales est quasi-inexistant. Aucun bilan annuel n'est publié. C'est d'autant plus regrettable que ces télévisions locales sont très demandeuses d'une clarification et d'une sécurisation de leur financement en provenance des collectivités locales.

Deux projets d'avenir sont par ailleurs aujourd'hui en échec. Il s'agit tout d'abord de la TNT payante. Pour les observateurs, telle qu'elle a été lancée, elle ne pouvait pas fonctionner. Là encore, on peut s'étonner de l'absence d'étude d'impact préalable, le CSA ayant, comme pour les télévisions locales, principalement justifié ses diverses tentatives de « relance » de la TNT payante par le succès qu'elle rencontre dans d'autres pays. La dernière relance a été tentée en 2011 : le CSA a sélectionné CFoot, qui a cessé sa diffusion moins d'un an après, et un projet de vidéo à la demande qui n'a toujours pas démarré. Comme le reconnaît Michel Boyon, la question de l'avenir de la TNT payante et des fréquences qu'elle occupe est donc posée.

Quant à la télévision mobile personnelle, c'est un projet mort-né, faute de modèle économique. Je me suis aperçue que le CSA, qui a très peu communiqué sur le sujet, a même repris les fréquences attribuées en 2008. Là encore, se pose la question de leur utilisation.

S'agissant du paysage radiophonique FM, plusieurs acteurs estiment que les plafonds de concentration fixés par la loi du 30 septembre 1986 ont été dépassés par certains groupes J'ai donc demandé les chiffres au CSA, qui a refusé de les transmettre, estimant qu'il n'en avait pas l'obligation, alors qu'il est tenu de rendre compte annuellement de l'application de la loi de 1986. Le CSA a toutefois jugé souhaitable que le législateur réfléchisse à la pertinence du plafond, ce qui est un peu paradoxal. Mais le législateur a néanmoins besoin de chiffres pour mener cette réflexion. La direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), comme M. Marc Tessier dans son rapport de 2010 sur la radio, estime elle aussi ne pas être en mesure d'évaluer la pertinence du plafond, tant que le CSA refuse de communiquer les chiffres. J'estime que ce silence nuit à la transparence et fait obstacle au travail du législateur.

Enfin, la radio numérique terrestre (RNT) est lancée dans des conditions qui ne sauraient garantir sa réussite. Compte tenu des incertitudes très fortes sur le modèle économique, relancer la RNT en France exige un travail rigoureux, mené dans la concertation avec l'ensemble des acteurs, et non un redémarrage à marche forcée.

À la lumière de ce bilan, je propose que les compétences économiques du CSA soient renforcées, le recours à des études d'impact et à des analyses économiques et financières systématisé. Je souhaite également que des obligations de transparence accrues soient imposées au régulateur et que le contrôle du Parlement soit renforcé, tant en amont, par la nomination des membres, qu'en aval. À cet égard je propose la présentation obligatoire du rapport annuel d'activité du Conseil avec audition de son président, devant les commissions des affaires culturelles de l'Assemblée nationale et du Sénat. En ce qui concerne la nomination des membres, la possibilité de prolonger les trois mandats qui arrivent à échéance en janvier prochain a été évoquée. Pour ma part et sans polémique, j'estime qu'il serait préférable de nommer trois nouveaux membres « par intérim ».

Je souhaite également que l'on réfléchisse à un moyen d'encadrer la revente spéculative de fréquences. Le CSA a négocié avec les nouvelles chaînes une interdiction de revente limitée à deux ans et demi. Ce système ne résout pas le problème, et si l'on ne peut plus traiter le cas « Bolloré », il est à peu près certain que d'autres cas du même type se présenteront à l'avenir.

On peut également s'interroger sur l'opportunité de maintenir une obligation d'attribution des fréquences disponibles. Cette obligation semble pouvoir être assouplie dans un souci de bonne gestion du spectre.

En ce qui concerne le rapprochement avec l'autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), il doit être mis au service d'objectifs précis.

Le CSA ne fait pas mystère de sa volonté d'étendre son contrôle à internet, en agitant le spectre de la télévision connectée, dont l'impact ne doit à ce stade pas être exagéré. Si tel est l'objectif, je ne saurais y souscrire. L'ARCEP met en avant l'opportunité de remettre totalement en cause les principes de la régulation de l'audiovisuel. Si tel est l'objectif, je n'y suis pas favorable non plus.

Je pense que la régulation du secteur audiovisuel doit être certes améliorée, mais maintenue dans ses principes. De ce fait, aller au-delà d'une meilleure coordination du CSA et de l'ARCEP – par la création, par exemple, d'une instance commune aux collèges des deux institutions – n'apparaît pas forcément nécessaire, en tout cas pour le moment. En tout état de cause, le maintien de deux collèges distincts apparaît indispensable, pour l'instant.

J'émets un avis favorable à l'adoption des crédits de l'audiovisuel public.

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