Intervention de Benoist Apparu

Séance en hémicycle du 14 janvier 2014 à 15h00
Accès au logement et urbanisme rénové — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBenoist Apparu :

Or vous nous présentez un texte de loi qui compte 320 pages. Sans doute est-ce ce que vous appelez un choc de simplification ! Et je ne compte pas le nombre de décrets prévus, qui doit avoisiner sans aucune difficulté la centaine : bref, encore 400, 500, voire 600 pages de normes supplémentaires, sans parler des notes d’information, des circulaires et des arrêtés qui seront publiés. Alors qu’on nous demande de produire moins de normes, on nous propose probablement le record législatif de la Ve République en matière de logement ! Madame la ministre, je ne suis pas sûr que l’ensemble des acteurs du logement soient convaincus par votre argumentaire au sujet de la simplification des normes.

J’en viens maintenant aux trois points principaux du texte de loi que vous nous proposez.

Le premier point, qui a fait l’objet de débats ces dernières semaines, concerne la fameuse garantie universelle des loyers, la GUL. Vous venez de nous dire que vous étiez fière de ce dispositif et, surtout, de la méthode utilisée pour l’élaborer : M. Goldberg, qui réinvente la coproduction législative, est devenu un copéiste de choc ! Toujours est-il que cette coproduction nous a totalement échappé. Qu’il y ait eu une coproduction avec Bercy, qui a gagné les arbitrages, c’est probable, mais la GUL telle que vous l’aviez envisagée initialement n’a plus rien à voir avec le dispositif que nous examinons aujourd’hui. Au reste, en première lecture, tant ici qu’au Sénat, vous étiez bien en peine de nous dire comment elle allait fonctionner. En tout état de cause, nous sommes passés d’un dispositif universel obligatoire qui couvrait 100 % du marché à un dispositif dépendant du bon vouloir des uns et des autres.

Vous nous dites qu’il est véritablement universel puisque tout le monde y aura droit, mais c’est également le cas de la garantie des risques locatifs, la GRL. Je ne vois donc pas ce qu’il y a de neuf sous le soleil. Par ailleurs, vous indiquez que la GUL permettra de loger les précaires puisque les propriétaires auront la certitude d’être payés, soit par le locataire, soit par l’État. Là encore, je ne vois pas ce qu’il y a neuf par rapport à la garantie loyers impayés, la GLI, ou la GRL. Ces deux produits assurantiels, qui couvrent respectivement 5 % et 15 % du marché – la caution représentant 80 % –, sont universels et garantissent au propriétaire qu’il sera payé quoi qu’il arrive.

Pourtant, ces deux produits, notamment la GRL, n’ont pas fonctionné, pour une raison que vous connaissez bien, madame la ministre : en zone tendue, quoi qu’il arrive, un propriétaire choisira le locataire qui le sécurisera le plus, c’est-à-dire celui qui aura plutôt un bon revenu et qui sera fonctionnaire ou titulaire d’un CDI. Aucun de ces produits assurantiels n’offrira au propriétaire une garantie suffisante pour qu’il prenne le risque de prendre comme locataire un précaire au sens du droit du travail, c’est-à-dire une personne en CDD ou en intérim. C’est là le défaut principal de votre système, comme c’était celui de la GRL, créée par la majorité précédente. Malheureusement, les mêmes causes produiront les mêmes effets : les précaires ne seront pas plus nombreux à accéder au marché locatif grâce à la garantie universelle des loyers.

Cela dit, je souscris pleinement à l’argument que vous avez utilisé au sujet du risque de dérive et de déresponsabilisation du système. Nombreux sont ceux qui pensent en effet que s’il existe une garantie, les locataires seront amenés à ne plus payer leur loyer. Comme vous, je suis à peu près convaincu que, dès lors que le recouvrement est assuré par le Trésor, le risque, s’il ne doit pas être écarté – il faudra vérifier le nombre de loyers impayés –, est assez limité puisque chacun connaît la capacité de recouvrement des services fiscaux.

