Au cours de l'année 2013 nous avons eu la surprise de voir des institutions aussi peu suspectes de laxisme que le FMI ou l'OCDE admonester l'Union européenne, pour ses exigences de retour rapide à l'équilibre des finances publiques de ses États membres, considérant qu'une rigueur excessive peut être contreproductive, et conduire ainsi à une aggravation et non à un allégement des déficits publics.
Leur analyse confirme en tous points ce que nous avions formulé, dans notre rapport du 4 décembre 2012, où nous indiquions que : « les ajustements de la politique budgétaire intervenant, dans un contexte économique déjà déprimé, ont des effets délétères sur la croissance des États européens. Ainsi, on constate dans certains pays, et tout particulièrement en Grèce, toute l'absurdité d'une politique de réduction du déficit qui entraîne une diminution de la croissance et des recettes fiscales, aggravant le déficit qu'elle avait pour vocation de résorber ».
Un ministre grec soulignait le 7 janvier dernier le risque réel d'une chute de son Gouvernement, remplacé par des forces anti-européennes ; à ses yeux, le calendrier des réformes imposées par le programme d'aide à la Grèce – 7 mois – est trop serré pour être socialement supportable.
En France, le Ministre du redressement productif, avec la verve qu'on lui connaît, a tenu des propos équivalents : « José Manuel Barroso est le carburant du Front national… Je crois que la principale cause de la montée du Front national est liée à la façon dont l'Union européenne exerce aujourd'hui une pression considérable sur des gouvernements démocratiquement élus ».
Cette diatribe d'Arnaud Montebourg, certainement formulée en des termes excessifs, traduit une inquiétude justifiée sur la soutenabilité du rythme de réduction des déficits publics imposé par la Commission européenne aux États.
Elle traduit également une inquiétude devant le fait que l'Union européenne n'arrive pas à renouer avec la croissance économique. Cette situation est inquiétante pour une partie de la population européenne acculée au chômage, à une immigration contrainte, à une diminution significative de ses revenus et parfois privée des moyens de se soigner.
M. Olivier Blanchard, chef économiste du Fonds monétaire international soulignait devant notre commission le 21 novembre dernier que s'agissant « de la croissance dans la zone euro, nos chiffres sont connus : un taux négatif en 2013, et + 1 % en 2014. » En tout état de cause les perspectives ne sont guère enthousiasmantes, je le cite toujours : « La France n'est qu'un cas particulier de cette déclinaison. L'un des principaux facteurs de la faiblesse de la croissance cette année est la consolidation budgétaire, qui aura été l'une des plus fortes en Europe. »
Concrètement, cette analyse, que nous partageons, se traduit par l'éclatement de l'Union européenne en trois zones :
- les pays qui peuvent espérer en 2014 une croissance de plus de 2 % du PIB. Ils se situent pour la plus part hors de la zone euro et ont bénéficié de la dépréciation de leur monnaie, tout en gardant les avantages de l'appartenance au marché unique. Les prévisions d'augmentation du PIB de l'OCDE pour 2014 sont : Pologne 2,7 %, Royaume–Uni 2,4 %, Hongrie 2 % ;
- les pays qui peuvent espérer atteindre 1,5 % de croissance du PIB sont les pays du nord – Allemagne 1,7 % – qui n'ont pas été soumis en 2013 à la rigueur budgétaire imposée aux pays du sud ;
- les pays du sud qui connaîtront en 2014 une croissance égale ou inférieure à 1 % – France 1 %, Italie 0,6 %, Espagne 0,5 % – du fait en grande partie des politiques budgétaires restrictives conduites.
Ce constat corrobore également la critique que nous avions adressée aux instances de l'Union européenne en leur reprochant de ne pas exercer la compétence qu'elles détiennent, de par les traités, en matière de politique de change, dans la mesure où la parité actuelle de l'euro pèse sur la croissance des pays du sud et entrave leur capacité de rebond.
Il met en évidence la difficulté de gérer une zone monétaire sur la base d'une moyenne qui se révèle inadaptée à la situation de beaucoup d'États, et qui n'est pas compensée par les transferts budgétaires qui peuvent exister au sein d'un État fédéral.
Nous soulignions déjà en décembre 2012, que le pacte de croissance de 120 milliards d'euros, voulu par le Président de la République, avec un déblocage des crédits sur plusieurs années n'était pas de nature à compenser les phénomènes récessifs liés aux évolutions des parités monétaires et aux politiques budgétaires restrictives qui devaient être étalées dans le temps.
Dès lors, les institutions européennes doivent cesser de se concentrer presque exclusivement sur les réformes de structure, qui produiront leurs effets dans plusieurs années, mais intégrer dans leur approche l'acceptabilité par la population européenne à ces sacrifices, c'est-à-dire le délai raisonnable sur lequel doivent être étalées les réformes pour être humainement et socialement supportables. En d'autres termes, ces institutions doivent avoir une approche plus « politique » de l'exercice des pouvoirs que leur ont donné les « two pack », « six pack » et le Traité sur la stabilité, faute de quoi nous allons assister à un développement massif du rejet de la construction européenne.
Pour doper la croissance, il convient d'engager sans tarder une réflexion pour relancer et financer les investissements dont l'Europe a besoin pour aller, par exemple, vers la croissance verte.
