Je suis depuis longtemps déjà partisan de l'adoption de la Charte européenne des langues régionales par la France.
Il faut tout d'abord se souvenir que la France l'a signée en 1999 en s'engageant à n'appliquer que trente-neuf des quelque quatre-vingt-dix mesures qu'elle comporte. Certaines des dispositions évoquées servent souvent d'épouvantail alors qu'elles n'auront pas à s'appliquer à notre pays si nous ne le souhaitons pas.
Ensuite, il faut rappeler que certaines des trente-neuf mesures sont d'ores et déjà en vigueur sur tout ou partie du territoire – une zone comme le Pays basque bénéficie par exemple d'accords spécifiques.
J'estime pour ma part que nous aurions pu nous dispenser d'une révision constitutionnelle. Bien sûr, le risque d'inconstitutionnalité n'aurait pas été nul, mais il existe toujours lorsque nous légiférons. Quels obstacles aurions-nous rencontrés ? L'avis rendu par le Conseil d'État le 7 mars 2013 a certes été rendu public et pris très au sérieux, mais combien de fois le Gouvernement a-t-il décidé de passer outre ce qui n'est qu'un avis ? Quant à la décision du Conseil constitutionnel du 15 juin 1999, si on l'examine de près, elle ne crée pas à mon sens un obstacle insurmontable. J'ajoute qu'elle est déjà ancienne, que les membres du Conseil ont été depuis largement renouvelés, et que la révision constitutionnelle de 2008 a introduit les langues régionales dans la Constitution à l'article 75-1 – mais la majorité actuelle a peut-être du mal à admettre le bien-fondé d'une révision constitutionnelle qu'elle n'a pas votée lorsqu'elle était dans l'opposition.
La voie de la révision telle qu'elle a été choisie me semble contestable sur deux points.
Je crains tout d'abord qu'il ne s'agisse d'une impasse en termes de procédure. Le référendum me paraissant exclu, elle ne peut en effet mener nulle part. S'il s'agit de « se compter » – et pourquoi pas ? –, cela signifie qu'il faudra tout reprendre à zéro dans un deuxième temps ce qui n'est jamais si aisé. L'engagement n° 56 du candidat François Hollande, qui plus est sur un sujet international, devrait en tout état de cause donner lieu au dépôt d'un projet de loi constitutionnelle qui permettrait de réunir le Congrès – option plus raisonnable que le référendum.
Je constate aussi que le texte que vous avez retenu constitutionnalise une déclaration interprétative. Autrement dit, quinze des seize lignes de la proposition de loi constitutionnelle que vous nous soumettez sont, en quelque sorte, des clauses négatives. Les associations et les militants concernés sont très inquiets car ces dispositions, ainsi placées au sommet de la hiérarchie des normes, pourraient être utilisées demain contre des actes réglementaires ou des mesures législatives favorables aux langues régionales. Souvenez-vous que la constitutionnalisation du français comme langue de la République, qui, dans l'esprit du constituant visait à faire obstacle à l'expansion de la langue anglaise, a constitué un frein au développement des langues régionales ! Il serait préférable d'en rester à une formulation simple autorisant l'exécutif, qui pourrait par ailleurs procéder à une déclaration interprétative, à ratifier la Charte. C'est la solution proposée par une proposition de loi constitutionnelle n° 1656 que j'ai déposée avec plusieurs de mes collègues.
Sur le fond, évitons les mistigris ! Il ne s'agit ni de faire la révolution ni de reconnaître tel ou tel groupe. Nous ne traitons, par ailleurs, que des langues traditionnellement parlées sur notre territoire, des langues de l'Europe et de l'outre-mer, car les langues de l'immigration doivent faire l'objet d'un autre débat. Quant à la République, elle n'est pas uniquement uniformité : Paul Vidal de la Blache ne nous a pas attendus pour affirmer que la France était diversité. Pourquoi ne pourrions-nous pas associer intelligemment, comme d'autres pays le font, l'unité nationale et la diversité ? Pourquoi nous en tenir à une vision exagérément crispée de l'unité ? La France s'enrichit de ses différences ; elle a tout à y gagner à condition qu'elles soient vécues de manière sereine. Enfin, évidemment, il ne s'agit en aucun cas d'aller à l'encontre de la langue française. Je rappelle que le réseau des écoles Diwan, en Bretagne, bat des records en termes de succès scolaires. En l'espèce, au bilinguisme répond l'épanouissement total de la langue française.
Évitons de demeurer, avec la Turquie, l'un des seuls pays qui s'oppose à la ratification de la Charte ! Et, en admettant qu'il faille en passer par une révision constitutionnelle, simplifions la procédure !