Intervention de Annick Girardin

Réunion du 14 janvier 2014 à 17h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnick Girardin, rapporteure :

Effectivement, nous en avons pour des mois de débats.

En ce qui concerne à présent la consultation ouverte par la Commission européenne sur la protection des compagnies aériennes communautaires contre les pratiques tarifaires déloyales, de la part de compagnies subventionnées de pays tiers, il s'agit d'un point essentiel ; le devenir des compagnies européennes, et donc de l'emploi, en dépend. La Commission a souhaité consulter l'ensemble des tiers intéressés sur l'opportunité de réviser le règlement 8682004 concernant la protection contre les subventions et les pratiques tarifaires déloyales causant un préjudice aux transporteurs aériens communautaires dans le cadre de la fourniture de services de transport aérien de la part de pays non membres de la Communauté européenne

Nous ne pouvons qu'être très favorables à une révision du règlement 8682004 dont les dispositions se sont révélées difficilement applicables par les compagnies aériennes européennes. Il est essentiel que l'Union européenne se dote d'un instrument efficace pour protéger ses transporteurs confrontés à la concurrence déloyale de compagnies établies dans des États tiers qui sont soupçonnées de subventionner de manière directe ou indirecte très largement leurs « champions nationaux ».

Pour les compagnies aériennes, les pratiques déloyales prennent de multiples formes qui ne se limitent pas aux subventions publiques et aux tarifs anormalement bas. La mise à disposition à titre quasiment gratuit d'infrastructures, l'obligation imposée aux transporteurs aériens européens par certains États de disposer d'un « sponsor » local pour commercialiser leurs propres services, ou encore la garantie illimitée de l'État pour l'acquisition d'avions, sont autant d'exemples de pratiques contraires à l'établissement d'une concurrence saine. Les pratiques déloyales peuvent également trouver leur origine dans la structure verticale et étatique de l'organisation du transport aérien dans certains États, aux moyens financiers très importants, qui ont fait de leurs compagnies aériennes un outil de développement économique.

La libéralisation très large de l'accès au marché européen du transport aérien ces dernières années rend d'autant plus nécessaire l'adoption d'un cadre juridique assurant des conditions de concurrence équitables, faute de quoi les compagnies aériennes européennes devront durablement renoncer à participer au développement du marché du transport aérien et verront les emplois associés disparaître ou être transférés dans d'autres régions du monde.

Il nous semble également que les services de la Commission et plus généralement les institutions européennes devraient s'intéresser de manière étroite à la problématique de l'investissement de compagnies de pays tiers dans le capital de transporteurs européens.

En effet, la règlementation européenne autorise aujourd'hui des investissements de la part de ressortissants de pays tiers à hauteur de 49,9 % du capital alors que :

– d'une part, la réciprocité n'existe pas nécessairement de jure – cas des compagnies aériennes américaines où les droits de vote sont limités à 25 % pour des ressortissants étrangers – ou de facto – cas de compagnies du Golfe qui sont entièrement détenues par leur État d'origine ;

– d'autre part, des règles très strictes en matière d'aides d'État sont applicables au sein de l'Union dès lors que l'investisseur public est originaire d'un État membre alors que ces mêmes règles ne s'appliquent pas quand l'investisseur public est originaire d'un État tiers.

Nous souhaiterions en conséquence que le règlement 8682004 soit largement revu et intègre en particulier les éléments suivants.

La notion « d'intérêt de la Communauté » qui existe dans le règlement actuel se doit d'être encadrée. Cette notion qui se conçoit comme une analyse globale des intérêts européens incluant outre les intérêts des transporteurs aériens, ceux des passagers ou d'autres parties intéressées ne doit pas prévaloir sur le respect du principe de concurrence loyale, prévu par les traités européens. En d'autres termes, la concurrence déloyale ne saurait être tolérée au motif qu'elle profite, par exemple, au consommateur.

La notion de concurrence déloyale devrait être redéfinie en tenant compte, par exemple, du comportement des acteurs du transport aérien qui se démarque singulièrement d'un comportement rationnel d'investisseur avisé. La mise à disposition de services, d'infrastructures ou de carburant à des tarifs déconnectés de la réalité économique pourrait être révélatrice d'une concurrence déloyale.

La notion de préjudice subi par l'industrie européenne ne devrait pas être déterminée au regard d'une route donnée, ou de routes « se ressemblant étroitement », mais s'analyser au regard des conséquences globales sur le réseau d'un transporteur européen ou de plusieurs transporteurs aériens. La charge de la preuve devrait tenir compte des difficultés d'accès aux documents, dans les États n'appartenant pas à l'Union européenne.

Les délais de procédure tels qu'actuellement prévus devraient être considérablement réduits pour éviter que les préjudices subis ne conduisent à des situations irréversibles.

Le règlement devrait prévoir des sanctions à la fois dissuasives et efficaces dans leurs effets pour réparer le préjudice subi. Pour éviter des mesures de rétorsion à l'encontre d'un État membre, les sanctions devraient être prises au niveau de l'Union ou par un État membre en application d'une décision européenne contraignante. Il nous semblerait ainsi adapté qu'au nombre des mesures de sanctions puissent figurer en particulier les suivantes dès lors qu'un État tiers est reconnu comme ayant subventionné un transporteur établi dans son pays :

– limitation avec effet immédiat par les États membres de l'attribution de nouveaux droits de trafic au bénéfice des transporteurs établis dans le pays tiers concerné ;

– limitation avec effet immédiat de toute possibilité pour le transporteur concerné ou son État d'origine d'investir au capital d'un transporteur communautaire ;

– dénonciation simultanée par l'ensemble des États membres des accords aériens les liant à l'État tiers concerné.

Par ailleurs, il nous semble que l'Organisation de l'Aviation Civile Internationale (OACI) doit être le niveau pertinent pour définir des règles communes, assurant à terme les conditions d'une concurrence loyale, contraignantes pour l'ensemble de ses membres. L'OACI devrait accompagner ces règles par un mécanisme de résolution des différends y afférent, analogue aux procédures mises en oeuvre par l'Organisation mondiale du commerce (OMC). À défaut, l'Union européenne devrait se doter d'un instrument de défense unilatéral, analogue aux dispositifs adoptés par les États-Unis pour assurer la protection des transporteurs aériens américains où les pouvoirs dont disposent l'autorité chargée d'instruire les dossiers et de mettre en oeuvre les mesures de rétorsion lui permettent d'agir rapidement.

En conclusion, l'initiative de la Commission visant à renforcer de manière notable l'efficacité d'un instrument juridique de nature à protéger les compagnies communautaires contre les pratiques tarifaires déloyales de la part de compagnies subventionnées par leur pays d'origine est bienvenue.

Pour reprendre les différents points évoqués, je vous propose les conclusions suivantes en regrettant que les documents sur lesquels nous avons travaillé n'aient été disponibles qu'en anglais.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion