Intervention de Philippe Houillon

Séance en hémicycle du 29 mai 2013 à 21h30
Attributions du garde des sceaux et du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique. — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Houillon :

…la juridiction de jugement appréciant ensuite, souverainement bien sûr, le bien-fondé de la poursuite ainsi engagée. Cela a été longtemps un sujet de débat, jusqu’en 1993, année où la gauche a fait adopter l’obligation que ces instructions soient écrites, puis, à la suite de l’alternance, la droite a, la même année, ajouté qu’elles devraient être versées aux dossiers pour assurer ainsi leur publicité et leur communication à la défense. On pouvait donc penser que la question était réglée, d’autant plus que l’étude d’impact jointe au projet de loi ne recense qu’une dizaine d’instructions par an et ne relève aucun manquement.

Mais par ce texte, de manière sans doute habile, par amalgame, on veut donner l’impression que le Gouvernement accroît l’indépendance des parquets en communiquant sur le fait qu’il s’agit d’assurer aux justiciables que le gouvernement en place ne profite pas de ses pouvoirs pour protéger ses amis – alors que, je le redis, il ne peut s’agir que d’instructions de poursuite. A priori, qui ne donnerait son accord à une aussi vertueuse intention ? En revanche, il est toujours aussi difficile de s’assurer qu’un procureur ami du pouvoir ou ami de l’opposition sera imperméable à une intervention orale.

Mais, de mon point de vue, le vrai débat n’est pas ici tant celui de l’indépendance que celui de l’impartialité, notamment parce que notre système pénal repose sur le principe de l’opportunité des poursuites et non sur celui de la légalité des poursuites. En d’autres termes, c’est le parquet qui décide en opportunité, celle-ci au demeurant variable d’un point du territoire à un autre, de poursuivre ou non. En cas de carence, le garde des sceaux ne pourra plus par conséquent enjoindre de poursuivre. En outre, il est difficile de s’assurer qu’un procureur ne laisse pas prescrire volontairement des infractions – même si le cas n’est pas fréquent –, ne préfère pas ouvrir une enquête préliminaire plutôt que faire désigner un juge d’instruction ou encore procéder à une saisine directe pour ne pas informer davantage. Qui contrôle cela ? Les voies de recours et de contrôle sont beaucoup moins évidentes en la matière qu’à l’égard du siège.

Les relations entre l’exécutif et le judiciaire constituent une problématique complexe, discutée de manière récurrente depuis plusieurs siècles. Bien entendu, la justice doit être impartiale et l’on a souvent soutenu à juste titre qu’il fallait pour cela qu’elle soit indépendante. Mais indépendante de qui et de quoi ? Les esprits simples répondent immédiatement : indépendante du pouvoir politique. Certes, mais qu’est-ce que le pouvoir politique ?

Les mêmes répondent : le pouvoir politique, c’est d’abord le Gouvernement. Sans doute, mais c’est aussi bien plus. Prenons un exemple : l’avancement des magistrats, du siège comme désormais du parquet, ne dépend pratiquement plus du Gouvernement, mais des commissions d’avancement et du Conseil supérieur de la magistrature, qui sont dominés par les syndicats de magistrats. Pour avancer, il ne faut pas déplaire à ceux-ci. Il n’y a plus besoin de courage pour résister aux politiques, c’est même le meilleur moyen d’être considéré.

Or à plusieurs reprises, on a pu vérifier que des syndicats de magistrats donnaient des orientations sur la manière de juger, commentaient l’actualité, stigmatisaient certaines catégories de justiciables, voire affirmaient leur hostilité à certaines personnes pouvant devenir des justiciables. Contre cela, le Gouvernement ne paraît pas décidé à agir. Saisir le Conseil supérieur de la magistrature d’une dérive syndicale, c’est ne pas voir le conflit d’intérêts avec les syndicalistes qui y siègent !

Le vrai devoir du magistrat, c’est de respecter scrupuleusement la loi, dans sa lettre et dans son esprit. Pour le siège, ce n’est pas toujours le cas, mais convenons qu’avec trois degrés de juridiction – même si la Cour de cassation n’est pas véritablement un troisième degré –, le système offre des garanties sérieuses pour le justiciable. En revanche, pour les magistrats du parquet, l’aléa est plus grand : à qui rendent-ils compte de leur choix de poursuivre ou non ? Devant qui en sont-ils responsables ? Quand le parquet est hiérarchisé jusqu’au garde des sceaux qui en est le chef naturel et légal, le Gouvernement est responsable devant le Parlement et l’opinion des décisions prises : désormais il ne le sera plus.

Paradoxalement, au moment où le Gouvernement fait le choix de la fausse vertu et du véritable abandon de responsabilité, il crée un procureur financier, qui va dépouiller en particulier le parquet de Paris, comme si le procureur de la République de Paris lui déplaisait et que le futur procureur financier pourrait, lui, être moins indépendant.

En résumé, il me semble que c’est évidemment habile de vouloir faire croire qu’on assure une bonne administration de la Justice en supprimant une disposition qui en fait n’offre aucun danger, mais je me demande si le but n’est pas d’éluder ainsi la véritable question qui se pose et qu’on se refuse à aborder : qui sera désormais responsable des éventuels errements du parquet ?

Au total, on le voit bien, ce projet de loi procède plus d’une action de communication que d’une réflexion aboutie. On ne peut être favorable à une indépendance du parquet vers laquelle, pas à pas, l’on semble se diriger, qu’à la condition que les nombreuses et lourdes questions qu’elle soulève, et que je n’ai pu qu’effleurer, soient débattues et réglées. Ce n’est pas le cas. Ne légiférer que sur un aspect des choses sans traiter l’autre manque de sagesse et c’est la raison pour laquelle le groupe UMP ne votera pas ce texte en l’état. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

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