Conformément à la démarche constructive que je vous ai proposée, je me concentrerai sur l'essentiel dans mes réponses en évitant les scories de la polémique.
Je voudrais d'abord préciser que la Turquie n'a ni signé ni ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, alors que la France, comme huit autres membres du Conseil de l'Europe, l'a signée mais ne l'a pas ratifiée.
Vous m'avez interrogé sur trois points : la nature du véhicule législatif qui vous est proposé, la volonté du Gouvernement et le contenu du texte.
Le sujet est très balisé, puisque cela fait quinze ans, comme Armand Jung l'a rappelé, que l'on débat de cette Charte, qu'on en décortique les intentions ou qu'on sème des embûches sur le chemin de sa ratification. Tous les docteurs de la loi et les clercs qui se sont penchés sur le texte n'ont fait que sédimenter les difficultés et aujourd'hui sa ratification suppose qu'on intègre tous les paramètres qui ont constitué l'histoire longue et chaotique de la reconnaissance des langues régionales. Celle-ci est bien antérieure à l'adoption de la Charte puisqu'entre 1945 et les années quatre-vingt, celles-ci ont fait l'objet d'une trentaine de propositions de loi, dont une signée par Pierre Mendès France en 1958 et deux députés de Bretagne, Roger Prat et Yves Le Foll.
L'intention du Gouvernement a toujours été de concrétiser l'engagement du président de la République, mais il a dû tenir compte de l'avis du Conseil d'État, ce dont on ne peut pas lui faire grief. Celui-ci l'ayant dissuadé d'emprunter la voie du projet de loi, il restait celle de l'initiative parlementaire, et le groupe SRC, comme d'autres groupes parlementaires, s'y est engagé.
Chacun reconnaît, monsieur Le Fur, et le Conseil constitutionnel au premier chef, que la ratification de la Charte nécessite une révision de la Constitution. Cette nécessité est même affirmée dans l'exposé des motifs de la proposition de loi constitutionnelle que vous avez vous-même signée. C'est parce que mon but est d'aboutir à une ratification que je vous propose de prendre la voie constitutionnelle. Je ne vous cache pas que notre but est de parvenir à une ratification en empruntant la voie du Congrès et ce, en incitant le Gouvernement à reprendre la main. Cette proposition sera l'occasion de constater qu'il existe une nette majorité parlementaire en faveur de la ratification de la Charte. C'est la raison pour laquelle le groupe SRC a demandé un vote solennel : celui-ci permettra aux 577 députés de dire si, oui ou non, ils veulent que la Charte soit ratifiée. Il est temps de dissiper les faux-semblants, de mettre fin aux postures, et c'est l'ambition de ce texte.
S'agissant du fond, j'aurais pour ma part adoré vous proposer un texte clair, comme Guy Geoffroy en a exprimé le souhait. Le problème, c'est que je dois tenir compte des préconisations du Conseil constitutionnel afin d'éviter toute divergence d'interprétation. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c'est le texte le plus lisible qui est le moins protecteur des langues régionales. Ne pas inscrire la déclaration interprétative dans le texte créerait une difficulté dans l'interprétation de la Charte ; mentionner cette déclaration sans plus de précision reviendrait à la constitutionnaliser dans sa totalité. Ce qu'il faut constitutionnaliser, ce sont les points qui correspondent précisément aux obligations émises par le Conseil constitutionnel en 1999, c'est-à-dire les deux premiers points de la déclaration interprétative envisagée par le Gouvernement lors de la signature de la Charte en 1999.
Nous proposons d'autoriser la ratification des 39 engagements souscrits par la France en 1999. Ces 39 engagements ne permettent pas, contrairement à la crainte exprimée par Mme Bechtel, d'imposer l'usage du breton dans un procès. C'est précisément pour parer à ce risque qu'il faut sécuriser l'interprétation de la Charte. Si nous n'inscrivons pas cette interprétation dans le texte constitutionnel, il sera, de surcroît, loisible au Gouvernement de présenter une autre déclaration interprétative, hors la vue du Parlement. C'est pourquoi nous n'avons pas modifié d'un iota ce que le Gouvernement a déclaré en 1999.
Je rappelle que le Conseil constitutionnel n'a reconnu qu'une valeur déclarative à l'article 75-1 de la Constitution, alors que nous avions la conviction que son introduction en 2008 dans la Constitution était un pas décisif qui nous permettrait de faire l'économie d'une ratification de la Charte. La seule manière de contourner l'obstacle du Conseil constitutionnel, c'est de reprendre sa formulation. Dans la rédaction que j'en propose, la déclaration interprétative est protectrice. Il n'y a aucun recul : il ne s'agit que de constitutionnaliser l'existant. Je n'introduis aucun élément nouveau ; je ne vise qu'à sécuriser ce qui existe.
La signature de la Charte nous permet d'introduire des avancées en faveur des langues régionales dans tout projet de loi qui nous en offre l'opportunité, comme nous l'avons fait dans le projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République ou dans le projet de loi sur les métropoles.
Il faut que le constituant affirme explicitement sa volonté de ratifier la Charte, dans l'interprétation que le Gouvernement en a donnée en 1999, conformément à une expertise juridique de Guy Carcassonne. Le Conseil avait considéré lui-même dans sa décision de 1999 qu'aucun des 39 engagements souscrits par la France n'était contraire à la Constitution. Une fois que nous en aurons fini avec ce débat et ratifié la Charte, nous pourrons réaliser d'autres avancées, notamment dans des lois ordinaires.
Je sais qu'une rédaction aussi complexe ne plaide pas en faveur du texte. Mais c'est elle qui sécurise au maximum la reconnaissance des langues régionales.
Quant à la liste des langues régionales ou minoritaires parlées dans notre pays, madame Le Callennec, elle sera fixée par décret, conformément au texte de la Charte. J'en fournis une, indicative, dans mon rapport. C'est d'ailleurs la liste qui est proposée par les multiples rapports consacrés à cette question à la demande de l'État. Je vous renvoie également aux travaux de la délégation générale à la langue française et aux langues de France, placée auprès de la ministre de la Culture, qui a appuyé le comité présidé par M. Caron auquel a participé notre collègue Paul Molac.