C'est pourquoi les mécanismes novateurs du pacte de croissance peuvent avoir un grand intérêt si leur utilité est démontrée ; il sera possible dans ce cas de demander aux institutions européennes que par exemple les « projects bonds » prennent une toute autre ampleur.
Nous ne pensons pas que la principale réponse européenne conjoncturelle à la situation du chômage puisse être de promouvoir la mobilité des travailleurs avec les difficultés humaines qu'implique une immigration subie.
Plus rapidement, le bilan du Pacte de croissance est somme toute limité pour la France ; il est difficile de calculer son impact, faute de recul. En outre des mesures de relance n'ont guère d'effet, prises isolément, elles doivent être appréhendées dans un contexte.
La Commission européenne est sans doute fondée à estimer qu'elles ont eu un impact significatif sur l'emploi et l'investissement à l'échelle de l'Union européenne. Il est très important de rappeler que pour nombre de pays de l'Union européenne les fonds structurels en provenance de l'Union européenne constituent une part essentielle des budgets d'investissements. Leur déblocage accéléré ne peut donc qu'avoir un impact réel sur la croissance économique.
Les projets FEDER (Fonds Européen de Développement Régional) ont créé – pour la Commission européenne – 400.000 nouveaux emplois entre 2007 et 2011, dans le cadre de la politique de cohésion de l'Union européenne ; ils ont été financés à hauteur de 350 milliards entre 2008 et 2013 à travers le cadre financier pluriannuel 2007-2013.
Selon la Commission européenne, l'effet sur la croissance du plan 2007-2013 a été substantiel pour les principaux bénéficiaires – en moyenne 1 % de croissance par an sur 20082013 – et se fera sentir jusqu'en 2020.
Pour ce qui concerne les fonds structurels sur la période 2014-2020 la Commission européenne propose de dynamiser l'impact sur la croissance de cet outil, dont l'incidence globale dépassera vraisemblablement les 500 milliards d'euros, si l'on tient compte de la contribution nationale des États membres et de l'effet de levier des instruments financiers, à travers des mesures d'assouplissement dans la gestion des fonds structurels.
Le deuxième point du pacte de relance était l'augmentation du capital de la BEI. Suite à l'augmentation autorisée en 2012 de son capital de 10 milliards d'euros, 60 milliards de prêts pourront s'ajouter à son activité sur 2013-2015. Ces prêts sont destinés majoritairement à des secteurs stratégiques – haute-technologie, infrastructures – ou des PME.
Nous avions beaucoup insisté dans notre rapport de 2012 sur l'intérêt de cette mesure qui bénéficie aux entreprises car la faiblesse de l'investissement productif constitue l'une des causes de la langueur économique que nous traversons.
Selon les dernières estimations de la BEI, l'objectif général d'octroi de prêt devrait être atteint dans une large mesure. Le total des signatures à destination des PME devrait se situer autour de 16 milliards à fin 2013, soit une augmentation de 50 % par rapport à 2012 – avant l'augmentation de capital –.
En outre, la BEI renforcera, à compter de 2014, la capitalisation de sa filiale, le Fonds européen d'investissement (FEI), par une augmentation de 1,5 milliard d'euros du capital souscrit, dont une contribution en numéraire de 560 millions d'euros à laquelle un mandat par lequel la BEI mettra à disposition jusqu'à 4 milliards d'euros pour appuyer des garanties qui seront émises par le FEI au cours des sept prochaines années. L'augmentation de capital du FEI doit encore recevoir l'approbation du Conseil des gouverneurs de la BEI et des autres actionnaires du Fonds.
Troisième pilier du Pacte de croissance, les « projects bonds », ont été lancés en novembre 2012 pour financer les grands projets d'infrastructure européens type PPP – partenariats public-privé – sous l'égide de la BEI. Ils permettent d'apporter des garanties supplémentaires pour rehausser la notation des obligations.
Les premiers « project bonds » ont été placés sur le marché avec succès le 30 juillet 2013 – emprunt de 1,5 milliard d'euros pour un centre de stockage de gaz naturel en Espagne. Bien qu'en phase « pilote », l'initiative « project bonds » est au coeur de la stratégie de financements des infrastructures en Union européenne – dont les besoins sont évalués à des sommes très importantes : 2 trillions d'ici à 2020 – en raison de l'effet de levier généré par les rehaussements de crédits.
Si la France ne profite que peu des financements distribués dans le cadre de la politique de cohésion, les mesures de type « project bonds » pourraient avoir une importance significative.
A ce jour la France a reçu les financements suivants au titre des trois dispositions figurant dans le pacte de croissance.
Au titre des Fonds structurel, 14 milliards d'euros sont accordés à la France – 5 % du budget total des fonds structurels – pour 90.000 projets entre 2007 et 2013. La moitié a déjà été versée aux bénéficiaires ;
- pour la BEI : 5 milliards d'euros d'investissements sous formes de prêts – par exemple la ligne de crédit BPI pour le financement des PME françaises à hauteur de 750 millions ;
- les project bonds : ils ont permis en France, pour le moment, un investissement de 280 millions d'euros pour la Cité de la musique à Paris – été 2013 – et Rocade à Marseille – octobre 2013.
Nous sommes en phase de mise en oeuvre d'un programme, certes d'une ampleur limité, mais qui n'est pas négligeable et qui devra être jugé sur plusieurs années.