Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la nuit dernière, notre Assemblée a examiné le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature.
Je n’ignore pas davantage que les magistrats du ministère public ne disposent pas des mêmes garanties statutaires que ceux du siège, l’indépendance des premiers ne pouvant avoir la même portée que celle reconnue aux seconds, en raison même du principe de subordination hiérarchique des membres du ministère public, principe que je n’ai jamais eu l’intention de remettre en cause. Je demeure, en effet, convaincu que, dans un État de droit comme le nôtre, c’est la condition pour avoir une égalité des citoyens devant la loi pénale sur l’ensemble du territoire.
Il n’en demeure pas moins que, dans le respect de cette organisation hiérarchique, fruit de notre histoire judiciaire et caractéristique propre au « parquet à la française », il existe, pour reprendre les termes employés par la Cour européenne des droits de l’homme, un intérêt général consistant à « maintenir la confiance des citoyens dans l’indépendance et la neutralité politique des autorités de poursuite d’un État ». Telle est l’ambition que je traduisais en voulant inscrire dans l’article 31 du code de procédure pénale relatif à l’exercice de l’action publique les principes d’indépendance et d’impartialité.
Je soulignerai enfin qu’aux termes de sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel considère, de manière constante, que le parquet est une autorité judiciaire indépendante et impartiale, apte, sous certaines réserves, à garantir la liberté individuelle, et ce nonobstant les particularités de son statut.
C’est bien dans le prolongement de cette jurisprudence que j’ai souhaité tirer les conséquences de l’exclusion du garde des sceaux de l’exercice direct de l’action publique, désormais réservé aux seuls magistrats du ministère public, en rappelant dans cet article 31 du code de procédure pénale les principes d’indépendance et d’impartialité qui s’appliquent, sous certaines réserves certes, aux magistrats du parquet, membres de l’autorité judiciaire au sens de l’article 64 de la Constitution, dans l’exercice de leur mission.
Il n’en demeure pas moins que le « parquet à la française » a pour particuliarité une dualité fonctionnelle : en tant que juge, le parquet est garant de la protection de la liberté individuelle ; en tant qu’autorité de poursuite, il constitue une partie au procès. Or cette dualité fonctionnelle a conduit à l’émergence d’appréciations divergentes sur la notion d’indépendance entre la jurisprudence constitutionnelle et la jurisprudence conventionnelle, divergences dont je n’ignore rien comme je vous l’ai dit et dont mon rapport se fait naturellement l’écho.
Dans ces conditions, je vous proposerai, au cours de la discussion des articles, un amendement proposant de ne pas faire figurer à l’article 31 du code de procédure pénale la référence au principe d’indépendance dans l’exercice de l’action publique par les magistrats du ministère public, d’autres amendements ayant d’ailleurs été déposés en ce sens. L’action publique se doit d’être impartiale.
En effet, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans une décision sur une QPC du 21 octobre 2011, le parquet n’est pas une partie au procès comme une autre, le ministère public n’étant pas « dans une situation identique à celle de la personne poursuivie ou de la partie civile ». N’étant pas une partie au procès comme une autre, le ministère public doit conduire l’action publique de manière impartiale, nonobstant les particularités de son statut. Tel est d’ailleurs tout l’objet de la prohibition des instructions individuelles du garde des sceaux, prohibition destinée à rendre insoupçonnable l’impartialité du parquet aux yeux des justiciables.
Voilà, mes chers collègues, les principaux points que je souhaitais aborder sur ce projet de loi, que je vous demanderai, naturellement, d’adopter, afin de faire rentrer notre justice dans une nouvelle ère d’indépendance, pour le plus grand bénéficie de tous les justiciables.