Intervention de Jean-Yves Le Bouillonnec

Séance en hémicycle du 29 mai 2013 à 21h30
Attributions du garde des sceaux et du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique. — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république :

Ce texte vise, de manière générale, à renforcer l’autorité du CSM et plus largement à garantir l’indépendance de la justice, afin que les magistrats rendent leurs décisions en toute impartialité et que les citoyens aient la conviction que les décisions prises par la justice ne le sont que dans l’intérêt de la loi et des justiciables.

Cette réforme constitutionnelle cherche, en particulier, à entourer la nomination des magistrats du parquet ainsi que les conditions dans lesquelles ces derniers exercent leurs fonctions, de nouvelles garanties statutaires - comme l’avis conforme désormais requis pour les nominations des magistrats du parquet, comme l’institution du CSM en réel conseil de discipline de ces magistrats : tout cela dans le souci de rendre l’impartialité de la justice insoupçonnable pour les justiciables.

Complétant et prolongeant cette réforme du CSM avec laquelle il forme un « tout » cohérent, le projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en oeuvre de l’action publique, que nous examinons ce soir, après son adoption par la commission des lois de notre assemblée le 21 mai dernier, est un texte qui marquera indéniablement une évolution très positive pour notre justice.

En effet, le présent texte entend, pour reprendre les propos de la commission de réflexion sur la justice, installée en 1997 et présidée par M. Pierre Truche, alors Premier président de la Cour de cassation, ne laisser aucune « place au soupçon de pressions partisanes qui mine la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire ». Ces dix dernières années ont trop souvent été marquées - et je le regrette profondément - par la suspicion d’interventions de l’exécutif dans telle ou telle affaire dite sensible.

Afin, d’une part, de remédier à cette situation dont nul ne saurait raisonnablement se satisfaire et, d’autre part, de restaurer l’impartialité de l’autorité judiciaire, dont l’article 64 de la Constitution consacre l’indépendance et dont les magistrats du parquet font partie intégrante au nom même du principe d’unité du corps de la magistrature, le projet de loi que nous examinons poursuit trois axes, que je me propose de vous présenter brièvement.

En premier lieu, le présent texte clarifie les attributions respectives du ministre de la justice et des magistrats du ministère public. À cette fin, il entend restituer au garde des sceaux la responsabilité de conduire la politique pénale déterminée par le Gouvernement, conformément à l’article 20 de la Constitution, et confier le plein exercice de l’action publique aux seuls magistrats du ministère public.

Dans le cadre de sa mission, le garde des sceaux devra veiller, comme cela est actuellement le cas, à la cohérence de l’application de la politique pénale sur l’ensemble du territoire de la République et pourra adresser, à cette fin, des instructions générales de politique pénale aux magistrats du ministère public.

Les procureurs généraux deviennent, pour leur part, les garants de l’application effective, cohérente et homogène de la politique pénale dans leur ressort : à cet effet, ils se voient confier un pouvoir de déclinaison territoriale des instructions générales du garde des sceaux et ce, afin de tenir compte du contexte propre au ressort de la cour d’appel.

Il revient, enfin, aux procureurs de la République de mettre en oeuvre, dans leur ressort respectif, la politique pénale définie au niveau national par les instructions générales du ministre de la justice et adaptée au niveau régional par les procureurs généraux. À l’instar du pouvoir de déclinaison reconnu à ces derniers, les procureurs de la République se voient également reconnaître la faculté d’adapter les instructions générales au contexte propre à leur ressort.

En définitive, la lecture croisée des articles 1er à 3 du présent projet de loi nous permet de prendre la pleine mesure de la clarification de la responsabilité de chaque échelon en matière de conduite de la politique pénale. Les instructions générales de politique pénale sont définies par le ministre de la justice. Puis, elles sont précisées et, le cas échéant adaptées, par le procureur général dans le ressort de la cour d’appel. Elles sont enfin mises en oeuvre, sous réserve d’éventuelles adaptations propres aux circonstances locales, par le procureur de la République dans le ressort du tribunal de grande instance.

En deuxième lieu, ce projet de loi prohibe désormais toute instruction du garde des sceaux à l’occasion d’une affaire individuelle. Tirant les conséquences de la restitution au bénéfice des seuls magistrats du parquet de l’exercice de l’action publique et conformément à l’engagement n° 53 du Président de la République lors de la campagne de l’élection présidentielle - « J’interdirai les interventions du gouvernement dans les dossiers individuels » -, le projet de loi que nous examinons inscrit, à l’article 30 du code de procédure pénale, la prohibition désormais faite au garde des sceaux d’adresser aux magistrats du ministère public toute forme d’instruction dans des affaires individuelles.

Cette interdiction de toute instruction du ministre de la justice dans les affaires individuelles revêt une valeur symbolique d’autant plus forte qu’elle consacre la volonté indéfectible du Gouvernement, comme du législateur, de garantir l’impartialité des décisions des magistrats du parquet et de mettre fin au soupçon, qui trop souvent pèse sur le déroulement des procédures judiciaires et plus particulièrement pénales, en altérant la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire.

J’entends dire, ici et là, que les instructions individuelles seraient en nombre infime et qu’il n’y aurait donc pas lieu de les prohiber. Je rappelle que le principe même de l’instruction individuelle constitue une immixtion directe du pouvoir exécutif dans une procédure juridictionnelle, qui porte atteinte à la séparation des pouvoirs.

Nul ne peut, par ailleurs, sérieusement contester l’existence d’un soupçon lourd, tenace, et ces dernières années amplifié.

Cette prohibition des instructions individuelles, désormais gravée dans le marbre de la loi, a déjà été envisagée dans l’histoire de notre justice. Entre 1997 et 2002, les gardes des sceaux successives, Mme Élisabeth Guigou et Mme Marylise Lebranchu, auxquelles je souhaite rendre hommage, avaient renoncé à la possibilité d’adresser de telles instructions individuelles, de quelque nature qu’elles soient.

Après une lecture devant chaque chambre, du projet des deux propositions constitutionnelles, vous avez rappelé, madame la garde des sceaux, le sort qui fut réservé au dispositif du Congrès. Dès votre prise de fonction en mai 2012, madame la garde des sceaux, traduisant votre volonté d’assurer l’indépendance de l’institution judiciaire, vous avez décidé non seulement de renouer avec la pratique de vos prédécesseurs sous le gouvernement de M. Lionel Jospin, mais vous avez également décidé d’inscrire expressément le principe de prohibition de toute instruction individuelle dans la loi en l’érigeant en principe de procédure pénale. Tel est l’objet du présent projet de loi, qui constitue une avancée majeure dans le fonctionnement indépendant et impartial de notre justice.

En dernier lieu, ce texte organise la remontée d’information pour la définition et la conduite d’une politique pénale juste et cohérente sur l’ensemble du territoire. Le troisième axe qui structure le projet de loi que nous sommes conduits à examiner ce soir est d’organiser la remontée de l’information entre les procureurs de la République, les procureurs généraux et le garde des sceaux, sur la mise en oeuvre et la déclinaison locale de la politique pénale définie au niveau national.

Ainsi, il reviendra désormais aux procureurs généraux et aux procureurs de la République d’adresser respectivement au ministre de la justice et aux procureurs généraux, d’une part, un rapport annuel de politique pénale sur l’application de la loi et la mise en oeuvre des instructions générales ainsi que, d’autre part, un rapport annuel sur l’activité et la gestion du ou de leurs parquets.

Comme aujourd’hui, la transmission de ces rapports s’exercera sans préjudice des rapports particuliers que les procureurs généraux et les procureurs de la République seront amenés à établir soit d’initiative, soit sur demande respective du ministre de la justice et du procureur général.

Plus qu’elles n’innovent, ces dispositions tendent à conforter la pratique existante en matière de remontée d’information et ce, dans le souci de nourrir en particulier la réflexion du garde des sceaux dans la définition des instructions générales de politique pénale adressées en retour aux magistrats du ministère public. Comme l’avait souligné à juste titre le rapport Truche de la commission de réflexion sur la justice, « la politique nationale se nourrit des informations venues des parquets et parquets généraux à l’occasion d’affaires particulières et par un rapport annuel ».

La conduite de la politique pénale implique, en effet, que le garde des sceaux, qui en assume la responsabilité au titre de l’alinéa 1er de l’article 30 du code de procédure pénale, reçoive régulièrement des parquets généraux et des parquets une information fiable et complète sur le fonctionnement de la justice.

Tel est l’objet des rapports annuels et des rapports particuliers établis par les procureurs généraux et les procureurs de la République.

En organisant la remontée d’information, ces rapports permettent au garde des sceaux de veiller à une application homogène, juste et cohérente de la loi pénale sur l’ensemble du territoire de la République et, ainsi, de garantir l’égalité des citoyens devant la loi à laquelle nous sommes tous très attachés.

Dans le respect de l’économie générale du texte présenté par le Gouvernement, la commission des lois de notre assemblée s’est efforcée, sur ma proposition, de donner à ce texte sa pleine mesure et ce, à trois égards.

Tout d’abord, il m’est apparu nécessaire de garantir l’information annuelle du Parlement et des magistrats sur l’application de la politique pénale. La clarification des attributions du garde des sceaux dans la conduite de la politique pénale est vaine, si nous, parlementaires, ne sommes pas mis en mesure de la contrôler et de l’évaluer, conformément à la lettre même de l’article 24 de la Constitution.

C’est pourquoi, sur mon initiative, la commission des lois de notre assemblée a souhaité que soit organisée une information annuelle du Parlement sur l’application de la politique pénale déterminée par le Gouvernement, ainsi que sur la mise en oeuvre des instructions générales adressées à cette fin, par le ministre de la justice aux magistrats du ministère public.

Il reviendra désormais, chaque année, au garde des sceaux de publier un rapport de politique pénale et, sur cette base, d’informer le Parlement par une déclaration pouvant être suivie d’un débat, des conditions de mise en oeuvre de la politique pénale déterminée par le Gouvernement ainsi que des instructions générales adressées à cette fin.

Tirant les conséquences de l’information annuelle du Parlement au niveau national, la commission des lois a estimé souhaitable et nécessaire que soit organisée, par cohérence, au niveau local et chaque année, l’information de l’ensemble des magistrats de la cour d’appel et du tribunal de grande instance sur l’application, dans leur ressort, de la politique pénale.

Dans cette perspective, il reviendra au procureur général et au procureur de la République de communiquer leur rapport annuel de politique pénale respectivement au premier président de la cour d’appel et au président du tribunal de grande instance. Ce rapport fera ensuite l’objet d’un débat lors de la prochaine assemblée générale des magistrats du siège et du parquet au sein de chaque ressort.

Ensuite, sur ma proposition, la commission des lois, a souhaité garantir la publicité des instructions générales de politique pénale adressées par le garde des sceaux.

Toujours dans ce souci de transparence qui a constamment guidé nos travaux préparatoires, la commission a donc inscrit dans la lettre même du code de procédure pénale, le principe de la publicité des instructions générales de politique pénale, qui sont adressées par le garde des sceaux aux magistrats du ministère public.

Nous considérons en effet - et je suis convaincu que tous partagent ce sentiment - que la fin du soupçon, auquel le présent texte entend mettre fin, exige que chaque citoyen puisse avoir connaissance des choix de politique pénale arrêtés par le ministre de la justice et qui seront désormais débattus, chaque année, au Parlement.

À mon initiative, la commission des lois a enfin voulu rappeler les principes d’indépendance et d’impartialité dans l’exercice de l’action publique par les parquets. Dans le prolongement de la prohibition de toute instruction individuelle, j’ai estimé nécessaire que soient rappelés, à l’article 31 du code de procédure pénale, les principes d’indépendance et d’impartialité, dans l’exercice de l’action publique par les magistrats du ministère public.

Cette disposition a fait l’objet d’un débat particulièrement riche et nourri en commission, certains collègues ayant exprimé leurs réserves sur l’opportunité de rappeler, notamment, le principe d’indépendance.

Nous aurons l’occasion d’y revenir au cours de la discussion des articles, mais je n’ignore pas que la notion d’indépendance fait l’objet d’appréciations divergentes entre la jurisprudence constitutionnelle et la jurisprudence conventionnelle, vous l’avez rappelé, madame la garde des sceaux.

Je n’ignore pas davantage que les magistrats du ministère public ne disposent pas des mêmes garanties statutaires que ceux du siège, l’indépendance des premiers ne pouvant avoir la même portée que celle reconnue aux seconds, en raison même du principe de subordination hiérarchique des membres du ministère public, principe que je n’ai jamais eu l’intention de remettre en cause. Je demeure, en effet, convaincu que, dans un État de droit comme le nôtre, c’est la condition pour avoir une égalité des citoyens devant la loi pénale sur l’ensemble du territoire.

Il n’en demeure pas moins que, dans le respect de cette organisation hiérarchique, fruit de notre histoire judiciaire et caractéristique propre au « parquet à la française », il existe, pour reprendre les termes employés par la Cour européenne des droits de l’homme, un intérêt général consistant à « maintenir la confiance des citoyens dans l’indépendance et la neutralité politique des autorités de poursuite d’un État ». Telle est l’ambition que je traduisais en voulant inscrire dans l’article 31 du code de procédure pénale relatif à l’exercice de l’action publique les principes d’indépendance et d’impartialité.

Je soulignerai enfin qu’aux termes de sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel considère, de manière constante, que le parquet est une autorité judiciaire indépendante et impartiale, apte, sous certaines réserves, à garantir la liberté individuelle, et ce nonobstant les particularités de son statut.

C’est bien dans le prolongement de cette jurisprudence que j’ai souhaité tirer les conséquences de l’exclusion du garde des sceaux de l’exercice direct de l’action publique, désormais réservé aux seuls magistrats du ministère public, en rappelant dans cet article 31 du code de procédure pénale les principes d’indépendance et d’impartialité qui s’appliquent, sous certaines réserves certes, aux magistrats du parquet, membres de l’autorité judiciaire au sens de l’article 64 de la Constitution, dans l’exercice de leur mission.

Il n’en demeure pas moins que le « parquet à la française » a pour particuliarité une dualité fonctionnelle : en tant que juge, le parquet est garant de la protection de la liberté individuelle ; en tant qu’autorité de poursuite, il constitue une partie au procès. Or cette dualité fonctionnelle a conduit à l’émergence d’appréciations divergentes sur la notion d’indépendance entre la jurisprudence constitutionnelle et la jurisprudence conventionnelle, divergences dont je n’ignore rien comme je vous l’ai dit et dont mon rapport se fait naturellement l’écho.

Dans ces conditions, je vous proposerai, au cours de la discussion des articles, un amendement proposant de ne pas faire figurer à l’article 31 du code de procédure pénale la référence au principe d’indépendance dans l’exercice de l’action publique par les magistrats du ministère public, d’autres amendements ayant d’ailleurs été déposés en ce sens. L’action publique se doit d’être impartiale.

En effet, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans une décision sur une QPC du 21 octobre 2011, le parquet n’est pas une partie au procès comme une autre, le ministère public n’étant pas « dans une situation identique à celle de la personne poursuivie ou de la partie civile ». N’étant pas une partie au procès comme une autre, le ministère public doit conduire l’action publique de manière impartiale, nonobstant les particularités de son statut. Tel est d’ailleurs tout l’objet de la prohibition des instructions individuelles du garde des sceaux, prohibition destinée à rendre insoupçonnable l’impartialité du parquet aux yeux des justiciables.

Voilà, mes chers collègues, les principaux points que je souhaitais aborder sur ce projet de loi, que je vous demanderai, naturellement, d’adopter, afin de faire rentrer notre justice dans une nouvelle ère d’indépendance, pour le plus grand bénéficie de tous les justiciables.

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