Intervention de Marc Dolez

Séance en hémicycle du 29 mai 2013 à 21h30
Attributions du garde des sceaux et du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique. — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarc Dolez :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le renforcement des garanties d’indépendance et d’impartialité du parquet est aujourd’hui un impératif démocratique. En effet, ainsi que le souligne à juste titre l’exposé des motifs du projet de loi que nous examinons ce soir, « l’indépendance de la justice constitue une condition essentielle du fonctionnement d’une démocratie respectueuse de la séparation des pouvoirs. »

Oui, le renforcement de l’indépendance des magistrats du parquet est une nécessité afin que soit levé tout soupçon sur leur impartialité. La confiance du justiciable s’en trouvera assurément grandie. C’est d’ailleurs ce que le premier président de la Cour de cassation a rappelé à l’occasion de l’audience solennelle de rentrée du 7 janvier 2011 : « La justice doit recevoir de la société autant qu’elle lui apporte. Ce qu’il lui faut obtenir et ce qu’il lui appartient de donner, c’est de la confiance. L’indépendance et la déontologie des magistrats en sont les ressorts majeurs. » Les magistrats du parquet gagneraient en sérénité, car, en l’état actuel du droit, le doute peut toujours germer sur les conditions dans lesquelles ils travaillent.

Nous partageons donc pleinement l’ambition de ce projet de loi qui entend, par la clarification de l’architecture des relations entre le garde des sceaux et les magistrats du ministère public, empêcher toute ingérence de l’exécutif dans le déroulement des procédures pénales.

Le projet de loi restitue ainsi au garde des sceaux la responsabilité d’animer la politique pénale du Gouvernement sur l’ensemble du territoire, conformément à l’article 20 de la Constitution, et le parquet se voit confier le plein exercice de l’action publique. En clair, il revient au ministre de la justice de définir les priorités de la politique pénale et aux procureurs généraux et aux procureurs de décliner ces orientations générales dans leur ressort.

Le principe de subordination hiérarchique n’est aucunement inconciliable avec l’indépendance des magistrats. Comme le souligne le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 mars 2004, le pouvoir du garde des sceaux d’adresser au ministère public des instructions de portée générale et de l’enjoindre à exercer des poursuites ne porte atteinte à aucune exigence constitutionnelle, notamment pas au principe d’indépendance de l’autorité judiciaire.

Si les instructions formulées dans le cadre de la politique d’action publique peuvent aisément se concevoir, que ce soit pour garantir une bonne conduite de la politique pénale de la nation ou l’égalité des citoyens devant la loi, en revanche, les instructions individuelles ne sont pas de nature à éloigner le spectre de la politisation du pouvoir juridictionnel.

L’inscription explicite dans la loi de l’interdiction des instructions du garde des sceaux dans les affaires individuelles constitue donc une avancée importante. Cette disposition majeure du projet de loi permet de concilier le principe selon lequel le Gouvernement conduit la politique de la nation, en l’occurrence la politique pénale, avec l’exercice de l’action publique par des magistrats indépendants et impartiaux, bien que hiérarchiquement subordonnés.

Cette interdiction explicite marque une profonde rupture, salutaire, avec un passé récent, notamment avec la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, qui avait renforcé le pouvoir hiérarchique du garde des sceaux en maintenant les instructions individuelles et en étendant ses prérogatives à la conduite de l’action publique, jusqu’alors réservée aux seuls magistrats du parquet.

Les consignes particulières données par le ministre dans le cadre d’affaires spécifiques ne relèvent pas, en effet, d’une politique pénale légitime. Elles s’apparentent au contraire à des pressions exercées sur l’autorité judiciaire. La séparation des pouvoirs étant nécessaire dans tout système démocratique, l’exécutif doit s’abstenir de s’immiscer dans les procédures judiciaires.

Sur ce point, je veux ici rappeler la position de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, exprimée dans son avis de 2010 sur la réforme de la procédure pénale : « Si la CNCDH reconnaît la nécessité d’asseoir une politique pénale au moyen d’instructions générales adressées au parquet, elle estime que des garanties d’indépendance du parquet devraient être assurées, d’une part, par une nomination sur avis conforme d’un Conseil supérieur de la magistrature rénové et, d’autre part, par la suppression pure et simple dans les textes des instructions individuelles. »

En lien avec la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, ce projet de loi, même s’il ne propose pas, à juste titre, un statut véritablement rénové du parquet, permet de trouver un point d’équilibre entre la compétence du ministre de la justice dans la conduite de la politique pénale déterminée par le Gouvernement et l’attribution au ministère public de l’exercice de l’action publique.

J’ajoute que des améliorations apportées par notre commission des lois à l’initiative de notre rapporteur donnent des garanties supplémentaires en termes de transparence.

Nous souscrivons en particulier au principe de publicité des instructions générales de politique pénale, qui sont adressées par le garde des sceaux aux magistrats du ministère public, afin que chaque citoyen puisse connaître des choix du ministre de la justice en matière de politique pénale. Dans le même esprit, nous sommes favorables à une déclaration, chaque année, du Gouvernement devant le Parlement, qui pourrait être suivie d’un débat, sur la mise en oeuvre de sa politique pénale.

L’interdiction désormais faite au garde des sceaux d’adresser aux magistrats du ministère public aucune forme d’instruction dans les affaires individuelles revêt une forte valeur symbolique. Cette prohibition sera gravée dans le marbre de la loi, même si aucune disposition du texte n’en garantit l’effectivité dans la pratique. L’on pourrait également s’interroger sur l’incidence réelle de cette interdiction sur certaines pratiques professionnelles telles que celles relatées par le Syndicat de la magistrature dans ses observations du 16 mai 2013 sur le projet de loi. Il serait, selon lui, encore d’usage, dans de nombreux parquets, d’imposer aux substituts de demander à leurs supérieurs hiérarchiques l’autorisation d’ouvrir une information judiciaire, ou de faire signer par ces mêmes supérieurs leurs réquisitoires définitifs en matière criminelle, alors que chaque magistrat du parquet est censé, aux termes de la loi, pouvoir choisir les modalités des poursuite qu’il estime adaptées. La Cour de cassation a d’ailleurs rappelé qu’un magistrat du parquet « puise en sa seule qualité, en dehors de toute délégation de pouvoir, le droit d’accomplir tous les actes rentrant dans l’exercice de l’action publique. »

Au-delà de ces interrogations, nous considérons que ce projet de loi constitue une avancée réelle et importante pour lever les soupçons de dépendance et de partialité qui décrédibilisent l’institution judiciaire aux yeux de nos concitoyens. C’est la raison pour laquelle les députés du Front de gauche voteront pour ce projet de loi.

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