Intervention de Sébastien Denaja

Séance en hémicycle du 29 mai 2013 à 21h30
Attributions du garde des sceaux et du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique. — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Denaja :

Madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis un an notre majorité a pris des décisions qui prouvent une volonté sans faille de probité et de respect des citoyens. Elle a en toutes circonstances respecté l’indépendance de la justice. Aucune affaire n’a été cachée, ralentie ou entravée. Pour édifier une république exemplaire et accomplir pleinement l’effort de redressement de notre pays, il faut d’abord oeuvrer à son redressement moral. Pourtant, comme une marée sans cesse renouvelée, chaque semaine nous voyons remonter à la surface une affaire ancienne mettant en cause des personnalités du monde politique, du monde économique ou encore ce soir une haute personnalité du monde judiciaire. Chaque fois le soupçon de possibles interventions, de possibles intrusions politiques dans des affaires pénales pour favoriser le sort de puissants ou d’amis de puissants renforce chez nos concitoyens un sentiment de suspicion durable à l’égard de nos institutions, au point qu’a succédé à la méfiance la défiance généralisée.

Cette suspicion, compréhensible, est parfois fondée, car des citoyens minent en profondeur le pacte social national. Comment faire accepter à un citoyen une amende légitime de quelques dizaines d’euros quand des millions d’euros sont parfois en jeu dans des affaires troubles, sans que jamais leurs acteurs ne soient inquiétés ?

Nous ne pouvons laisser perdurer un tel soupçon. Il faut rompre avec la logique judiciaire qui a présidé à l’avènement de la Constitution de 1958. Ses concepteurs développaient la thèse d’une certaine droite, selon laquelle un pouvoir politique fort doit contrôler l’appareil judiciaire, en maintenant les juges sous son joug. Comme nous avons pu le voir ce soir, cette thèse est encore vivace. Ce pouvoir devrait nommer les magistrats du parquet, décider de leur carrière, promouvant les uns, placardisant les autres, en un mot s’assurer d’une soumission complète aux intérêts politiques des puissants du moment. Dans cette logique, le pouvoir politique a donc souhaité également autoriser les interventions gouvernementales dans des affaires individuelles. L’ordonnance de 1958 comme la récente loi de 2004 ont même expressément prévu la possibilité d’instructions individuelles. La droite a toujours été partisane de la subordination organique des parquets, elle a toujours refusé qu’il en soit autrement, notamment lorsqu’elle s’est opposée à la réforme engagée par notre collègue Élisabeth Guigou.

Cette logique d’un autre temps n’est pas la nôtre. Nous, nous sommes favorables à l’ordre public, favorables tout simplement à un ordre juste. Nous voulons donc une prohibition claire, consacrée par la loi, de toute instruction individuelle, c’est-à-dire nominative. C’est là le pendant essentiel de l’équilibre entre l’opportunité des poursuites et le respect de l’intérêt général. Madame la ministre, dès septembre 2012, vous avez très expressément mis fin aux instructions individuelles par voie de circulaire, mettant enfin un heureux terme à des décennies de dérives, dont les dernières sont encore récentes et pour certaines d’une gravité sans précédent ! Nous savons très bien que des instructions individuelles peuvent être orales, et il est donc impératif de rendre illégale toute forme d’instruction et de garantir l’impartialité la plus totale des procureurs. Tel est l’objet de ce texte. Notre assemblée va enfin protéger l’impartialité en ce domaine et permettre la préservation de l’intérêt général.

Bien plus, nous allons établir un nouvel équilibre institutionnel entre, d’une part, un CSM réformé, garant de l’indépendance de la justice aux côtés du Président de la République, notamment s’agissant de la nomination des magistrats du parquet, et, d’autre part, une meilleure définition de la manière dont sera désormais conduite et définie la politique pénale dans notre pays.

Plusieurs points importants méritent d’être soulignés.

Nous réaffirmons la volonté de déterminer et de faire appliquer une politique pénale nationale, décidée par le Gouvernement, conduite par la ministre de la justice, mise en oeuvre par chaque procureur, mais dont la garde des sceaux assure la cohérence sur l’ensemble du territoire de la République, que l’on soit à Neuilly ou à Bobigny. Disons-le clairement : le Gouvernement doit disposer de la capacité à déployer sur l’ensemble du territoire national ses grandes orientations de politique pénale afin que la loi soit la même pour tous et partout. C’est le sens même des instructions générales du ministère de la justice, garantes du principe sacré d’égalité des citoyens devant la loi.

Mais pour être efficaces, les instructions générales ne peuvent se multiplier. Or elles sont passées d’une vingtaine par an durant le gouvernement de Lionel Jospin à près de cent en moyenne durant le dernier quinquennat. Mes chers collègues, comment peut-on penser qu’un parquet recevant une feuille de route tous les quatre jours puisse organiser sérieusement une politique efficace, lisible et cohérente ? Mais je sais, madame la ministre, que sur ce point, votre vigilance est entière.

Je me félicite également que le texte apporte une définition plus claire des missions des procureurs généraux, chargés de la mise en oeuvre sur le plan local des orientations nationales. De plus, la responsabilisation des procureurs généraux et des procureurs de la République, l’obligation d’information et de transparence, et le renforcement de la logique d’évaluation des résultats vont également dans le bon sens. À ce titre, je m’inquiète des dégâts causés par des années de défiance, d’abandon même, des gouvernements de droite à l’égard de la justice. Les victimes doivent être sûres que leur droit à obtenir justice sera mis en oeuvre rapidement, que les peines prononcées contre leurs agresseurs seront effectivement exécutées. À cette fin, et je sais que la garde des sceaux doit rattraper des années de retard, des moyens humains sont nécessaires. Ainsi, en décembre 2011, la conférence des procureurs n’hésitait pas à appeler « solennellement l’attention sur la gravité de la situation » en demandant les moyens nécessaires.

Un tel appel doit être entendu car un État qui n’est plus en mesure d’assumer ses missions régaliennes et donc de faire partager le contrat social républicain cesse, de facto, d’exister, laissant le champ libre à toutes les aventures populistes les plus sombres. Pour éviter ce funeste destin, il nous faut aujourd’hui un choc régalien parce que, plus que jamais, nous avons besoin de consolider les piliers qui soutiennent l’édifice républicain, et la justice est l’un de ces piliers. Paul Valéry – pardonnez au Sétois que je suis de citer cet éminent poète natif de l’Île Singulière – : « Si l’État est fort, il nous écrase ; s’il est faible, nous périssons. » Comme vous l’avez dit en concluant votre propos, madame la garde des sceaux, pour espérer en l’État, il faut encore pouvoir espérer en la justice.

En vous épaulant, madame la garde des sceaux, nous pouvons faire de cette législature si ce n’est un moment historique, du moins un tournant important où le peuple français retrouvera confiance dans sa justice, dans ses institutions, si malmenées par nos prédécesseurs.

Avec la réforme du CSM adoptée cette nuit même par notre assemblée, la future réforme du Conseil constitutionnel, qui aura bien lieu.

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