Mesdames, messieurs les députés, votre assemblée a été au coeur des combats pour les droits des femmes. Au moment d’ouvrir ce nouveau débat parlementaire, je voudrais faire appel à cette histoire et formuler le souhait que nous en soyons dignes. Je pense que nous pouvons trouver la volonté, la force qui sied à ce débat.
C’est la première fois qu’un projet de loi s’attaque de manière globale à tous les enjeux, avec un ensemble d’objectifs coordonnés : l’égalité professionnelle, la lutte contre les discriminations entre les femmes et les hommes au travail, la lutte contre les violences et les stéréotypes sexistes, la lutte contre la précarité, l’égal accès entre les femmes et les hommes aux responsabilités politiques, sociales et professionnelles, une parité qui ne s’applique non plus uniquement au champ politique, mais à toutes les institutions dans lesquelles les forces de notre société sont représentées.
Ce texte aborde aussi des enjeux nouveaux, tels que la place des pères dans l’éducation de leurs enfants et dans le temps de la vie personnelle, les conséquences des divorces et des séparations dans l’économie d’une famille, la place, le rôle et l’image des femmes dans les médias et dans la culture dans une société de l’information et du divertissement envahie par les écrans.
Avec ce texte, il s’agit non plus de simplement réparer les lacunes ou de combler les carences très graves qui existent, mais d’installer une véritable logique législative qui affirme l’égalité comme un tout, un ensemble cohérent, et qui se donne pour ambition de parvenir à l’égalité réelle à l’échelle d’une génération.
Il faut pour cela accepter, comme l’ont fait les sénatrices et les sénateurs avant vous, de se pencher sur des sujets nouveaux, d’adopter un regard différent, d’aller débusquer les causes les plus profondes des inégalités, où qu’elles soient, conscientes ou inconscientes.
Au regard du travail que nous avons déjà accompli pour enrichir ce texte, je sais pouvoir compter sur une volonté commune d’aboutir à une loi ambitieuse et efficace. C’est le sens des propositions que je reçois régulièrement, en particulier de votre délégation aux droits des femmes, toujours à la pointe du combat pour l’égalité, et dont je salue la présidente Catherine Coutelle. C’est aussi le sens du travail de votre commission des lois qui, sous la houlette de son président, a mené avec les rapporteures des commissions sollicitées pour avis, Mmes Orphé et Tolmont, un travail novateur, de grande ampleur. Permettez-moi enfin d’avoir un mot particulier pour votre rapporteur, Sébastien Denaja, dont le travail a déjà fait considérablement progresser ce texte sur le plan juridique et qui a proposé des solutions équilibrées pour plusieurs dispositions que le Sénat avait initiées sans en avoir nécessairement évalué les effets.
Pour la première fois, nous abordons de front la question de la répartition des tâches au sein des ménages. Pourquoi ? Parce que de l’équilibre de cette répartition dépendent non seulement le taux d’emploi des femmes et leur accès aux responsabilités professionnelles, mais aussi l’implication des pères dans la vie familiale, une implication que votre commission a d’ailleurs souhaité renforcer en apportant des garanties et une légitimité nouvelles aux pères qui font le choix d’être auprès de leur compagne avant, pendant et après l’arrivée de l’enfant.
Égalité professionnelle, prise en compte des enjeux de société que représentent les politiques d’égalité pour les hommes : voilà deux dimensions essentielles de ce texte que je souhaiterais mettre en avant et que je voudrais que nous gardions à l’esprit tout au long de la discussion.
C’est le sens, bien sûr, de la réforme du congé parental que je vous propose : pour le premier enfant, six mois s’ajouteront aux six mois actuels à condition qu’ils soient pris par le deuxième parent. À partir du deuxième enfant sera instaurée une période de partage de six mois dont le bénéfice ne sera accordé qu’à la condition d’un partage du congé avec le deuxième parent.
Il faut commencer par là, mais il ne faut pas s’en contenter. L’objectif, c’est le changement des comportements, le changement de l’organisation au sein des entreprises, avec, à la clé, une nouvelle liberté pour les familles : s’organiser comme elles l’entendent vraiment et non pas comme les traditions héritées du passé voudraient qu’elles le fassent.
Sur ce sujet, votre assemblée avait déjà fait de longue date des propositions. Je pense en particulier à l’excellent rapport de Marie-Françoise Clergeau, dont nous nous sommes inspirés. La réforme que nous dessinons marque une étape dans leur mise en oeuvre. Votre commission a notamment adopté une mesure visant à expérimenter un congé optionnel plus court et mieux rémunéré. Ces propositions permettront de s’adapter aux familles en leur ouvrant de nouvelles possibilités pour construire de nouveaux équilibres, et ce, avec une préoccupation majeure : tout faire pour remettre les femmes sur le chemin de l’emploi, qui est aussi celui de l’insertion sociale, économique, et donc d’une véritable autonomie, d’une véritable indépendance. L’objectif est de tout faire pour donner aux femmes les moyens de se réinsérer dans leur environnement de travail au retour du congé parental ou de faire valoir leurs droits lorsqu’elles sont victimes de discrimination.
Notre objectif, avec le passage du complément de libre choix d’activité à la prestation partagée d’éducation de l’enfant, le nouveau nom du dispositif, est d’obtenir le même effet qu’en Allemagne, où une réforme similaire a été menée il y a quelques années. Cela revient à faire le pari que, d’ici à 2017, 100 000 pères opteront pour cette nouvelle prestation ; ils sont seulement 18 000 à prendre leur congé parental aujourd’hui.
Cette réforme du congé parental ne peut pas être isolée. Pour qu’elle soit réussie, le Gouvernement a choisi de l’accompagner d’un effort inédit pour développer les services d’accueil pour les jeunes enfants. Nous allons financer d’ici à 2017 275 000 solutions d’accueil supplémentaires pour les moins de trois ans, dont 100 000 places de crèche. Cela représente un effort de plus d’1 milliard d’euros d’ici à 2017 qui passe par le Fonds national d’action sociale de la branche famille. Nous consacrons aujourd’hui 1,7 milliard d’euros à ce poste. En 2017, il pèsera 2,8 milliards d’euros, ce qui correspond à une progression de 55 %. C’est un effort historique, et si la réforme du congé parental que je vous propose aujourd’hui venait à nous permettre de dégager des économies, sachez que nous les affecterions en priorité et exclusivement au renforcement de ces moyens d’accueil des enfants de moins de trois ans.
Vous noterez d’ailleurs que nous avons aussi pensé aux parents qui ne trouveraient pas, malgré ces nouvelles places, de solution d’accueil. Au moment de l’examen du texte par le Sénat, nous avons créé un dispositif de jonction pour les couples modestes au sein desquels l’un des deux parents travaille et qui n’ont pas reçu de réponse positive auprès d’une crèche ou de l’école maternelle. Pour eux, le versement de la prestation liée au congé parental sera prolongé au-delà du troisième anniversaire de l’enfant jusqu’à la rentrée scolaire de septembre pour laquelle les parents ont droit à une place à l’école pour leur enfant. C’est un droit nouveau pour résoudre une difficulté que nous n’inventons pas et que de nombreux parents rencontrent depuis longtemps.
Enfin, il fallait penser au retour à l’emploi des salariés qui prennent un congé parental, donc des femmes en particulier, puisque ce sont les plus concernées. Ce texte institue un véritable droit à l’accompagnement à l’issue du congé parental. Nous souhaitons en finir avec la placardisation au retour d’un congé parental en entreprises. Pour les salariés, qui ont droit à une réintégration dans l’emploi, nous prévoyons ainsi la possibilité de bénéficier d’un entretien avant la reprise de poste, pour que la carrière n’en soit pas affectée.
Nous souhaitons également en finir avec la fatalité des périodes de chômage à rallonge pour celles qui n’ont pas de perspective immédiate de retour à l’emploi et qui se retrouvent en grande difficulté après plusieurs années d’interruption de carrière. Désormais, un dispositif d’orientation et d’accompagnement renforcé sera mis en place entre les caisses d’allocations familiales et Pôle emploi un an avant la fin des droits au congé parental. Les femmes et les hommes concernés seront contactés, un bilan de compétences leur sera proposé et, en lien avec les régions, des offres de formations adaptées et un accompagnement personnalisé leur seront proposés pour faciliter leur retour à l’emploi.
Votre commission des lois a d’ailleurs enrichi ce texte de mesures qui favorisent l’engagement du deuxième parent au moment de la grossesse et après l’accouchement, en autorisant par exemple l’absence pour le conjoint salarié de la femme enceinte afin qu’il puisse se rendre à trois des examens médicaux obligatoires dans le cadre d’une grossesse. De la même façon, le texte prévoit désormais la protection contre le licenciement pour les hommes salariés au cours des quatre semaines qui suivent la naissance de leur enfant. Je m’en réjouis, car c’est un frein de plus à l’utilisation des congés paternité et des congés parentaux par les hommes qui est ainsi levé. Ce nouveau contexte que la loi va créer agira progressivement sur les comportements et les organisations relativement aux responsabilités domestiques et au bon équilibre des temps de vie et des temps professionnels, pour les hommes comme pour les femmes.
L’égalité professionnelle doit redevenir dans le même temps un passage obligé du dialogue social dans les entreprises. C’est pourquoi nous avons décidé de renforcer le cadre qui permet de négocier au sein de ces entreprises et de garantir les droits que nous avons inscrits dans le code du travail depuis plus de quarante ans : l’égalité dans les rémunérations, l’égalité dans le déroulement de carrières, etc. Ce sont de nouvelles garanties pour faire respecter ces derniers.
L’examen de ce texte au Sénat a ainsi été l’occasion de transposer les articles à portée législative de l’accord national interprofessionnel que les partenaires sociaux ont conclu sur ce sujet en juin dernier. Nous unifions, nous rendons plus efficace la négociation sur l’égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes dans l’entreprise. Cette négociation devra désormais définir et programmer les mesures qui permettent concrètement de supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes. Elle sera rendue plus effective grâce au rôle nouveau des rapports de situation comparée qui seront le point de départ de toute discussion.
En complément de ces évolutions, le projet de loi crée un dispositif nouveau, sur lequel je voudrais insister, pour amener les branches à négocier sur les classifications des emplois afin d’assurer la revalorisation des métiers à prédominance féminine. Beaucoup de ces classifications, comme vous le savez, sont datées, très datées. Elles induisent encore une moindre valorisation des emplois principalement occupés par les femmes malgré leur utilité sociale ou professionnelle avérée. Nous avons repris sur ce sujet les travaux du défenseur des droits. Avec Michel Sapin, nous avons saisi les partenaires sociaux, qui ont lancé vendredi dernier leurs travaux; les grilles de classifications vont pouvoir être revues et corrigées de ces discriminations qui sont le substrat des inégalités professionnelles.
Tout doit être fait pour amener les entreprises à l’exemplarité sur ce sujet ; tout, y compris agir sur le levier précieux de la commande publique. C’est le sens de la mesure du présent projet de loi qui prévoit que les entreprises ne respectant pas leurs obligations en matière d’égalité professionnelle ne pourront plus soumissionner à des marchés publics. Votre commission a d’ailleurs fait oeuvre utile en élargissant cette règle aux contrats de partenariat et aux délégations de service public.
Le but, entendons-nous bien, n’est pas de restreindre l’accès à la commande publique, évidemment, notamment pour les PME. Il est bien plutôt d’accompagner les entreprises dans l’application de leurs obligations en matière d’égalité et de faire de l’achat public un achat exemplaire. Cela a été fait ailleurs avec succès ; je pense au Québec ou à la Belgique. Cela devrait relever de l’évidence. Nous l’inscrivons dans la loi.
Assurer l’égalité professionnelle, c’est aussi lutter contre la précarité des femmes en emploi et hors de l’emploi. La loi de sécurisation de l’emploi, adoptée voilà près d’un an, a dessiné un nouveau cadre pour lutter contre les petits temps partiels trop souvent subis, contre les journées en miette et les rémunérations trop faibles qui les accompagnent.
