Intervention de Hélène Vainqueur-Christophe

Séance en hémicycle du 7 janvier 2014 à 15h00
Agriculture alimentation et forêt — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHélène Vainqueur-Christophe, rapporteure de la délégation aux outre-mer :

Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’exprimer tout le soutien de la délégation aux outre-mer aux victimes du cyclone Bejisa qui a si durement touché l’île de La Réunion, notamment aux exploitants agricoles qui ont tant perdu. Je souhaite qu’ils soient au plus vite indemnisés afin qu’ils puissent surmonter cette épreuve le plus rapidement possible.

J’en viens au texte qui nous intéresse aujourd’hui. Vous n’ignorez pas que, dès sa création, la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale a souhaité se saisir du thème de l’agriculture ultramarine. En effet, c’est tout juste après sa constitution début 2013 qu’elle a confié un rapport d’information sur les agricultures des outre-mer à deux de ses membres, Mme Chantal Berthelot et M. Hervé Gaymard. Cet intérêt privilégié de la délégation pour l’agriculture s’explique par le fait que le secteur primaire est un secteur clef pour les outre-mer. En termes d’emplois et d’activité, l’agriculture pèse ainsi deux fois plus lourd dans les outre-mer qu’en France hexagonale. Elle représente actuellement 1,4 % à 4,4 % du PIB et de 2 % à 7 % de l’emploi en fonction des départements, contre 2,2 % et 3,3 % respectivement en métropole.

L’excellent rapport d’information de Mme Berthelot et de M. Gaymard a mis en exergue un certain nombre de propositions, dont certaines ont été reprises par ce projet de loi, comme par exemple la création d’un comité régional pour assurer la coordination des politiques agricoles de manière très fine, au niveau des territoires, plus particulièrement pour assurer la gestion des crédits délégués et régionalisés du FEADER.

Cependant, au vu des conclusions du rapport d’information précité, la délégation aux outre-mer a jugé que le présent texte pouvait encore être amélioré et qu’il pouvait s’ouvrir davantage aux propositions formulées par les deux rapporteurs.

En effet, le projet initial ne comportait que quatre articles consacrés aux outre-mer. Il était donc loin de constituer un ensemble complet. A fortiori, il était loin de constituer la loi de programmation pour l’agriculture ultramarine que certains espéraient et que le Président de la République avait promise dans ses trente engagements pour les outre-mer. C’est la raison pour laquelle la délégation m’a demandé, en qualité de rapporteure, de présenter aujourd’hui certaines de ses principales préoccupations.

Je commencerai par rappeler les difficultés auxquelles sont aujourd’hui confrontées les agricultures ultramarines et j’indiquerai les solutions que le Gouvernement a retenues pour y faire face. Dans un second temps, je vous ferai part des compléments qui ont été apportés au texte à l’initiative de la délégation, lors de l’examen en commission, et je vous présenterai les modifications qui pourraient être encore intégrées à ce projet.

Commençons donc par un bref état des lieux des agricultures ultramarines. Tout d’abord, les exploitations d’outre-mer sont en moyenne assez petites, oscillant entre 3,5 et 5 hectares. De cette petite taille procède toute une série d’effets défavorables qui fragilisent tant les exploitations que les exploitants : beaucoup d’exploitants ne peuvent pas s’affilier au régime de protection sociale des non-salariés agricoles ; les retraites, calculées sur la surface pondérée de l’exploitation, sont très faibles ; il existe de multiples indivisions qui apparaissent au décès des chefs d’exploitation ; les exploitations étant souvent trop petites pour être durablement viables, elles sont fréquemment vendues pour alimenter les besoins des constructeurs en terrains à bâtir ; on constate dans tous les DOM, sauf en Guyane, une baisse impressionnante du foncier agricole. Ainsi, au cours des vingt dernières années, la surface agricole utile de la Guadeloupe a diminué de 33 %, celle de la Martinique de 32 %, celle de La Réunion de 15 %. Les surfaces foncières agricoles permettant de développer l’agriculture et d’installer de nouveaux agriculteurs sont donc rares, et ce fait constitue un frein très important au développement agricole outre-mer.

Ensuite, plusieurs difficultés affectent les filières. Tout d’abord, en dépit de leurs efforts pour promouvoir une agriculture fondée sur des pratiques écologiques, toutes les filières font face à une insuffisance criante de produits sanitaires et phytosanitaires homologués leur permettant de lutter efficacement contre les maladies propres aux cultures tropicales. À cause de ce déficit, monsieur le ministre, 20 % seulement des maladies sont effectivement traitées – soit un taux de couverture qui serait tout bonnement impensable en France métropolitaine ! De ce fait, certaines espèces sont désormais en voie d’extinction dans les outre-mer.

D’autre part, les filières d’exportation subissent une forte concurrence sur les marchés mondiaux. Je ne citerai que la banane « dollar » et la concurrence très forte des rhums de sucrerie produits au Brésil et dans le Sud des États-Unis face aux rhums agricoles traditionnels des départements d’outre-mer.

Troisièmement, les filières exportatrices sont dans l’incertitude quant aux décisions qui seront prises dans le cadre du POSEI – Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité. Pour leur part, les filières agricoles de diversification, animale et végétale, ne sont pas toujours bien structurées : elles ne perçoivent que très peu de crédits du POSEI et, lorsque c’est le cas, ces crédits s’apparentent à du saupoudrage.

Enfin, les petites filières sont en attente d’un accompagnement accru – ne serait-ce qu’aux plans juridique et technique – en particulier de la part des chambres d’agriculture. Or, cet accompagnement est toujours inexistant à ce stade.

Pour conclure cet état des lieux, permettez-moi de vous faire part de trois grands problèmes qui ont trait à l’installation des jeunes agriculteurs. Premièrement, comme les transmissions d’entreprises sont rares dans le secteur agricole parce que les exploitants conservent leurs exploitations jusqu’à un âge très avancé afin de ne pas se retrouver sans revenus, les candidats à l’installation trouvent assez peu de propriétés à reprendre. Ensuite, l’effectif annuel des dossiers qui aboutissent semble limité et, lorsque les dossiers sont acceptés, les jeunes agriculteurs éprouvent les plus grandes difficultés pour obtenir des prêts de la part des banques. La dotation aux jeunes agriculteurs tient donc souvent lieu de seul apport personnel, alors que ce n’est pas son rôle. Enfin, compte tenu de la faiblesse de leur trésorerie, les jeunes agriculteurs tendent à ne plus exercer leur profession à temps plein et sont candidats à l’installation assez tard, en moyenne à 34,5 ans. Une fois installés, ils doivent souvent pratiquer des activités secondaires pour compléter le revenu tiré de leur activité agricole.

Pour répondre à ces différents problèmes, le projet de loi d’avenir, dans sa version initiale, c’est-à-dire avant les ajouts apportés lors de l’examen en commission, s’est attaché à promouvoir un certain nombre de solutions.

L’article 3 du projet crée le GIEE – le groupement d’intérêt économique et environnemental – qui doit permettre de regrouper les petites exploitations et de favoriser les circuits courts entre producteurs et consommateurs.

L’article 13 actualise les dispositions régissant l’activité des SAFER. Leur gouvernance est améliorée, leur droit de préemption consolidé, et ce droit pourra intervenir également lors de la cession d’exploitations sous la forme de parts sociales.

L’article 14 étend les dispositions du contrat de génération à l’agriculture.

L’article 34 est l’article pivot du titre qui constitue la partie spécifiquement « ultramarine » du texte. Parmi ces mesures, je citerai les dispositions suivantes : l’institution des Comités d’orientation stratégique et de développement agricole – les COSDA –, des plans de développement régionaux pour servir de cadre à leur action et la modification des règles de vote en usage dans les indivisions pour donner à bail un bien agricole.