Le deuxième point de votre projet de loi concerne l’encadrement des loyers. C’est probablement le point de désaccord fondamental entre l’UMP et l’UDI et votre majorité. Nous sommes en effet convaincus que cette mesure produira un effet inverse de celui que vous souhaitez. Quel objectif principal poursuivons-nous les uns et les autres ? Produire plus de logements, parce que c’est en équilibrant l’offre et la demande, notamment en zone tendue, que nous parviendrons à réguler les prix. Or si vous dites aux investisseurs, qui construisent les logements, que leur rentabilité locative va baisser, vous risquez malheureusement de les faire fuir du marché locatif. J’en veux pour preuve qu’en Île-de-France, par exemple, nous avons assisté, en 2013, à un boom des investissements sur le marché de l’immobilier d’entreprise, au détriment du marché locatif. C’est un phénomène que nous avons déjà vécu dans les années 1990, époque à laquelle les investisseurs institutionnels possédaient 24 % du marché locatif en Île-de-France, contre 3 % aujourd’hui. Ils ont fui ce marché parce que la rentabilité de l’immobilier d’entreprise était plus forte que celle de l’immobilier de logement. En 2013, le même phénomène se produit et comporte des risques.

J’ajoute qu’en 2013, la déperdition du marché locatif a été importante dans l’ancien – nous avons perdu 85 000 logements en Île-de-France – alors qu’il s’agit d’un élément essentiel de la régulation.

Je me répète donc : le risque principal que vous faites me semble-t-il courir au marché, c’est la fuite des investisseurs vers l’immobilier d’entreprises ou vers d’autres types d’investissements. Or, faute d’investisseurs, qui construira les 500 000 logements dont nous avons besoin ?

La Société nationale immobilière, la SNI, qui nous a annoncé ce week-end, la construction de 30 000 logements ? Cette annonce avait été faite voilà quelques semaines : je connais bien cette technique que nous avons tous utilisée et qui consiste à annoncer trois fois les mêmes chiffres. C’est ce que la SNI vient de faire ! En effet, le fonds ARGOS, qui permettrait de construire 10 000 des 30 000 logements a déjà fait cette annonce voilà quatre mois ! Quant aux 20 000 autres logements prévus, ils seront construits, si je ne m’abuse, sur deux ans. Et lorsque l’on observe ce produit la SNI chaque année, ce ne sont en fait que 8 000 logements qui seront construits au total. Huit mille logements en plus ! Je crains que ce ne soit pas avec les annonces de la SNI, aussi méritante soit-elle, que l’on parvienne à en construire 500 000 !

Je me répète encore une fois : si vous faites fuir les investisseurs, vous risquez malheureusement de ne pas atteindre les niveaux de production dont nous avons besoin dans notre pays.

J’irai plus loin.

Je trouve que votre objectif d’encadrement des loyers est totalement anachronique. En effet, si l’on observe les prix de l’immobilier depuis une quinzaine d’années, on s’aperçoit que les prix de vente du neuf ont progressé bon an mal an de 10 % par an alors que ceux des loyers ont progressé deux fois moins vite. Autrement dit, vous bloquez un marché dont les prix augmentent de 5 % par an mais vous ne touchez pas à celui dont les prix augmentent de 10 % par an ! Je voudrais comprendre la teneur de votre raisonnement économique : quelque chose augmente très vite, quelque chose augmente un peu moins vite et c’est ceci que vous bloquez !

Avec quel résultat, madame la ministre ? Vous dégradez la rentabilité locative d’une manière accélérée. Pourquoi, depuis 2000, n’arrivons-nous pas à atteindre les chiffres de production souhaités ? Justement, parce que les prix de l’immobilier ont augmenté beaucoup plus vite que les loyers, la rentabilité du parc locatif ayant décroché considérablement. Or, vous allez accentuer ce phénomène en baissant fictivement les prix des loyers et donc en dégradant encore un peu plus les rentabilités.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion