Intervention de Guy Geoffroy

Séance en hémicycle du 29 mai 2013 à 21h30
Attributions du garde des sceaux et du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique. — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy Geoffroy :

À vous entendre, madame la garde des sceaux, il s’agirait de garantir enfin à l’institution judiciaire son indépendance et son impartialité, comme si, jusqu’à la présentation de ce texte, pour reprendre un terme utilisé par le rapporteur dès le début de son propos, il y avait matière à soupçon, un fort soupçon, amplifié, nous a-t-il dit d’ailleurs, au cours des dernières années.

Si nous pouvons être d’accord avec vous, et nous le sommes volontiers, c’est sur ce qui nous réunit, nous, parlementaires, acteurs de la vie publique, depuis très longtemps, à savoir la nécessité d’avoir dans notre pays une institution judiciaire marquée du double sceau de l’indépendance et de l’impartialité, lesquelles, d’ailleurs, ne vont peut-être pas toujours si bien l’une avec l’autre.

Quelques exemples récents nous permettent en effet de dire que l’indépendance dont se prévalent à très juste titre les magistrats ne les conduit pas automatiquement et obligatoirement à exercer leurs fonctions en toute impartialité. Il aurait pu y avoir des erreurs judiciaires si les décisions n’avaient pas été rectifiées en cours de route. Je veux parler en particulier de cette douloureuse affaire d’Outreau, qu’un certain nombre d’entre nous ici avons d’autant mieux connue que nous avons fait partie de la commission d’enquête placée sous la double houlette positive d’André Vallini, qui la présidait, et de notre excellent collègue Philippe Houillon, qui en rapportait les conclusions. Nous avions noté à cette époque combien, sans que nous puissions porter un doute sur sincérité, des magistrats pouvaient ne pas être tout à fait impartiaux dans la conduite de leur instruction et, pourquoi pas éventuellement, s’agissant des magistrats du siège, dans la conduite de leurs jugements.

Indépendance et impartialité, tout le monde est donc d’accord, mais faut-il pour autant mettre en place un nouveau dispositif comme celui que vous avez décidé en toute cohérence, affirmez-vous et réaffirmez-vous, de concocter et de nous présenter à travers deux projets de loi, l’un, constitutionnel, que notre assemblée a examiné hier, et l’autre, ordinaire, celui que nous évoquons ce soir ?

Très sincèrement, je ne le pense pas, et le texte dont nous discutons semble à la fois, – je ne voudrais pas que le terme soit mal compris –, relativement insignifiant et pour tout dire assez inutile.

Le premier paragraphe de l’exposé des motifs, en lui-même, pose un problème : « L’indépendance de la justice constitue une condition essentielle du fonctionnement d’une démocratie respectueuse de la séparation des pouvoirs. » Cela ressemble étrangement à un encouragement à ce qu’il est de bon ton d’évoquer lorsque l’on parle de la justice et de la magistrature, c’est-à-dire l’existence d’un pouvoir judiciaire.

Pourquoi évoquer la séparation des pouvoirs en parlant de l’institution judiciaire, si ce n’est pour laisser penser ou, pire, penser soi-même qu’il existerait dans notre pays un pouvoir judiciaire qui, aux côtés du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, constituerait le troisième pouvoir ?

Or le constituant, et cela n’a jamais été remis en cause, a donné à l’institution judiciaire un statut bien particulier, un statut qui en fait son originalité, sa spécificité et qui en garantit justement l’indépendance, le statut constitutionnel d’autorité judiciaire. Parler de séparation des pouvoirs lorsque l’on parle de la justice est un excès de langage qui trop souvent conduit à une vision déformée.

Au nom du Gouvernement, vous avez présenté un projet de loi constitutionnelle qui prétend renforcer l’indépendance de la magistrature mais qui a été sérieusement édulcoré par l’Assemblée à la demande de son rapporteur et sur l’initiative conjointe de la commission des lois.

Votre projet, on le sait, a été totalement réécrit, et ce qui en ressort, ce n’est plus l’engagement du Président de la République de redonner une majorité aux magistrats au sein du Conseil supérieur de la magistrature, c’est tout simplement le droit actuel issu des dispositions que nous avions proposées après l’affaire d’Outreau.

Il s’agit pour vous de revenir à une situation qui montre que les magistrats font leurs affaires entre eux, notamment lorsqu’il s’agit des questions disciplinaires. Nous savons exactement ce qu’en pensent les Français. Ils sauront vous dire ce qu’ils pensent de ce que vous avez tenté de faire avec la révision constitutionnelle que vous nous avez proposée et qui est loin, vous le savez vous-même, d’avoir de grandes chances d’aboutir.

Aujourd’hui, vous nous présentez un texte que je qualifierai, sans être inconvenant, de texte bisounours, puisque vous enfoncez quelques portes bien ouvertes, le Gouvernement, à des périodes différentes, comme le Parlement ayant largement eu l’occasion de dire ce que nous devions faire.

Il y a un peu plus de vingt ans, existaient des instructions orales sur des affaires particulières. Il a été décidé, sous une majorité de gauche, que de telles instructions devraient être non plus orales mais écrites. Sous une autre majorité, de droite celle-ci, vous avez oublié de le dire, me laissant probablement le soin de le préciser, nous sommes allés au bout de cette logique, dont nous partageons tous l’évidence : s’il doit y avoir des instructions particulières sur un dossier particulier, autant qu’elles soient connues de tous les acteurs du dossier et en particulier de la défense. C’est la raison pour laquelle, aujourd’hui, les instructions particulières doivent être écrites et figurer dans le dossier afin que chacun sache exactement de quoi il s’agit.

