Intervention de Gabriel Serville

Séance en hémicycle du 14 janvier 2014 à 15h00
Accès au logement et urbanisme rénové — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGabriel Serville :

Madame la présidente, madame la ministre, madame et messieurs les rapporteurs, chers collègues, le projet de loi « pour l’accès au logement et à un urbanisme rénové » est probablement l’un des plus ambitieux qui nous aient été présentés depuis le début de cette mandature. Il touche de plein fouet aux questions d’égalité des conditions de vie si chères à notre pacte républicain. Indéniablement, il tente d’induire des externalités positives sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens, préoccupation ô combien vive dans le contexte de sortie progressive de crise que nous connaissons.

Je ne peux que louer votre ambition de conjuguer dans le même véhicule législatif les enjeux de régulation, de protection et d’innovation attenants à l’habitat et plus largement, à la gestion de l’espace urbain. Il était temps que nous nous attelions sérieusement à trouver des solutions pérennes aux difficultés rencontrées par les Français, face à un parc de logements dégradés et à des habitats parfois insalubres, conséquence, bien souvent d’une mauvaise maîtrise de nos espaces géographiques.

Les vifs débats dont ce texte a fait l’objet, ainsi que les nombreuses modifications qui y ont été apportées, témoignent de l’importance du sujet et de la volonté du Gouvernement d’aboutir à un texte plus précis et aussi efficace que possible.

Cependant, il faut bien l’avouer, mon enthousiasme initial trouve sa limite dans les réalités du territoire guyanais que je représente, et qui demeure le plus jeune département de France.

Madame la ministre, la Guyane, avec ses 240 000 habitants au 1er janvier 2011, souffre d’une situation particulièrement dégradée de son parc de logements. Celui-ci comprend plus de 20 000 logements illicites, bien souvent indécents et insalubres. Cette situation est notablement aggravée par le fait qu’une grande partie de ces logements ne se trouvent dans les périmètres des plans de résorption de l’habitat insalubre ni ne sont couverts par des opérations programmées de l’amélioration de l’habitat.

Au-delà de la question du logement illégal, la Guyane accuse un retard de plus de 13 000 logements sociaux. Au rythme de croissance démographique actuel, soit près de 4 % par an en moyenne – jusqu’à 9 % par an dans des communes comme Saint-Laurent-du-Maroni –, on estime qu’il manquera 45 000 logements pour les 500 000 habitants prévus en 2030. Paradoxalement, la région compte au moins 5 000 logements vacants.

Les besoins sont tels qu’une part notable de la population ne trouve pas de réponse dans le parc légal, entretenant le cercle vicieux de l’habitat sans titre, avec, pour corollaire, d’énormes difficultés d’aménagement du territoire.

J’en veux pour exemple la commune de Matoury, où je suis conseiller municipal d’opposition, et dont a population a triplé en vingt ans. On y a laissé apparaître des poches d’habitats insalubres, devenus au fil des ans de véritables bidonvilles déconnectés des réseaux d’eau potable et d’électricité, que l’on aurait du mal à tolérer sur le territoire métropolitain. Un tiers des 30 000 habitants de cette commune, partie intégrante de l’agglomération de Cayenne, sont ainsi logés dans de l’habitat sans titre.

L’habitat insalubre, longtemps contenu en périphérie des villes de Cayenne, Kourou et Saint-Laurent-du-Maroni, a gagné la quasi-totalité des communes de Guyane. Cette insalubrité se présente sous trois formes.

Dans les centres urbains, les poches d’insalubrité sont, en général, le fait de marchands de sommeil, qui louent des logements indignes à une population étrangère, le plus souvent en situation irrégulière. Les conséquences notables sont la surpopulation, la promiscuité, la présence d’animaux nuisibles, les nuisances pour l’environnement, la prolifération de taudis et de squats.

En périphérie des centres urbains, comme c’est le cas pour la commune de Matoury, l’habitat insalubre prend la forme de quartiers enclavés et sous-équipés. La voirie est constituée de chemins en terre très étroits, qui ne permettent pas l’accès, par exemple, des véhicules de secours. Les réseaux d’assainissement sont absents, l’électricité souvent piratée et l’eau potable quasiment inexistante. Sur ce point, je rappelle que près d’un tiers des Guyanais n’ont pas accès à l’eau potable. Un tiers de la population du département qui verra, en 2014, décoller au moins quatorze tirs de fusées Ariane, Vega et Soyuz, ne peut jouir de ce droit élémentaire et fondamental qu’est l’accès à l’eau potable.

Mais revenons au sujet qui nous intéresse aujourd’hui, l’accès à un habitat digne et à un urbanisme rénové.

Revenons donc au sujet qui nous intéresse aujourd’hui : l’accès à un habitat digne et à un urbanisme rénové. Dans les zones périurbaines de la Guyane, de nombreuses parcelles non viabilisées et appartenant à des particuliers, aux collectivités territoriales ou à l’État, sont le plus souvent occupées de manière illégale, parfois par l’intermédiaire de particuliers qui s’approprient les terrains de tiers et les redistribuent contre rémunération. L’inconstructibilité des zones concernées rend particulièrement ardue la régularisation de ces quartiers par les collectivités territoriales, qui est pourtant un véritable enjeu de salubrité et d’aménagement territorial.

