Intervention de Serge Letchimy

Séance en hémicycle du 10 janvier 2014 à 21h30
Agriculture alimentation et forêt — Article 22

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy :

Nous abordons une question extrêmement sérieuse, et s’il est des régions qui ont subi de manière très directe les conséquences de l’utilisation massive de produits phytosanitaires inadaptés à leurs réalités humaines, c’est bien la Martinique et la Guadeloupe avec l’affaire de la chlordécone. Il s’agit d’une catastrophe sanitaire, humaine, sociale et culturelle extrêmement grave qui démontre bien à la fois la nécessité d’une très grande prudence et surtout l’importance de la volonté d’aller vers l’agriculture écologique. Nous en payons le prix très lourdement puisqu’il y a beaucoup de décès. Il est prouvé que les cancers de la prostate sont pour la plupart liés chez nous à l’utilisation de la chlordécone. Nous en avons subi les conséquences jusqu’à la pollution des nappes phréatiques et des côtes maritimes, empêchant de pêcher sur une grande partie des eaux martiniquaises. Cela montre bien que ce texte est extrêmement important. Il nous conduit vers l’agro-écologie, privilégiant le savoir-faire mais surtout les solutions de bio-contrôle et essayant d’éviter la pression des firmes fabriquant des produits phytosanitaires.

C’est pourquoi, je le dis clairement d’emblée, je ne suis pas dans une logique d’agriculture intensive conduisant à l’utilisation de ce genre de produits. Mais nous avons un problème spécifique, et c’est pourquoi je regretterai toujours qu’il n’y ait pas un texte particulier pour l’outre-mer : comme le marché antillais ou réunionnais n’intéresse pas fondamentalement les grands trusts de la production phytosanitaire – ce n’est pas rentable – on déverse chez nous ce qui est produit banalement pour les États-Unis ou ailleurs. Comment sortir de ce piège ? Cela nous met dans une situation extrêmement compliquée. Et puis, pour prendre l’exemple de la banane, les pays d’Amérique centrale n’utilisent pas les mêmes produits que nous alors que leurs bananes bénéficient des mêmes règles d’entrée sur le marché européen, hormis un avantage financier nous permettant d’équilibrer les coûts.

Comment répondre au problème, monsieur le ministre ? Il faut trouver des solutions adaptées aux réalités culturelles et environnementales locales. Pour y parvenir, il faut utiliser les savoirs ancestraux, mais tout en créant les conditions de recherche-développement permettant non pas seulement d’assurer une production durable de la banane, production qui a fait des efforts conséquents, mais aussi sa diversification. La difficulté, c’est qu’il n’y a aucune adéquation entre les mécanismes de production au niveau européen et sur le plan local. Il faut plaider pour des laboratoires régionaux dans le bassin caribéen, dans le bassin de l’Océan indien et dans celui de l’Océan pacifique pour que se créent des adéquations entre les conditions de production permettant à la fois de répondre aux enjeux locaux et de lutter contre les parasites. Il serait alors possible d’établir une coopération très élargie avec, par exemple, des pays comme Madagascar pour l’Océan indien et comme le Brésil pour la partie atlantique. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Monsieur le ministre, il serait aussi intéressant de travailler au niveau européen pour voir si nos normes peuvent être en équivalence avec celles de pays qui ont des solutions adaptées, qui doivent nous inspirer. Ce serait une très bonne chose.

Je conclus avec un autre grave problème, que Mme Vainqueur-Christophe a évoqué : quasiment 75 % de nos productions ne sont pas protégées par les produits phytosanitaire. C’est grave. Cela remet fondamentalement en cause toute la logique de diversification que vous souhaitez mettre en oeuvre. Par exemple en Martinique l’ananas a pratiquement disparu, les produits fruitiers sont touchés de plein fouet, la production de canne à sucre a aujourd’hui du mal à fournir la seule usine produisant du sucre, ce qui est extrêmement grave, à cause de l’impossibilité de traiter certaines herbes. Nous sommes véritablement, au-delà de l’aspect sanitaire, face à un grand problème économique et, in fine, à un problème de culture et de développement. C’est pourquoi je continue de suggérer que vous alliez le plus loin possible, même sans texte spécifique pour l’outre-mer, pour que nous ayons un cadre législatif dérogatoire. L’Europe fait la sourde oreille, mais je pense que l’application stricte de l’article 349 du traité de Lisbonne permettrait d’avoir des espaces de dérogation sans pour autant contredire les principes élémentaires de l’écologie.

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