Selon l’article 30 du code de procédure pénale, le ministre de la justice « peut dénoncer au procureur général les infractions à la loi pénale dont il a connaissance et lui enjoindre, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d’engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le ministre juge opportunes ».

Cela concerne une dizaine de cas par an, qui, depuis 2004, nous l’avons vérifié, vont d’ailleurs tous dans le même sens. Quand le ministre constate que, dans une affaire particulière, des poursuites ne sont pas engagées alors qu’en application de la loi, elles devraient l’être, l’article 30 du code de procédure pénale s’applique, mais pour que des poursuites soient engagées et non l’inverse. Et c’est cela que vous voulez modifier au motif de garantir l’impartialité de la justice et son indépendance.

Ce n’est pas un bon chemin que vous prenez. Vous prétendez régler une question ou laver encore plus blanc que blanc sans véritablement donner la solution. Je me permettrai de donner tout à l’heure un exemple qui fera probablement réfléchir un certain nombre d’entre nous, à commencer par vous.

J’ai fait une autre remarque en commission, et j’ai été surpris qu’elle ne soit pas reprise. C’est une remarque de forme mais elle va toucher le fond. Elle concerne le texte tel qu’il est issu des travaux de la commission. Le quatrième alinéa de l’article 1er maintient une formule qui, vous en conviendrez, est un peu embarrassante. Alors que le troisième alinéa parle d’instructions générales, le quatrième parle d’instructions dans des affaires individuelles. Comme je l’ai expliqué en commission, je pensais que le pendant des instructions générales serait les instructions de nature particulière. Le Conseil supérieur de la magistrature, récemment sollicité par vous sur l’affaire dite du « mur des cons » a d’ailleurs répondu qu’il ne pouvait pas se saisir, en l’état actuel, d’une "affaire particulière". J’ai proposé de reprendre cette notion de « particulier », qui s’opposerait à « général », mais cela n’a pas été retenu.

Je note au passage que la lecture et l’application strictes du texte, tel qu’il nous est présenté, pourraient conduire à une incongruité. Que faire dans le cas d’une affaire non individuelle mais collective, concernant plusieurs personnes ? On pourrait penser, d’après le texte, qu’il y aurait alors la possibilité d’instructions. Vous voyez bien, par l’absurdité relative de cet exemple, qu’il fallait récrire le texte ; je regrette, monsieur le rapporteur, que vous ne l’ayez pas fait. Cela ajoute à la confusion et ôte au projet de loi la valeur que l’on pouvait en attendre.

Vous avez insisté, de manière précise et cohérente, sur les rapports qui devront être remis au procureur général par le procureur de la République et au garde des sceaux par le procureur général : il s’agira non seulement du rapport annuel de politique pénale, mais aussi de rapports particuliers. Ces derniers pourront, d’après le texte, être soit à l’initiative du procureur de la République ou du procureur général, soit à la demande du garde des sceaux. Ainsi le même texte dit ainsi qu’il ne saurait y avoir d’instructions de nature particulière du ministre vers les parquets, mais par contre que le ministre peut demander un compte rendu de ce qui s’est passé sur des affaires particulières. N’y a-t-il pas là quelque incohérence ? Allez jusqu’au bout : puisque vous ne souhaitez pas que le garde des sceaux dise par écrit, de manière particulière, des choses sur un dossier, pourquoi lui laisser le droit de demander des comptes rendus particuliers ?

J’en viens aux deux raisons pour lesquelles il n’y a pas lieu de débattre de ce texte. Tout d’abord, nous avons voté sous la précédente législature la très belle loi du 9 juillet 2010, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur, et qui a fait l’objet d’un consensus de l’ensemble des groupes de notre assemblée. Je suis sûr que si nous refaisions ce travail aujourd’hui, il donnerait lieu au même beau consensus. Cette loi, qui améliore notre législation dans la lutte contre les violences conjugales, a défini plusieurs nouvelles incriminations pénales, dont celle de violence psychologique au sein du couple. Nous constatons, au contact des juridictions, à l’écoute de celles et ceux qui ont des choses à nous dire et des comptes à nous demander sur la manière dont est appliquée la loi, que celle-ci est mise en oeuvre de manière tout à fait inégale dans les différentes juridictions.

Certaines se sont emparées de l’ordonnance de protection – nous ne sommes pas, c’est vrai, tout à fait dans le pénal – et surtout du délit de violence psychologique, de manière spontanée et volontaire. Nous avons déjà des débuts de résultats encourageants ; c’est le cas en particulier au tribunal de grande instance de Bobigny. Mais il y a aussi des juridictions qui peinent à utiliser cette nouvelle incrimination pénale, alors que, nous le savons, les violences psychologiques au sein du couple existent partout, dans tous les milieux, dans tous les territoires, en province comme en région parisienne, dans les villes comme dans les campagnes. Nous savons, nous qui accompagnons les victimes de ces violences, combien ce droit nouveau, voté à l’unanimité du Parlement, est insuffisamment appliqué.

Sur ces questions, ne serait-il pas utile et efficace qu’à côté des instructions générales transmises par la chancellerie aux parquets généraux, il y ait, quand c’est nécessaire, quand cela paraît absolument indispensable, une prise de responsabilité de nature politique, au sens noble du terme, visant à ce que la loi soit effectivement appliquée, que des poursuites soient engagées là où elles ne le sont pas, là où les instructions générales ne suffisent pas ?

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