Des aménagements sont en cours sur ce sujet : un minimum hebdomadaire de vingt-quatre heures qui, bon an mal an, va réussir à s’imposer dans les branches – on l’a vu la semaine dernière encore avec celle de la restauration rapide, qui a abouti à la signature d’un accord –, des heures complémentaires revalorisées, des droits sociaux accrus pour les salariées à très petit temps partiel qui ont été introduits notamment grâce à la réforme des retraites. Vous avez déposé de nombreux amendements sur ce sujet et je comprends votre impatience ; je dirai même que je la partage. Nous donnons encore quelques mois aux branches pour avancer sur ces questions et nous les accompagnerons, si besoin, avec des conférences de progrès comme nous avons déjà eu l’occasion de le faire dans le secteur de la propreté ou du commerce.
Il est vrai que des progrès sont encore nécessaires, notamment sur la question du droit d’accès des salariés à petit temps partiel aux arrêts maladie. Je m’adresse notamment à Catherine Coutelle, qui a déposé un amendement sur ce sujet qui a été jugé irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. Sachez, madame la présidente, que nous sommes en train de travailler très activement sur ce sujet de l’accès aux arrêts maladie, aux indemnités journalières pour les petits temps partiels qui en sont aujourd’hui exclus. Cela relève pas de la loi mais du décret ; sachez cependant qu’une mesure s’inspirant de votre proposition est à l’étude et sera annoncée très prochainement.
Toujours dans le souci de lutter contre la précarité, nous avons posé les bases, dans ce texte, d’un nouveau service public qui proposera demain une garantie contre les impayés de pension alimentaire. Une promesse trop longtemps faite sans être tenue. Qui ignore que la précarité présente aujourd’hui trop souvent le visage d’une femme seule à la tête d’une famille monoparentale, trop souvent privée de cette ressource essentielle qu’est la pension alimentaire, à laquelle pourtant elle a droit ?
Ce dispositif, que nous inscrivons dans la loi, est une marque supplémentaire de l’attention et du soutien que le Gouvernement porte aux « mamans solo », aux mères isolées, fortement touchées par la pauvreté.
Nous en avons fait un public prioritaire du plan de lutte contre la précarité et pour l’inclusion, avec des traductions très concrètes : augmentation de l’allocation de soutien familial de 25 % d’ici 2018 – une première mesure interviendra en avril prochain –, mesures de lutte contre le surendettement, accès facilité au compte bancaire, entre autres.
Nous allons plus loin dans ce projet de loi, avec un nouveau dispositif de sécurisation des pensions alimentaires, qui a vocation à mettre un terme à la longue et lourde galère des mères isolées confrontées aux impayés de pension alimentaire. Il permettra aux caisses d’allocations familiales de se porter à leur secours dès le premier mois d’impayé par le versement d’une allocation différentielle, mais il n’exonérera aucunement les parents défaillants de leur responsabilité, bien au contraire, puisqu’il renforce les voies de recours des CAF contre les mauvais payeur : la CAF fera l’avance, puis mettra en oeuvre des moyens de recouvrement renforcés. Elle fera de la médiation auprès des familles, donnera de l’information pour limiter les contentieux. Elle vérifiera que les parents défaillants n’organisent pas leur insolvabilité : ce n’est pas une généralité, mais cela arrive et ce n’est pas jeter l’opprobre sur les hommes que de regarder cette réalité en face. Enfin, lorsque la pension alimentaire fixée en justice est d’un très faible montant, inférieur à 90 euros par enfant et par mois, la CAF la complétera pour éviter la précarisation d’office des enfants dont les parents jouent le jeu sans en avoir les moyens. Oui, c’est un dispositif ambitieux global et pragmatique que ce nouveau service public que l’on confie à celles qui connaissent le mieux la situation des familles : les CAF.
Je sais que certains d’entre vous voudraient généraliser ce dispositif dès maintenant, avant même la préfiguration que nous proposons.