L'origine parlementaire du texte dont nous débattons nous permettra peut-être d'aborder ce débat plus sereinement et de façon moins politicienne que si nous avions dû discuter d'un projet de loi constitutionnelle. Cela est d'autant plus nécessaire que la question divise au-delà des clivages habituels au sein des familles politiques – hormis peut-être la nôtre.
Depuis l'adoption de la Charte en 1992, le blocage que nous constatons dans notre pays traduit le refus de reconnaître légalement une diversité culturelle reposant sur une exceptionnelle richesse linguistique. Paradoxalement, la France défend la richesse culturelle hors de ses frontières alors qu'elle ferme les yeux sur celle de son propre territoire. Comment réagirait notre pays si le Canada devenait un État unitaire et décidait que son administration ne devait plus pratiquer partout que l'anglais ? Il est également paradoxal de constater que ceux qui sont les premiers à affirmer que la France est la patrie des droits de l'homme – il y eut d'abord la Corse et les États-Unis – traînent des pieds pour suivre les recommandations du Conseil de l'Europe, de l'UNESCO ou du Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU, qui l'engagent à reconnaître les différences linguistiques.
Pour en venir à ce qui est vécu sur le terrain, contrairement à ce que j'ai pu entendre, l'enseignement bilingue n'est pas synonyme de surcoûts car il ne nécessite pas de créations de postes d'enseignants : le nombre d'élèves et d'heures de cours n'est pas modifié. Si, au Pays basque, environ 33 % des élèves bénéficient d'un enseignement bilingue proposé dans 55 % des écoles, en Bretagne, seulement 4 % de la population scolaire a accès au bilinguisme, ce qui est insuffisant pour pérenniser l'usage de la langue. Madame Bechtel, croyez-en mon expérience personnelle : inscrire son enfant dans une classe bilingue est un véritable parcours du combattant ! En 1993, il m'a fallu convaincre la mairie, réunir les parents, trouver un enseignant bilingue, occuper l'inspection académique et utiliser les médias pour obtenir l'ouverture d'une classe bilingue. Depuis, les choses se sont certes pacifiées, mais des difficultés demeurent. C'est parce que nous avons besoin d'une réelle sécurité juridique que nous demandons la ratification de la Charte.
L'insécurité juridique concerne également les traductions. Elles sont autorisées par le Conseil constitutionnel mais, lorsque le maire de Carhaix établit un livret de famille bilingue, on lui explique qu'il doit rédiger un document annexe.
On sait aussi qu'à Villeneuve-lès-Maguelonne, le tribunal administratif a exigé le retrait des panneaux signalétiques portant le nom de la commune en occitan, au motif que cela risquait de provoquer des accidents. Je vous laisse pourtant imaginer le tollé que provoquerait la suppression de toute la signalétique bilingue dans nos régions, sans compter que nous deviendrions la risée de l'Europe.
Un mot également sur les médias en langue régionale, trop rares, alors qu'ils sont importants pour la pérennité de ces langues.
Le rapport Caron, auquel j'ai contribué, parle d'un « acte juridique fort » : cela peut être une loi – je rappelle qu'à l'époque où ce rapport a été commandé, le Gouvernement ne souhaitait pas ratifier la Charte européenne –, mais la solution privilégiée reste évidemment la ratification de la Charte, bien qu'elle nous laisse à des années lumières de la co-officialité.