Je me réjouis de la qualité de notre débat d'aujourd'hui. L'inscription de ce texte à notre ordre du jour est le résultat d'un long processus fait de patience, d'abnégation, d'opiniâtreté et, à certains égards, de blessures profondes que notre majorité est sur le point de panser – et je salue ici toutes celles et ceux qui se sont battus pendant des années pour faire avancer la question des langues régionales.
Les langues régionales de France sont au coeur de notre identité. Nos langues ont une histoire, une syntaxe, un phrasé, une musique, une originalité. Elles sont des trésors qu'il est un devoir de préserver. Nier les langues régionales françaises, c'est nier l'histoire de la France. Ces langues ne mettent pas en péril, bien au contraire, la langue française. Si nous voulons sauver notre langue, il faut d'abord sauver les langues régionales. Le monolinguisme ne sauvera pas la langue de Molière, il finira par la tuer elle aussi.
Posséder deux, trois ou quatre langues, c'est disposer d'une ouverture extraordinaire sur le monde, réfléchir autrement, s'enrichir des différences. Je suis moi-même élue d'une circonscription où deux langues régionales « en danger » au sens de l'indice de vitalité de l'Unesco sont pratiquées : le basque et l'occitan, parlées par mes deux grands-mères, à qui la bonne société avait interdit de les transmettre à leurs enfants et petits-enfants, lesquels en ont tous souffert. Ces deux langues font partie de mon histoire, de mon enfance et de ma construction personnelle. En les défendant et en m'appliquant à mieux les apprendre et à les pratiquer, je n'ai pas le sentiment de mettre la République en danger ou de porter atteinte à la cohésion sociale. Et je rassure Mme Bechtel : mes deux grands-mères étaient parfaitement françaises.
Notre majorité s'est engagée fortement en soutenant cette initiative parlementaire. Responsable avec Armand Jung de ce texte pour le groupe SRC, je ne peux que vous inviter à le soutenir en votant favorablement. C'est un texte audacieux qui lève les obstacles juridiques et répond précisément aux deux points de droit brandis par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 15 juin 1999, sécurisant ainsi juridiquement la ratification et l'éventuel contrôle de constitutionnalité.
Permettez-moi ici de rendre hommage à Bernard Poignant et à Nicole Péry, auteurs d'un rapport sur le sujet, qui ont oeuvré auprès de Lionel Jospin en 1998 pour que la Charte soit signée et ratifiée.
Pour autant, cette Charte reste encore l'objet de bien des fantasmes. Étrangement, la question des langues régionales est souvent abordée en France de manière inutilement polémique, parfois outrancière, rarement de façon raisonnée et rationnelle. Or la Charte européenne est parfaitement compatible et adaptée à notre ordre juridique interne.
En effet, ce texte concerne un bien culturel, à savoir la diversité linguistique : ce sont bien les langues qu'il convient de protéger. À la différence de la convention européenne des droits de l'homme, la CEDH, la Charte n'institue pas des droits individuels ou collectifs mais des obligations juridiques à la charge des États signataires. Elle demande aux États signataires des engagements positifs pour sauver, soutenir et promouvoir les langues régionales. Elle ne présente pas les langues régionales comme une question spécifique à certains groupes. Le terme de locuteur est clair : la sauvegarde du patrimoine linguistique concerne tous les Français, et non un petit groupe fermé, une « réserve d'Indiens » mais bien toutes les personnes désireuses de parler ou de faire parler ou de s'approprier une langue régionale. La Charte n'oppose pas langue nationale ou officielle et langue régionale : elle fait le choix de la complémentarité dans un contexte européen de diversité linguistique et culturelle et conformément à la volonté de construire l'unité européenne sur le respect de cette diversité. Enfin, tout en reconnaissant l'égale dignité des langues et cultures, la Charte autorise des régimes différenciés.
Cette proposition de loi constitutionnelle nous offre une porte de sortie efficace et indiscutable face aux barrages juridiques nationaux. Le choix d'inclure la déclaration interprétative est judicieux et rassurant. Ainsi chacun est à sa place : le législateur légifère et le juge constitutionnel se contente de juger, conformément à l'article 54 de la Constitution, pas moins mais pas plus !
Pour certains la Charte est insuffisante, pour d'autres elle met la République en danger. Dans ma circonscription du Pays basque, j'ai pu mesurer à quel point, loin de permettre le rayonnement des langues régionales, comme Mme Bechtel le prétend, la loi française laisse les élus locaux dans la plus grande insécurité juridique. Ceux-ci sont dans l'obligation de prendre régulièrement des risques judiciaires et d'effectuer de véritables acrobaties juridiques pour pallier les carences législatives. Dans le Pays basque, ils sont ainsi contraints de contourner la loi Falloux pour permettre que la langue basque soit enseignée dans les « ikastolas ». Faute d'un statut légal, ces centres de loisirs, qui sont en réalité des écoles où l'enseignement est dispensé dans cette langue, restent cependant à la merci d'une censure du juge administratif. Cette insécurité juridique risque de radicaliser inutilement une demande légitime, alors que ces élèves ont de brillants résultats aux examens nationaux et que leur famille ne pratique pas nécessairement le basque ou l'occitan, loin de là. Face à l'extrême précarité juridique dans laquelle se trouvent les langues régionales, la mise en oeuvre de cet engagement constitue un pas déterminant.
La Charte, dont la force morale et politique n'est pas neutre pour la défense des langues régionales, implique de la part des États des engagements dont il est aisé de vérifier le respect. Elle constitue un très bon point de départ, le vecteur d'une troisième génération des droits humains, une réponse à la mondialisation et à la recherche de l'épanouissement de chacun dans sa personnalité culturelle propre.