Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, comme dit l’un des célèbres proverbes bantous inventés par Alexandre Vialatte, « il n’y a pas de bas morceaux dans le gros ethnographe ». C’est sans doute une manière de dire qu’il faut savoir se contenter de ce que l’on a, ce qui tombe bien en cette période de Noël !
J’adopterai, au moins pour la première partie de mon intervention, un ton un peu dissonant par rapport aux interventions précédentes pour adresser au texte quelques critiques de forme et de fond qui me paraissent en affaiblir considérablement la portée. Certes, je partage ce qu’ont dit mes collègues de manière unanime. Il est bon, dans un débat comme celui-ci, de rappeler l’engagement des élus locaux, leur sens du service, leur sacerdoce – selon le mot de Mme le ministre –, mais aussi tous les moyens et protections qui leur manquent aujourd’hui pour exercer correctement leurs fonctions et que le texte tente de leur apporter.
Cela dit, il me semble qu’un certain nombre de problèmes de forme et de fond restent à traiter.
Premièrement, l’article 1er, dont nous discuterons dans quelques instants et qui porte sur les questions de la compromission, de l’indépendance, de l’objectivité, de l’impartialité, inscrit dans le code pénal – ce qui est tout sauf anodin, si tant est qu’inscrire un texte dans quelque code que ce soit fût anodin – des éléments dont je défie n’importe quel magistrat de prouver la matérialité. Cela pose problème, car si nous sommes ici en train de créer la norme juridique, n’importe qui sera susceptible de saisir une instance judiciaire pour faire constater une infraction à la loi que nous aurons écrite. Aussi la formulation actuelle mérite-t-elle largement d’être reprise. Tel est l’objet d’un amendement que je défendrai.
Deuxièmement, la charte des élus, dont je comprends et même approuve l’intention, présente sous cette forme et avec ce contenu un caractère normatif dont je doute beaucoup. Notre collègue Olivier Dussopt se rappelle sans doute avoir repoussé l’un de nos amendements lors du débat sur les métropoles la semaine dernière au motif qu’il n’était pas normatif. Je me réjouis d’une telle précision dans le cadre de l’étude d’un texte de la commission des lois et le renvoie ici à son propre argument – en souriant et pas davantage. Quelle est l’opposabilité de la charte des élus ? Quelle est la portée des imprécisions qu’elle comporte ? De quelle faiblesse est-elle grevée en raison de ses propres répétitions ? Un texte symbolique – mais le droit ne l’est-il pas toujours ? – inscrit dans le code général des collectivités locales est-il si peu important qu’on se contente de lui donner une portée normative quasi nulle ?C’est une question de principe que je souhaite poser ce soir, comme je l’ai déjà fait en commission.
Par ailleurs, se trouvent inscrites à l’article 1er bis A des dispositions qui devraient relever du fonctionnement interne des collectivités territoriales – je pense évidemment aux pénalités prévues pour sanctionner le manque d’assiduité des conseillers départementaux et régionaux. Très franchement, je crois que c’est entrer de manière abusive dans le fonctionnement des collectivités territoriales, et je ne pense pas qu’il faille imposer de telles règles, si justifiées soient-elles, aux collectivités.
Je m’interroge également sur l’effectivité du droit à la réintégration pour les élus dont le mandat prend fin. Le principe existe déjà dans le droit actuel : depuis la loi Jospin de 2002 – vous étiez à l’époque au Gouvernement, madame la ministre –, les élus ayant une activité salariée bénéficient de certaines facilités. Si personne n’est contre ce principe, il est permis de s’interroger sur l’effectivité d’un droit à réintégration au bout de deux mandats, quand on compare la durée cumulée de ces deux mandats à la durée de vie moyenne d’une entreprise dans notre pays.
L’article 6 ter m’inspire une remarque plus anecdotique, mais significative quant à la rédaction du texte. Cet article pose pour principe que le Conseil national de la formation des élus a, parmi ses missions, celle de définir un socle de compétences nécessaires à l’exercice d’un mandat local. Après avoir entendu dire, durant le débat sur le cumul des mandats, que toutes les expériences personnelles se valaient, qu’elles étaient toutes légitimes pour exercer un mandat parlementaire et que, par définition, toutes les histoires personnelles étaient également valables – ce dont je suis, à titre personnel, parfaitement convaincu –, je m’étonne d’une telle exigence. À part maîtriser la langue française, lire et écrire correctement et savoir compter, je ne vois pas ce que le Conseil national de la formation des élus va pouvoir faire figurer dans le socle de compétence qu’il lui reviendra de définir : toutes les compétences sont les bienvenues au sein d’un conseil municipal – et, plus généralement, au sein de toutes les autres assemblées territoriales. Ce sont là, de mon point de vue, des éléments purement déclaratifs, qui viennent, paradoxalement, affaiblir la portée d’un texte pourtant présenté comme important. Je n’irai pas jusqu’à m’y opposer, pas plus que mon groupe, mais j’attends tout de même des précisions au cours du débat sur les points que j’ai évoqués – qui font d’ailleurs l’objet de plusieurs amendements de notre part.