Le III de l’article crée des obligations nouvelles pour le bailleur en cas de reprise d’un terrain donné à ferme par un nouveau bénéficiaire. Le IV prévoit la passation de contrats d’objectifs et de performance entre l’État, les régions et les chambres d’agriculture. Enfin, le paragraphe VIII valorise les produits locaux dans les marchés publics de restauration collective, une mesure déjà portée dans la loi sur la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer, que j’ai eu l’honneur de vous présenter il y a quelques mois de cela.

Les trois articles suivants qui complètent le volet outre-mer du projet sont surtout des articles de recodification.

Voici donc, résumées, les réponses apportées par le projet de loi, dans sa version initiale, face aux difficultés des agricultures ultramarines.

Ces réponses ont paru cependant insuffisantes à la délégation aux outre-mer. Elle m’a donc donné mandat pour compléter le texte par treize amendements. Malheureusement, messieurs les ministres, mes chers collègues, tous ces amendements n’ont pu aboutir en commission.

Ces amendements, présentés en détail dans mon rapport d’information, intitulé « Pour une agriculture d’avenir dans les outre-mer », étaient les suivants : quatre amendements concernant l’installation des jeunes agriculteurs, dont un amendement pour créer un fonds de garantie pour les prêts bonifiés et un amendement pour faire passer à trente-cinq ans l’âge limite pour les admissions au dispositif du contrat de génération dans les exploitations agricoles ultramarines ; un amendement chargeant l’ANSES de veiller tout particulièrement à la délivrance des autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires destinés à l’agriculture pratiquée en milieu tropical ; six amendements concernant la préservation des structures foncières ; enfin, un amendement favorisant la conclusion de contrats d’objectifs entre les organisations professionnelles des filières agricoles et les réseaux d’innovation et de transfert agricoles – les RITA.

Ont été retenus par le Gouvernement – nous l’en remercions – l’amendement instituant un préambule pour les dispositions contenues dans le titre VI du projet de loi et celui prévoyant la transmission des études d’impact et des évaluations environnementales aux commissions départementales d’orientation agricoles – les CDOA.

Somme toute, la délégation reconnaît qu’elle a été entendue sur certains thèmes. Néanmoins, elle estime qu’il reste encore des étapes à franchir pour que le texte réponde à l’urgence à laquelle font face nos agricultures. Elle souhaite donc, dans le cadre de l’examen en séance publique qui débute aujourd’hui, que plusieurs modifications puissent être encore prises en compte au titre du projet de loi.

Tout d’abord, la délégation voudrait que le Gouvernement dépose deux amendements reprenant deux de ses propositions qui n’ont pu aboutir en commission : l’un pour créer un fonds de garantie pour les prêts bonifiés susceptibles d’être attribués aux jeunes agriculteurs – cet organisme pourrait être le Fonds de garantie agriculture-pêche-bois – et l’autre pour faire passer à trente-cinq ans l’âge limite retenu pour les admissions des jeunes agriculteurs ultramarins au dispositif du contrat de génération.

Par ailleurs, la délégation apprécierait que le Gouvernement émette un avis favorable sur trois amendements qui lui semblent particulièrement importants.

Il s’agit tout d’abord de l’amendement, déposé à l’article 22, relatif à la délivrance par l’ANSES – l’Agence nationale de sécurité sanitaire et de l’alimentation, de l’environnement et du travail – des autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires destinés à l’agriculture pratiquée en milieu tropical. L’adoption de cet amendement serait, monsieur le ministre, un acte politique fort témoignant de l’engagement du Gouvernement en faveur des agricultures ultramarines.

Il s’agit ensuite de l’amendement, déposé après l’article 34, confiant au COSDA le soin de définir le périmètre et le règlement d’une zone agricole protégée.

Enfin, nous aimerions que le Gouvernement donne un avis favorable à l’amendement concernant l’adaptation du contrat de fiducie aux exploitations agricoles ultramarines, qui permettra de répondre aux problèmes de succession que je vous ai précédemment exposés.

Nous comptons très vivement sur vous, messieurs les ministres, pour accéder à ces souhaits émanant de toute la communauté des outre-mer.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion