Intervention de Nicolas Dhuicq

Séance en hémicycle du 10 janvier 2014 à 15h00
Agriculture alimentation et forêt — Après l'article 18

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Dhuicq :

Je prendrai un peu de temps pour que nous fassions ensemble un peu de ce qu’on appelait autrefois l’histoire naturelle, à l’époque où l’écologie désignait la partie de la science qui s’occupait de l’étude des biotopes et des relations entre les différentes espèces, quels que soient leur ordre et leur genre.

Dans un espace naturel, il y a un rapport entre les proies et les prédateurs. En l’occurrence, nous sommes avec le loup face à un superprédateur, c’est-à-dire un prédateur qui se situe au sommet de la chaîne alimentaire, qui n’a aucun autre concurrent que lui-même. Certaines études menées dans les réserves africaines montrent qu’au sein d’un groupe de mammifères, le rapport du nombre de prédateurs au nombre de proies se situe entre 1 % et 2 %. Chez les dinosaures, et je vous encourage à vous intéresser à ces animaux extrêmement intelligents, chers collègues, ce rapport était beaucoup plus élevé – de 4 % à 5 % – et il l’est un peu plus encore chez les reptiles qui, n’étant pas homéothermes, tirent leur énergie d’une autre source que les protéines qu’ils ingèrent.

Que se passe-t-il aujourd’hui ? Le loup est un professionnel de la chasse qui appartient à une espèce sociale extrêmement intelligente. Il rencontre de nos jours des bipèdes dont la majeure partie vit entre quatre murs de bétons et, lorsqu’elle parcourt des routes de campagnes, voit des espaces vides là où les ruraux voient des champs cultivés, des forêts entretenues ou des vignes soignées avec amour. Ces remarques pourraient paraître superficielles, si ce n’est qu’il est important de bien prendre en considération les modes de prédation du loup.

Les loups effectuent chaque jour 80 à 100 kilomètres de déplacement. Ils mettent leurs pattes dans les traces du chef de meute pour ne pas montrer combien ils sont. Ils s’adaptent extrêmement vite. Lorsque les bergers ont protégé leurs troupeaux la nuit, les loups se sont mis à chasser le jour. Les clôtures ne protègent rien. Les patous se font maintenant régulièrement égorger et on parle de chiens venus d’Anatolie, qui seraient les seuls capables d’agresser les loups. Cependant, pour ces canidés normalement serviteurs de l’homme, tout animal, qu’il soit bipède ou non, se trouvant entre le troupeau et le berger et eux est un ennemi et il faut donc l’agresser. Cela provoque des accidents avec les promeneurs.

Mais il y a pire. Nous avons deux populations de loups en Europe : une venue de Pologne, et une venue d’Italie du nord. C’est cette dernière qui se répand actuellement et qui est en train de reconquérir le territoire que le loup occupait au dix-septième siècle, époque où les gouvernants avaient commencé à adopter des plans pour éradiquer le loup de nos campagnes. Ces efforts se sont poursuivis jusqu’au vingtième siècle.

Le loup n’est pas non plus un charognard, comme on l’entend régulièrement. C’est un animal qui tue la bête qu’il veut consommer, qui, comme un chirurgien extrêmement bien entraîné, fait un volet de peau, ouvre l’abdomen de l’animal, élimine les intestins et l’estomac et mange le foie et la rate parce que ce sont les organes les plus concentrés en énergie et en vitamines. Le reste des cadavres est consommé par les prédateurs de rang inférieur, jusqu’à nos sangliers.

La présence du loup dans notre pays serait actuellement de 250 individus. Une louve peut mettre bas 2,3 louveteaux viables par an. Chaque fois que la meute compte un nombre trop important d’individus, c’est-à-dire chaque fois que la pression des prédateurs devient trop importante en fonction de la densité de gibier disponible, la louve ou un loup quitte la meute pour fonder une autre meute ailleurs.

Le loup est arrivé dans l’est de la France, aux alentours du département de la Haute-Marne, dès l’année 2012, et il est parvenu cette année en Haute-Marne et dans l’Aube. En trois mois de temps il a décimé 1 % du cheptel ovin du département de l’Aube.

En outre, lorsqu’il est face à des brebis, le loup ne se limite pas à n’en tuer qu’une seule. Cela entraîne des conséquences graves pour l’éleveur, qui n’est indemnisé que pour la brebis elle-même, et non pour l’agneau à naître, alors qu’une attaque entraîne un avortement dans au moins 50 % des cas. Le troupeau de brebis, lorsqu’il est agressé par ce prédateur auquel il n’est plus du tout habitué, a des réflexes de peur : il est tétanisé. Régulièrement, plusieurs brebis se font égorger parce que les jeunes loups doivent apprendre à chasser. C’est un comportement tout à fait naturel : il suffit d’observer vos chats domestiques dans le jardin lorsqu’ils font leur travail de prédateur local : c’est leur métier d’être des chasseurs.

On parle des attaques menées par le loup et des moyens de supprimer l’agresseur, mais vous aurez remarqué que cet été le préfet du Var ne trouvait plus de chasseurs sachant chasser le loup, mes chers collègues. Il a dû passer des annonces en Espagne et en Italie pour en trouver. Pis : en Italie, il semblerait que des croisements s’effectuent entre des chiens et des loups, un mélange génétique qui produit des animaux n’ayant plus peur de l’homme et étant de ce fait plus dangereux que le prédateur naturel.

Le loup s’adapte extrêmement vite et se déplace. Dans les trois ans qui viennent, il aura parcouru quelques centaines de kilomètres supplémentaires et sera en région parisienne. Faudra-t-il attendre que nous en revenions à la situation du dix-huitième siècle, c’est-à-dire qu’il y ait des attaques de promeneurs, essentiellement des enfants car les victimes du loup à l’époque étaient les enfants et les bergers qui gardaient les troupeaux ? Faudra-t-il attendre qu’il attaque des hommes alors que nous parlons d’un loup qui, à terme, n’aura plus peur de lui ?

Les États-Unis d’Amérique, qui disposent de grandes réserves naturelles où il peut y avoir entre les proies et les prédateurs un ratio proche de celui qu’on aurait pu observer dans une nature originelle, suppriment quant à eux la meute dans son ensemble en cas d’attaque. Cela répond au débat que nous avions voilà quelques instants. En effet, il ne suffit pas de tuer le chef de meute, car alors un autre loup prend sa place. Aux États-Unis, dès que des loups s’approchent trop près d’un troupeau, c’est toute la meute qui est tuée.

Nous sommes face à 300, 340 loups qui se reproduisent, qui seront 600 dans une dizaine d’années et qui vont reconquérir l’ensemble du territoire national. C’est de mauvais augure pour la cohabitation entre le loup et non seulement le pastoralisme mais aussi l’élevage. En effet, quatre attaques de veaux ont eu lieu en Haute-Marne dans une étable, un cheval a été égorgé par un loup et les chasseurs découvrent dans les bois de nombreux cadavres de chevreuils qui sont la proie du loup.

En France, nous dépensons de mémoire environ 40 millions d’euros, dont seulement 8 millions reviennent aux éleveurs. En 2012, plus de 6 000 brebis avaient été massacrées par les loups. Ce nombre sera certainement beaucoup plus important cette année ; rien que dans l’Aube, entre 100 et 200 brebis ont été tuées.

Nous avons donc un problème majeur, lié à des décisions européennes. Je fais partie d’une génération qui a lu Conan Doyle et James Oliver Curwood dans sa jeunesse. Nous avons tous lu Barry chien-loup ou Croc Blanc, ces excellents romans qui se passent dans le grand nord canadien. Nous avons tous un immense respect pour cet animal totémique qu’est le loup, un très bel animal en vérité, mais qui n’a plus sa place sur le territoire national dès qu’il sort des réserves où la cohabitation avec la faune sauvage et avec l’homme est possible.

Je le dis clairement : si nous ne prenons aucune décision, le nombre d’animaux connaîtra une croissance exponentielle. Comme le signalent les exposés des motifs de nos amendements, il faut une mobilisation d’énergie gigantesque pour arriver à tirer un seul animal. À cela s’ajoute le fait que l’on doit effectuer des examens génétiques pour prouver qu’il s’agit bien d’un loup et non d’un chien errant. Il faut alors attendre six ou sept mois les résultats, pour un coût nettement supérieur à celui de laboratoires suisses comparables.

Je m’arrêterai là pour la défense de ce premier amendement que j’ai cosigné avec mon ami Henri Guaino, lequel, en urbain sage, a conservé la connaissance de l’histoire de France et de l’intérêt national. Souhaitons qu’il puisse un jour donner au pays tout ce dont il est capable.

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