En 2010 déjà, notre collègue Benoist Apparu, alors secrétaire d’État chargé du logement, s’était dit scandalisé, en visitant Cayenne, face à la multiplication de poches d’habitats insalubres qui faisaient alors l’objet de programmes de résorption manifestement non opérationnels. Il disait ceci : « Ces gens vivent dans des conditions qui sont indécentes dans une République comme la nôtre ; on n’est pas à la hauteur des enjeux aujourd’hui en Guyane. » Il faut dire qu’à l’époque, 15 % de la population guyanaise vivait dans des logements insalubres.

Trois années et quatre ministres plus tard, la situation n’est guère plus réjouissante ; pire, elle s’est passablement aggravée ! Voilà pourquoi j’affirme que nous devons, pour la Guyane en tout cas, aller au-delà de ce qui a été prévu par la loi du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relatives aux quartiers d’habitat informel et à la lutte contre l’habitat indigne dans les départements et régions d’outre-mer, portée par notre collègue Letchimy. Son entrée en vigueur a certes donné un coup d’accélérateur aux programmes de rénovation et de réhabilitation de l’habitat outre-mer, mais elle a aussi montré que le contexte spécifique guyanais demandait, une fois n’est pas coutume, de s’y atteler plus longuement afin de dégager les solutions adaptées, car les programmes en place ne suffisaient tout simplement déjà plus.

Je profite de cette tribune pour vous inviter solennellement, madame la ministre, à vous rendre en Guyane à l’instar de votre collègue ministre délégué à la ville, M. François Lamy, afin que vous saisissiez pleinement l’ampleur des défis auxquels nous devons faire face. J’avais déjà abordé cette nécessité lors des discussions relatives au budget pour 2014. Elle me semble impérative, afin d’envisager pour les Guyanais une véritable égalité des territoires et de leur proposer enfin des logements décents.

Vous me pardonnerez mon insistance mais, de la même façon, un article paru en 2011 dans le quotidien Le Monde et intitulé « La terrible loi de l’immobilier en Guyane » pointait du doigt le diktat particulièrement lourd de la loi de l’offre et de la demande consécutive à la pénurie de logements sur le territoire guyanais. Je cite cet article : « Ce n ’est pas Nice ou Cannes, mais simplement Cayenne et pourtant le prix de l’immobilier () est vertigineux. Depuis longtemps, la mixité sociale est un leurre. D’un côté des logements sociaux, de l’autre des villas ou des résidences sécurisées. Entre les deux, des quartiers qui végètent parfois dans l’insalubrité, des squats ou des bidonvilles. »

Je suis certain que vous comprendrez donc mon étonnement, madame la ministre, à la lecture du titre relatif à l’encadrement des loyers, de constater l’absence de Cayenne – comme celle de toute autre agglomération ultramarine – du dispositif alors même que celui-ci a vocation à s’appliquer aux « agglomérations de plus de 50 000 habitants où il existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logement ». Pour mémoire, Cayenne est au centre d’une agglomération de 110 000 habitants où la pression immobilière est telle qu’un studio s’y négocie plus de 700 euros par mois, tandis que le revenu médian des ménages guyanais est inférieur de plus de 40 % à celui des ménages de France hexagonale. N’aurait-il pas fallu élargir le dispositif au-delà des quelques agglomérations soumises à la taxe sur l’habitat vacant ?

Je m’inquiète aussi de ce que la méthodologie retenue dans le but d’assurer l’encadrement des loyers ait laissé la possibilité de majorer de 20 % et sans conditions particulières le loyer médian de référence, lequel est par définition déjà très élevé en zone tendue. Quid du risque que cela aboutisse rapidement à une augmentation générale des loyers à hauteur du loyer médian de référence majoré ? Il en va de même de la possibilité d’appliquer un complément de loyer exceptionnel au loyer de base pour des logements présentant des caractéristiques liées par exemple à leur localisation ou à leur confort et qui, par leur ampleur, le justifieraient. Cela permettra très certainement à de nombreux bailleurs d’échapper à tout encadrement des loyers, notamment pour ce qui concerne les meublés.

Vous l’aurez compris, madame la ministre : si je soutiens votre démarche et votre texte, je dois vous avouer que je reste quelque peu sur ma faim. Ce texte est une nouvelle preuve que l’on ne saurait tenir les problématiques ultramarines, particulièrement guyanaises, comme des questions solubles dans un texte résolument métropolitain.

Au-delà du « pacte pour la Guyane » annoncé par le Président de la République lors de son passage à Cayenne en décembre dernier, je n’aurai ainsi de cesse de plaider pour que nous réfléchissions enfin à des textes ancrés dans les réalités guyanaises, amazoniennes et sud-américaines. Les thématiques du logement et de l’aménagement urbain nous ont prouvé, une fois de plus, que nous ne pouvons tout simplement pas faire l’impasse d’un cadre législatif qui permettra aux citoyens français d’Amazonie de bénéficier de conditions de vie d’un même niveau moyen que leurs compatriotes métropolitains. Alors seulement pourrons-nous enfin parler de véritable égalité des chances.

Néanmoins, je tiens absolument à réitérer l’appréciation favorable que j’avais déjà faite de ce texte qui, quand bien même il aurait été mis en pièces détachées par notre collègue Benoist Apparu, apporte des éléments tout à fait positifs. Je rappelle que M. Apparu, à l’époque où il était secrétaire d’État au logement, s’était rendu en Guyane où il avait fait un certain nombre de promesses ; quelques années plus tard, nous n’en avons pas vu la concrétisation !

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