De quoi demain sera-t-il fait ? C’est difficile à dire. La fonction d’un ministre du budget est certes de prévoir le futur, mais l’adage chinois bien connu assure que la prévision est un art difficile, surtout quand elle concerne l’avenir !
Essayons tout de même, en examinant votre projet de budget pour 2014. Jusqu’ici, le problème majeur a été l’augmentation de la pression fiscale. Il a bien fallu agir avec rigueur pour redresser les comptes publics et lutter contre la dette considérable laissés par l’équipe précédente. Dès lors, les lois de finances rectificatives de 2012, la loi de finances pour 2013 et la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013 ont augmenté les prélèvements obligatoires dans de telles proportions qu’Olli Rehn, vice-président de la Commission européenne chargé des affaires économiques, a déclaré, fin août que les hausses d’impôts en France avaient atteint un seuil fatidique.
La progression importante de la fiscalité a évidemment un impact sur le pouvoir d’achat et entraîne des sacrifices supplémentaires. Cette escalade fiscale, cette overdose fiscale, avec les sacrifices qu’elle occasionne, a naturellement provoqué une certaine déception parmi les classes populaires et moyennes notamment. L’exécutif a pris conscience de ce problème. Le ministre des finances lui-même a évoqué un ras-le-bol fiscal. François Hollande a parlé de « pause » fiscale, un mot qui fait souvenir dans les mémoires collectives de la gauche mais qui marque un arrêt momentané, ce qui n’est peut-être pas le plus souhaitable. Jean-Marc Ayrault a lui aussi parlé de pause, mais en deux temps, 2014 et 2015.
Les prélèvements obligatoires atteindront 46,1 % du PIB en 2014, ce qui fait de la France la vice-championne de l’OCDE, derrière le Danemark. On peut préférer d’autres podiums et d’autres palmarès ! À cela, certains répondent qu’il faut réhabiliter l’impôt en soulignant qu’il finance les services publics. Certes, mais il y a de plus en plus d’impôts et de moins en moins de services publics, des hôpitaux aux bureaux de poste, sur le territoire ! Cette augmentation de la fiscalité ne peut nullement vous être personnellement imputée, monsieur le ministre, car vous n’étiez pas encore à cette époque à la tête de cette citadelle conviviale qui s’appelle Bercy.
Dès l’été 2012, j’avais demandé, parmi d’autres, à cette tribune que pour redresser les comptes publics, on privilégie la réduction des dépenses sur l’augmentation des impôts. Cette démarche a été vaine jusqu’ici. en revanche, nous nous félicitons que ce projet de budget pour 2014 fasse porter l’effort de redressement à 80 % sur les dépenses et à 20 % seulement sur les recettes. Ce projet prévoit en effet, beaucoup l’ont rappelé, 15 milliards d’économies, dont 9 milliards pour l’État, ses opérateurs et les collectivités. Cet effort est sans précédent, mais il nécessite, pour aboutir, une véritable montée en puissance du dispositif de la modernisation de l’action publique, lancé voici déjà un an, en décembre 2012.
Le quatrième comité interministériel de la MAP s’est réuni hier matin. Les résultats sont jusqu’à présent relativement limités. Peut-être seront-ils plus importants ultérieurement. Douze politiques publiques de plus seront en tout cas évaluées dans ce cadre, en plus de la cinquantaine qui l’a déjà été ou l’est encore. Cette série d’audits est en effet indispensable pour dégager des économies. Il importe de passer aux rayons X le fonctionnement de l’État et de son administration pour détecter les dépenses réductibles, voire inutiles.
Autre observation : dans sa version initiale, le projet de loi de finances pour 2014 ne prenait pas suffisamment en compte les difficultés rencontrées par les ménages les plus modestes. Notre groupe a agi, avec d’autres, pour les soutenir. Plusieurs améliorations ont été inscrites au projet de loi de finances grâce aux députés radicaux de gauche entre autres. Ainsi, le revenu fiscal de référence a été augmenté et la réduction d’impôts pour enfants scolarisés, qui devait être supprimée, maintenue. Mais je regrette que la décote appliquée au calcul de l’impôt sur le revenu n’ait pas été davantage augmentée, comme nous l’avions souhaité. Je déplore également que la demi-part accordée aux veuves au titre de l’impôt sur le revenu, supprimée par l’ancienne majorité, ne soit pas rétablie. Nous sommes par ailleurs très réservés sur le maintien du taux réduit de TVA à 5,5 %, alors qu’il avait été solennellement annoncé, l’an passé, qu’il passerait à 5 %. Cette mesure était présentée comme une contrepartie nécessaire à l’augmentation des autres taux de TVA.
La TVA augmentera en tout cas de 6,5 milliards d’euros en 2014 pour contribuer à financer le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi créé pour aider les entreprises à embaucher et à investir. Cette hausse de la TVA ne sera légitime que si les entreprises consacrent vraiment ce crédit d’impôt à cet objectif et non à d’autres fins. Certes, l’entreprise devra retracer l’utilisation de ce crédit dans ses comptes annuels. Certes elle devra informer et consulter le comité d’entreprise sur cette utilisation, mais les pouvoirs que reconnaît à ce dernier la loi du 14 juin 2013, en cas de désaccord, sont toutefois très limités. En effet, si le comité d’entreprise constate que ce crédit n’a pas été utilisé conformément à la loi, il peut seulement adresser un rapport au comité de suivi régional et saisir le conseil d’administration ou de surveillance, selon les cas, sans que l’on ne sache ce qu’il adviendra.
Cette imprécision n’est pas normale. Ce crédit d’impôt financé par la hausse de la TVA ne peut devenir un blanc-seing accordé par l’État aux entreprises qui l’utiliseraient à leur guise. Nous devons pouvoir connaître avec précision l’usage que font les entreprises de l’argent public, de l’argent des contribuables. Il est donc souhaitable de renforcer le mécanisme de suivi actuellement prévu afin de s’assurer que les crédits servent effectivement à l’emploi et à l’investissement.
Monsieur le ministre, quelles que soient nos réserves sur tel ou tel point, le groupe RRDP votera ce projet de budget, pour deux raisons principales : d’une part, on l’a dit, une bien meilleure répartition de l’effort de redressement entre réduction de la dépense publique et augmentation de la fiscalité ; d’autre part, la fidélité de ce projet de budget aux priorités qui rassemblent les Français et façonnent le pacte républicain, c’est-à-dire l’éducation, pour favoriser l’égalité des chances, la justice, pour permettre au droit de l’emporter, et l’emploi, pour mieux combattre le chômage.
La République est faite de ces missions, de ces valeurs, et vous nous proposez ce qu’on pourrait appeler un budget républicain, fondé sur la solidarité, pour contribuer à bâtir une société plus juste et plus humaine.
Comme l’ouverture de cette séance a ressemblé un peu à la cérémonie des Césars, je ne vois pas comment je pourrais ne pas remercier moi aussi le ministre, le rapporteur général, le président de la commission et tous mes collègues pour le temps qu’ils ont consacré, plus que moi d’ailleurs, à l’examen de ce projet de budget.