Je vous présenterai deux communications.
La première porte sur un « paquet » de mesures composé d'une communication et de deux propositions de règlement – l'une relative à la mise en oeuvre du « Ciel unique européen » et l'autre modifiant le règlement n° 2162008 dans le domaine des aérodromes, de la gestion du trafic aérien et des services de navigation aérienne ; ce dernier point a fait l'objet d'une communication devant notre commission le 18 septembre 2013. La Commission présente cet ensemble comme un paquet « Ciel unique 2+ ».
La seconde porte, dans le cadre d'une consultation ouverte par la Commission européenne, sur la protection des compagnies aériennes communautaires contre les pratiques tarifaires déloyales de la part de compagnies subventionnées de pays tiers.
En ce qui concerne le paquet « Ciel unique 2+ », les propositions de la Commission traduisent très clairement une demande forte des compagnies aériennes, qui souhaitent un espace aérien unique au sein de l'Union européenne pour réduire leurs coûts. Effectivement, il existe aux yeux de votre rapporteure une réelle plus-value à gérer au niveau européen l'espace aérien. Le constat dressé par la Commission européenne apparait globalement exact : les résultats du Ciel unique européen sont toujours bien en-deçà des attentes initiales et les réductions de coûts attendues n'ont pas encore été réalisées.
Le projet bénéficie d'un réel soutien au Parlement européen, où un vote en séance plénière est prévu en mars 2014. Il se heurte cependant aujourd'hui aux réticences fortes d'une majorité d'États membres, dont la France.
Il s'agit, à travers ce projet de règlement, de :
– mettre fin aux doubles emplois entre les règlements relatifs au « Ciel unique européen » et à l'AESA, en simplifiant et clarifiant les frontières entre les cadres législatifs applicables ;
– clarifier la répartition des tâches entre la Commission, l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) et Eurocontrol, de façon à ce que la Commission se concentre sur la réglementation économique et technique, que l'AESA soit son agent technique pour la rédaction de la réglementation technique et la supervision et que Eurocontrol se concentre sur des tâches opérationnelles articulées notamment autour du concept de gestionnaire de réseau ;
– renforcer la gouvernance et le champ d'action du gestionnaire de réseau, avec notamment une désignation par la Commission, en 2020 au plus tard, en tant que prestataire de services autonome ;
– permettre une fourniture de services de navigation aérienne transparente, fondée sur les principes du marché et utile pour le client, notamment par une ouverture progressive à la concurrence des services d'appui : services météorologiques, services d'information aéronautique, de communication, de navigation ou de surveillance ;
– renforcer le rôle des autorités nationales de surveillance, notamment par une indépendance accrue vis-à-vis des prestataires qu'elles surveillent ;
– renforcer le processus de définition des objectifs et de mise en oeuvre effective du système de performance, avec notamment une indépendance accrue de l'organe d'évaluation des performances (PRB) et un contrôle renforcé par la Commission et des sanctions possibles lorsque les objectifs ne sont pas atteints ;
– procéder à une réorientation stratégique des blocs d'espace aérien fonctionnels, en mettant notamment l'accent sur des « partenariats sectoriels » flexibles dont le critère de réussite sera le niveau d'amélioration des performances réalisé.
L'adoption de ce règlement entraînerait un bouleversement profond de l'organisation actuelle de l'aviation civile en France, avec à la clé des problèmes humains complexes, qui ne sont gérables que si cette réforme est étalée sur une certaine durée. Elle génèrerait des gains, semble-t-il hypothétiques en terme de sécurité aérienne, mais sans doute à terme plus consistants en termes d'économies.
Je vous propose que les trois points suivants, prévus par la proposition de la Commission, rejetés par le Gouvernement français, fassent l'objet d'un suivi attentif par notre Commission. Ils ne seront pas adoptés avant plusieurs mois mais bouleverseraient de fond en comble l'organisation en France de l'aviation civile ; ce n'est pas pour cela que nous devons pour autant nous interdire toute réforme.
Tout d'abord, l'obligation que les autorités nationales de surveillance soient juridiquement distinctes « notamment sur les plans organisationnel, hiérarchique et décisionnel » des prestataires de services de la navigation aérienne (Article 3). Ensuite, l'obligation que les autorités nationales de surveillance soient, de plus, indépendantes de toute entité publique ou privée ayant un intérêt dans les activités des prestataires de service de la navigation aérienne (Article 3).
Sur ces deux points la position du Gouvernement français est extrêmement claire. Le Gouvernement indique que l'obligation supplémentaire d'indépendance n'est pas plus justifiée que la première obligation de séparation, ni acceptable pour les autorités françaises.
Enfin, l'obligation de séparer juridiquement les services « d'appui » de la navigation aérienne – communication, navigation, surveillance, information aéronautique, de même que les services de météorologie aéronautique – et de les mettre en concurrence. La concurrence doit être assurée de manière équitable, non discriminatoire et transparente (Article 10).
Là aussi, sur ce troisième aspect, la position gouvernementale est très réservée. Le Gouvernement indique qu'une réorganisation forcée, dont les aspects pratiques et les conséquences opérationnelles et en termes de sécurité et de coûts n'ont pas été étudiés, mobiliserait une énergie considérable et suscite des risques sociaux majeurs, à contretemps de la mobilisation de ressources et de l'adhésion des personnels aux changements.
Votre rapporteure est également assez réticente sur tout amoindrissement des prérogatives d'Eurocontrol, qui regroupe trente-cinq États et n'est pas une agence de l'Union européenne. Il nous semble essentiel que la gestion du ciel intègre des pays tels que la Suisse, la Norvège ou la Turquie. Cela concerne en particulier la délégation au « gestionnaire du réseau » – Eurocontrol selon la décision de désignation actuelle prise par la Commission – du pouvoir d'optimiser la conception de l'espace aérien en coopération avec les prestataires de services de navigation aérienne et les blocs d'espace aérien fonctionnels ; cela concerne également la transformation de l'organisation internationale Eurocontrol en association de « partenariat d'entreprises » – concrètement, de prestataires de services de navigation aérienne et le cas échéant de compagnies aériennes – avec un rôle resserré autour de celui de « gestionnaire du réseau ». La reprise par l'AESA, au lieu d'Eurocontrol, des propositions de règlements d'interopérabilité pour la navigation aérienne suscitent une très grande réticence de notre part.
Contrairement aux deux précédentes extensions des compétences de l'Agence, dont le périmètre était clairement circonscrit, le titre donné au projet de modification du règlement sur la gestion du trafic aérien et des services de navigation, masque la portée réelle de ce qui est présenté comme un simple toilettage et une mise en cohérence de deux cadres législatifs.
En réalité l'insertion de l'objectif suivant dans l'article 2 du règlement « réglementer l'aviation civile de manière à promouvoir au mieux son développement, sa performance, son interopérabilité et sa sécurité d'une manière proportionnée à la nature de chaque activité », permet potentiellement d'opérer un transfert total de compétences au profit de l'Agence dans tous les champs réglementaires de l'aviation civile. La performance est ainsi entendue par la Commission comme couvrant quatre domaines essentiels : la sécurité, l'environnement, la capacité et l'efficacité économique.
Je serais, comme le Gouvernement, en phase avec l'objectif poursuivi, sous réserve de prendre en compte les attentes de l'industrie aéronautique et de veiller à l'articulation avec Eurocontrol pour les aspects opérationnels de mise en oeuvre.
La politique de mise en oeuvre du « Ciel unique européen » est indispensable. Les réticences sont fortes. Il me semble que la Commission européenne devrait laisser plus de marge de manoeuvre aux États dans la définition de leurs outils administratifs.
Si nous sommes convaincus par les objectifs, il nous semble que la volonté de la Commission européenne de « casser » les DGAC nationales est de nature à retarder l'avancement de ce dossier très important et nécessaire.
Sous l'ensemble des réserves mentionnées, je vous propose de donner néanmoins un avis positif sur les propositions de textes composant ce paquet législatif.