Intervention de Étienne Blanc

Séance en hémicycle du 29 mai 2013 à 21h30
Attributions du garde des sceaux et du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique. — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉtienne Blanc :

Madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, vous nous soumettez aujourd’hui un texte portant sur l’article 30 du code de procédure pénale. Ce texte promeut, selon vous, une nouvelle indépendance des magistrats du parquet. Le moins que l’on puisse dire, monsieur le rapporteur, c’est que vous n’avez pas manqué de prétention dans votre exposé. Vous nous avez dit que cette réforme, essentielle, considérable, allait ouvrir une ère nouvelle : voici que cette ère nouvelle s’ouvre devant une vingtaine de nos collègues, dans une ambiance un peu lourde, voire un peu terne. Si réforme de fond il devait y avoir, elle n’est en tout cas pas portée politiquement par votre majorité !

En réalité, ce texte traduit l’échec prévisible de votre réforme constitutionnelle sur le Conseil supérieur de la magistrature. Tout le monde s’attend à cet échec. Le Président de la République capitulera-t-il en rase campagne au vu de l’éclatement de sa majorité et du peu de soutien qu’il a obtenu des autres formations politiques sur ce texte qu’il considère essentiel ? Tentera-t-il, à l’inverse, l’aventure de réunir le Parlement en Congrès à Versailles ? Vous voulez pouvoir dire aux Français : « Nous avons tout fait, regardez : nous avons même adopté un texte pour rendre les magistrats du parquet indépendants. » Ce texte-là n’est pas un texte fondateur : c’est une roue de secours pour pallier l’échec prévisible de votre réforme constitutionnelle.

Par ailleurs, ce texte est inutile. Vous l’avez écrit vous-même, monsieur le rapporteur, et l’étude d’impact que nous a transmise Mme la garde des sceaux le montre clairement : en dix ans, de 2003 à 2013, 37 instructions individuelles ont été prises, soit moins de quatre par an ! Et voici qu’en supprimant ces instructions individuelles, vous modifieriez considérablement le cours des choses et vous rendriez notre justice plus indépendante ? Non, bien évidemment !

Ce texte aura surtout des conséquences funestes et éminemment politiques. Madame la garde des sceaux, vous êtes légitime aux yeux des élus du peuple car vous répondez devant eux la politique que vous menez. Désormais, entre le peuple français et les magistrats, vous ne jouerez plus le rôle de fusible. En cas de dysfonctionnement, le peuple se retrouvera seul face aux juges, car vous aurez renoncé à ces instructions individuelles. Elles sont pourtant essentielles. Qui plus est, elles assurent, sur l’ensemble du territoire national, la cohérence de la politique pénale. Il y a, bien sûr, des instructions générales, mais que vaudront-elles si vous ne vous donnez pas les moyens de vous assurer qu’elles sont mises en oeuvre ? Si vous ne pouvez plus vous assurer qu’elles sont bien appliquées sur telle ou telle portion du territoire national ?

Enfin, madame la garde des sceaux, vous tentez, en nous présentant ce texte, de cacher le véritable problème de notre justice. Le problème de la justice, en France, n’est pas celui de son indépendance. J’ai entendu M. Truche parler de la manière dont un procureur de la République considère les instructions qui lui sont envoyées, ou les ordres qui lui sont transmis. Les magistrats de France, y compris ceux du parquet, font preuve de discernement, et savent faire la part des choses lorsque l’autorité politique tente de s’immiscer de manière excessive dans une affaire individuelle.

La réalité, madame la garde des sceaux, c’est que notre justice souffre d’une politisation extrême, une politisation qui jette une suspicion bien compréhensible sur l’impartialité de nos juges.

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