J'espère ne pas être condamné à parler éternellement de la crise de la presse car j'espère que nous trouverons ensemble un certain nombre de solutions à cette crise. Lorsque je pense à la crise de la presse me vient à l'esprit la formule d'Antonio Gramsci : « l'ancien monde n'arrive pas à mourir tandis que le nouveau n'arrive pas à naître ». Quant à la réponse qui est apportée depuis dix, voire quinze ans, elle correspond à une formule d'Edgar Faure : « l'immobilisme est en marche et rien ne l'arrêtera ! »
Il va maintenant falloir bouger les lignes. Les aides à la presse n'ont privilégié aucun investissement d'avenir depuis quinze ans. Nous nous attachons à maintenir un modèle ancien, qui n'a fait qu'accentuer les injustices. Il me semble que la question que nous devons nous poser aujourd'hui est : comment accompagner la transition en évitant la rupture ? Car la presse en ligne va remettre en cause les outils de production, les outils de distribution. Elle déstabilise les modèles économiques. Elle va ébranler les choix éditoriaux. Une refondation de tout l'écosystème s'impose donc.
Rappelons que la presse française est la presse la plus aidée, à hauteur de près d'1,2 milliard d'euros par an, pour un peu plus de 10 milliards de chiffres d'affaires. Les aides à la presse représentent donc environ 11 % de son chiffre d'affaires. On serait ravi de constater que cet effort favorise le développement du pluralisme. Hélas, on doit constater qu'à l'issue des États généraux de la presse écrite, France Soir a perçu de l'État une aide correspondant à cinquante centimes d'euros par exemplaire vendu, pour un prix de vente de cinquante centimes d'euros, alors que tout le monde savait que France Soir allait mourir ! On a imploré les banques de financer le groupe Hersant Média, dont on savait qu'il allait mourir. On pourrait également parler de La Tribune et de toute une forme de presse régionale qui est aujourd'hui en grande difficulté.
Tous ces problèmes n'ont pu être réglés cette année car il y avait une urgence : le sauvetage de Presstalis. Un héritage difficile nous avait été légué puisque le groupe de distribution de la presse était en situation de faillite.
À ce sujet, se pose aujourd'hui la question de l'avenir du système coopératif. Ce système, né en 1945, était fondé sur l'idée selon laquelle la presse – presse d'information, presse récréative, presse quotidienne, presse magazine – était une et indivisible. Le système reposait sur la solidarité des plus forts envers les plus faibles, tous les journaux étant distribués dans tous les points de vente du pays. C'est à ce titre que les plus forts ont bénéficié des aides à la presse.
Au moment où Presstalis a commencé à connaître des difficultés, elle a été confrontée à une concurrence croissante et déloyale des Messageries lyonnaises de presse (MLP) sur ses activités les plus rentables, à savoir la distribution des magazines, tout en gardant le segment de la distribution qui est déficitaire, à savoir celui des quotidiens. Les MLP ont capté une part croissante des clients de Presstalis en appliquant une politique de prix très agressive, sur laquelle Presstalis a été obligée de s'aligner, au risque de creuser son déficit d'exploitation. On savait cela mais on a laissé faire.
On peut se demander aujourd'hui si ces deux coopératives peuvent encore coexister. La ministre de la culture et de la communication a formulé des propositions qui me semblent intéressantes dans un premier temps, à savoir une coopération renforcée et une mutualisation croissante des moyens. Pour ma part, je pense que nous ne pourrons pas sauver le système coopératif sans aller vers une fusion. Les MLP doivent, en tout état de cause, participer à la prise en charge des surcoûts qui résultent de la distribution des quotidiens. C'est la raison pour laquelle on est en train de mettre en place une péréquation de ces coûts entre les deux messageries.
Le 13 septembre dernier, le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP), organe professionnel de la distribution de la presse, a décidé la mise en place d'une péréquation, qui représente une contribution de l'ordre de 8 millions d'euros des MLP. L'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP) a rendu cette décision exécutoire le 3 octobre 2012 mais les MLP ont déposé un recours auprès de la Cour d'appel de Paris, ce qui en dit long sur leur volonté de participer au sauvetage du système coopératif…
Si certains éditeurs confirment leur volonté de sortir du système coopératif, de reprendre leur liberté et de se considérer comme des entreprises comme les autres, il va de soi que rien ne justifiera plus qu'ils bénéficient d'aides à la presse, en particulier les aides au transport postal et le taux super réduit de TVA. Cela permettrait alors à l'État de prendre ses responsabilités dans la distribution de la presse d'information politique et générale et d'appliquer un taux super-réduit de TVA à la presse citoyenne en ligne.
On me dit que les salariés de Presstalis sont trop payés, que ceux des MLP ne le sont pas assez. Si l'on m'interroge sur le statut particulier des salariés de Presstalis, je rappellerai que ce statut a été souhaité par le groupe Hersant qui y voyait un intérêt pour concurrencer d'autres groupes de presse.
S'agissant des dépositaires, niveau deux de la distribution de la presse, leur restructuration implique que leur nombre passe de 137 à 99 mais on ignore qui va racheter les dépôts de Presstalis car il n'est pas certain que les dépositaires indépendants et les MLP en aient les moyens.
S'agissant de la TVA sur la presse en ligne, on ne peut plus maintenir un système dans lequel le magazine Gala bénéficie d'un taux super-réduit de TVA de 2,1 % tandis que les sites internet des journaux citoyens sont taxés à 19,6 %.
La régulation de la distribution de la presse doit également être améliorée. Le compromis, issu de la loi du 20 juillet 2011, est un attelage aussi inutilement complexe qu'inefficace : le CSMP, composé de professionnels, est « flanqué » d'une deuxième instance, l'ARDP, qui doit valider ses décisions. Tout cela parce que les éditeurs de presse avaient refusé le principe d'une régulation de la distribution par une autorité extérieure… J'espère que nous saurons faire, au cours de cette législature, la réforme que nous n'avons pas su faire au cours de la précédente.
Je voudrais également insister sur la nécessité de rationaliser les aides à la distribution. Peut-on raisonnablement continuer à aider simultanément le transport postal, le portage et la vente au numéro, trois modes de distribution qui se concurrencent, pour constater in fine que la diffusion de la presse dans son ensemble ne cesse de reculer ?
En continuant d'aider massivement le transport postal, on n'incite pas les éditeurs à basculer vers le portage, alors qu'il constitue une solution beaucoup plus adaptée pour la presse quotidienne. Et lorsque l'on accroît les aides au transport postal et au portage, on pénalise la vente au numéro, au détriment des diffuseurs, les grands oubliés du système de distribution de la presse, dont la situation ne cesse de se dégrader.
Je souligne également que nous avons perdu 30 % de journalistes en trente ans. Est-ce là le signe d'une presse en bonne santé ? Si les journalistes sont la variable d'ajustement d'une presse en difficulté, il ne faut peut-être pas s'étonner que la qualité et le lecteur ne soient pas au rendez-vous.
Je pense donc qu'il faudra cibler les aides sur la presse citoyenne, même si je suis d'accord pour reconnaître qu'elle n'est pas toujours vertueuse. On remarquera aussi qu'il y a presse en ligne et presse en ligne et qu'un effort de ciblage sera nécessaire. Quoi qu'il en soit, si la presse se fait sans journalistes, elle sera court-circuitée par les blogs et les réseaux sociaux.
En ce qui concerne les diffuseurs de presse, acteurs essentiels de l'aménagement du territoire, ils sont aujourd'hui les grands oubliés du système d'aides à la presse. Il y a en France un point de vente pour 2 000 habitants, contre un point de vente pour 1 000 ou 1 500 habitants dans la plupart des autres pays européens. On peut relever que l'aide à la modernisation des diffuseurs de presse s'établit à 4 millions d'euros alors que le journal Télé 7 jours bénéficie à lui tout seul d'aides de l'État pour un montant de 7,2 millions d'euros.
Enfin, l'opération « Mon Journal offert », qui m'avait semblé une bonne idée lors de son lancement, n'est pas reconduite par le présent projet de loi de finances. J'avais jugé indispensable qu'elle soit évaluée, ce qui est chose faite. Il en ressort que, telle qu'elle a été mise en oeuvre, cette aide pose un certain nombre de problèmes, notamment de répartition de son coût entre l'État et les éditeurs. L'espérance d'abonnement payant, à la fin de chaque opération, serait de l'ordre de 5 à 8 % des jeunes ayant reçu gratuitement le journal. Or, les études diligentées régulièrement par le ministère de la culture et de la communication montrent que pour la génération actuelle, le taux de lecture de la presse spontané est de l'ordre de 9 %. On n'est pas certain qu'il n'y ait pas des effets d'aubaine, l'abonnement profitant par exemple aux parents. Cette opération doit donc être repensée.
En conclusion, la priorité est de sauver la presse citoyenne et de bâtir l'écosystème qui lui permette de se développer en ligne. En matière d'aides à la presse, la justice exige des aides inégalitaires.
J'émets un avis favorable à l'adoption des crédits de la presse.