Intervention de Paul Molac

Séance en hémicycle du 29 mai 2013 à 21h30
Attributions du garde des sceaux et du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique. — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Molac :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons répond à une exigence fondamentale de notre démocratie, celle de l’indépendance de la justice. Les philosophes des Lumières, Locke au XVIIe siècle puis Montesquieu, lui-même magistrat au Parlement de Bordeaux, avaient théorisé la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice.

Durant la première Révolution, vous l’avez rappelé, madame la garde des sceaux, les magistrats étaient élus, certes au suffrage censitaire mais tout de même, ce qui faisait que la majorité des gens étaient exclus de cette désignation.

Ne soyez donc pas surpris de notre attachement à une plus large indépendance du système judiciaire et à celle de tous les magistrats, ceux du siège comme ceux du parquet. S’ils sont chargés de mettre en oeuvre la politique pénale, les magistrats du parquet ne doivent dépendre que d’elle et non pas du pouvoir politique.

C’est là toute l’importance de ce projet de loi qui vise à empêcher toute ingérence de l’exécutif dans le déroulement des procédures judiciaires et notamment des procédures pénales. L’enjeu est important : nous avons tout intérêt à lever les soupçons de nos concitoyens à l’égard des liens, qui ont été parfois partisans, entre le pouvoir politique et la justice. Le lien de confiance s’est fissuré entre la justice et les citoyens au fil des chroniques judiciaires, au point que la cote de désamour des juges en vient à côtoyer celles des hommes politiques et des banquiers.

C’est pourquoi il importe d’inscrire clairement dans la loi la prohibition des instructions individuelles du ministre de la justice aux magistrats du parquet. Nous apportons tout notre soutien à ce projet de loi qui permet d’entrevoir une fin à cette pratique contestable pour notre démocratie.

Rappelons toutefois que si les instructions individuelles sont peu fréquentes – il n’y en a eu aucune entre 1997 et 2002 et seulement une petite dizaine par an au cours des dernières années –, les instructions orales ont pu être plus fréquentes et porter évidemment sur des affaires délicates.

Les instructions orales, par leur nature, ne sont pas versées au dossier, et il n’est pas totalement fantaisiste de croire que nombre d’entre elles aient été suivies. Plusieurs journaux ont ainsi souligné les interventions de membres du cabinet de différents gardes des sceaux ou celles de la direction des affaires criminelles et des grâces pour transmettre oralement des consignes aux parquets.

Cela est permis par l’organisation très hiérarchisée du parquet dont le ministère de la justice est maître des carrières. Tant que l’évolution de ces dernières restera en partie entre les mains de la chancellerie, il subsistera un doute sur la soumission, consciente ou non, des magistrats du parquet à leur environnement politique proche. Le fait que les substituts puissent être dessaisis à tout moment par leur procureur pose également des problèmes pour leur indépendance. L’affaire de l’hélicoptère envoyé dans l’Himalaya pour récupérer un procureur de la République d’Évry afin de mettre au pas un procureur adjoint trop indépendant est restée fameuse.

Même si cela relève moins des liens entre la chancellerie et le parquet que de l’organisation du parquet lui-même, il faudra veiller à ce que l’autonomie et la protection des magistrats du parquet rejoignent à terme celle des magistrats du siège.

La réforme du Conseil supérieur de la magistrature, examinée hier dans notre hémicycle, prévoit des avancées importantes dans ce domaine en confiant au CSM un rôle substantiellement renforcé dans la nomination des magistrats du parquet. Il est proposé que la nomination de ces derniers soit désormais subordonnée à l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, de même que lui revienne la procédure disciplinaire qui appartient actuellement au ministre de la justice.

La réforme du Conseil supérieur de la magistrature est donc une nécessité si l’on souhaite que la fin des instructions individuelles par le pouvoir exécutif ait une réelle incidence sur l’indépendance des magistrats du parquet.

Dès lors, nous ne pouvons que regretter le refus exprimé par l’opposition de soutenir ce texte, car l’indépendance de la justice aurait mérité un consensus transpartisan. L’opposition pourra ainsi continuer à s’élever dans la presse contre les décisions de justice qui ne lui conviennent pas, au mépris du respect le plus élémentaire de l’indépendance de la justice, ce dont le juge Gentil a fait la triste expérience récemment. C’est le système judiciairein extenso la démocratie qui sont décrédibilisés par de telles critiques venant de parlementaires.

En tout état de cause, il convient de mettre fin dans la loi aux types de pressions qui peuvent déjà être prohibées. Les instructions individuelles sont autorisées par le dernier alinéa de l’article 30 du code de procédure pénale résultant de la loi du 9 mars 2004. Mettons-y fin en veillant donc à ce que le terme d’instructions individuelles recouvre le spectre le plus large des pratiques, qu’elles soient écrites, orales ou autres. C’est le sens de l’un de nos amendements qui vise à renforcer le caractère impératif de l’interdiction de toute instruction individuelle.

Il ne faudrait pas qu’avec la suppression des instructions écrites, versées au dossier, nous oubliions les instructions orales qui, pour être moins visibles car non versées au dossier, n’en existent pas moins.

Nous affichons notre satisfaction de voir exprimée la volonté d’une plus forte publicité de ces instructions générales de politique pénale, comme l’a souhaité le rapporteur.

Je tiens également à remercier Mme la garde des sceaux de soutenir sans hésiter une demande de la commission des lois : que le Gouvernement informe tous les ans le Parlement de la mise en oeuvre de sa politique pénale par le biais d’une déclaration éventuellement suivie d’un débat. C’est la preuve de l’engagement sans faille de Mme la garde des sceaux en faveur d’une transparence retrouvée de l’action politique et du fonctionnement de la justice en France.

L’organisation d’un débat autour du rapport annuel de politique pénale établi par le procureur de la République au cours des assemblées générales des magistrats du siège et du parquet des tribunaux de grande instance procède de la même logique de transparence.

Pour aller encore plus loin dans cette transparence, nous présenterons deux amendements visant à ce que les éventuels rapports particuliers des procureurs généraux au ministre de la justice, portant sur une ou plusieurs affaires individuelles, puissent être versés à la procédure. Dès lors qu’ils n’ont pas pour objet d’aboutir à une quelconque instruction, il convient que les éventuels rapports individuels soient donnés à la connaissance de l’ensemble des parties et des magistrats travaillant sur le dossier, notamment pour l’exercice des droits de la défense.

En définitive, cette réforme est emblématique des principes directeurs qui guident la nouvelle politique pénale qu’a décidé d’impulser notre garde des sceaux – et bien sûr le Président de la République –, et nous la soutenons totalement dans cette voie.

Cette réforme est également fidèle à la ligne de conduite du Gouvernement qui, depuis le début, s’est efforcé d’être responsable et garant de l’indépendance de la justice, comme en témoigne la création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Cahuzac. En instaurant des rapports plus sains et transparents entre la Chancellerie et le parquet, la gauche désire mettre fin aux soupçons d’une justice aux ordres dont les citoyens ont plus qu’assez d’apprendre les ressorts dans la presse.

Consacrer l’indépendance de la justice était un engagement du Président de la République. Nous sommes fiers de pouvoir y contribuer aujourd’hui. C’est donc avec enthousiasme et conviction que nous voterons pour ce projet de loi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion