J’ai vu les amendements du groupe UDI sur ce sujet qui sont un appel à faire davantage, mais j’assume cette méthode de préfiguration de dix-huit mois avant la généralisation début 2016 : c’est le plus sûr moyen d’embarquer le plus grand nombre dans ce projet fédérateur et de caler les processus et les outils avant de les généraliser. J’assume cette nouvelle façon de faire la loi : il ne s’agit pas de rester dans l’incantation avec des dispositifs qui n’entrent jamais dans les pratiques, mais bien au contraire de prendre le temps de la préfiguration pour tester les outils que nous construisons, identifier les meilleures réponses avec les usagers eux-mêmes et former les agents pour qu’ils se les approprient totalement et les utilisent vraiment.
Je crois en cette méthode, parce qu’elle est synonyme de rigueur et donc d’effectivité du droit. Le manque d’effectivité, c’est ce dont les droits des femmes ont trop longtemps souffert ces dernières décennies.
Nous aiderons aussi les familles modestes pour la prise en charge des frais de garde par des assistants maternels à travers un dispositif de tiers payant qui leur évitera d’avoir à avancer des sommes importantes, trop importantes pour leur portefeuille. C’est une véritable mesure de pouvoir d’achat qui résoudra ce choix cornélien pour les parents modestes, et en particulier les femmes : faire garder ses enfants ou s’arrêter de travailler parce que cela coûte quasiment aussi cher.
J’en viens au troisième axe de ce projet de loi cadre : lutter contre les violences faites aux femmes. Tout ce volet est évidemment articulé avec le plan que j’ai annoncé en novembre dernier et que nous avons commencé à mettre en oeuvre.
L’effort que vous êtes très nombreux à avoir demandé pour améliorer la formation des professionnels, nous le faisons enfin avec ce texte : la formation initiale et continue des personnels confrontés aux violences comportera désormais un module obligatoire consacré aux violences faites aux femmes. Nous avons déjà engagé le travail avec les professions médicales. En 2014, ce sera au tour des travailleurs sociaux, des forces de police, des avocats, des magistrats.
Nous avons par ailleurs décidé de protéger davantage les femmes victimes de violences au moyen tout d’abord de cette ordonnance de protection que votre assemblée a créée, inventée en 2010, mais qui n’est pas encore appliquée autant qu’elle le devrait sur l’ensemble du territoire. C’est pourtant un dispositif extraordinaire, qui permet aux femmes de bénéficier d’une protection efficace même lorsqu’elles ont fait le choix de ne pas porter plainte. Eh bien, nous le renforçons, parce que nous y croyons.
Nous renforçons aussi d’autres mesures, en particulier pour que l’éviction du conjoint violent devienne le principe. Aussi étrange que cela puisse paraître, cette disposition n’avait pas encore été écrite dans la loi : désormais, ce sera aux hommes violents qu’il appartiendra de s’interroger sur les conséquences de leurs actes, et de se chercher un autre hébergement.
Nous faisons en sorte d’étendre le téléphone portable « grand danger » partout sur le territoire, pour le mettre entre les mains de toutes les femmes en situation de grand danger – violences conjugales mais aussi récidive de viol, quel que soit leur lieu d’habitation.
Nous rendons exceptionnelle la médiation pénale pour les cas de violences conjugales, car nous considérons qu’en l’espèce, les hommes et les femmes ne sont pas sur un pied d’égalité.
Nous exonérerons du paiement des taxes et des droits de timbre les demandes de titre de séjour de femmes étrangères victimes de violences conjugales ou de traite. Je salue d’ailleurs vos amendements qui tendent à clarifier certaines situations encore ambiguës.
Nous améliorons encore la protection en renforçant la lutte contre le harcèlement, en particulier le harcèlement sexuel, à l’université par exemple, grâce à une mesure de dépaysement adoptée par la commission des lois et qui fait suite aux travaux et à l’engagement de longue date sur ce sujet de votre rapporteur mais aussi d’Axelle Lemaire. Nous approuvons bien évidemment cette disposition.
Mais nous avons décidé d’aller plus loin que ces mesures de protection afin de mieux prendre en compte les conséquences des violences conjugales lorsque des mineurs en sont les victimes. Disons les choses clairement : de manière directe ou indirecte, les enfants sont toujours victimes des violences conjugales, avec des conséquences en chaînes aux effets dévastateurs, tragiques au sens propre du terme, des destins brisés qui se reproduisent dans l’ombre du secret.
Ce chapitre relatif à la violence comporte enfin une mesure à laquelle je tiens tout particulièrement : le suivi des auteurs de violences et la prévention de la récidive. Il ne suffit pas, en effet, d’extraire une victime des mains de son bourreau. Trop souvent, on le sait, les couples se reforment et les violences avec elles ou parce que l’auteur des violences les reproduira avec une autre.
Des stages de responsabilisation spécifiquement conçus pour les auteurs de violences sexistes et sexuelles se mettront ainsi en place, à leurs frais. Ils seront assurés par des professionnels et des associations qui veilleront à les mettre face à la gravité de leurs actes et les aidera à combattre le déni qui est le terreau le plus fertile de la récidive.
Je tiens peut-être plus encore à ce que nous prenions ici toutes nos responsabilités pour prévenir la violence, extirper le mal à la racine, dans cette représentation des femmes, si souvent faibles, si souvent inférieures, si souvent réduites au rang d’objet et de produit de consommation, si souvent victimes et si rarement à l’image de ce qu’elles sont aujourd’hui dans la société française, et encore plus rarement de ce qu’elles devraient être, c’est-à-dire des égales, des femmes actives, autonomes, émancipées, diplômées.
Cette juste représentation des femmes sur tous nos écrans est un enjeu majeur. J’ai souhaité que les missions et les compétences du Conseil supérieur de l’audiovisuel soient revues. Le régulateur aura désormais la responsabilité d’assurer le respect de l’image des femmes et de promouvoir une représentation équilibrée de leur rôle dans la société : plus diplômées que les hommes, pourquoi seraient-elles condamnées plus longtemps à ne représenter que 20 % des expertes invitées sur les plateaux des émissions d’information, à la radio comme à la télévision, quel que soit le domaine de savoir ou de compétence ?
Si nous voulons changer la société, il faut l’affirmer : les images dégradantes des femmes, les violences qui leur sont faites, les stéréotypes sexistes ne doivent plus y avoir droit de cité. La loi doit y veiller, contraindre et sanctionner lorsque cela s’impose.
Il en va de même, bien sûr, pour internet et une première mesure à l’article 17 est prévue dans ce texte pour faire face à cet enjeu majeur. Nous sommes confrontés à un défi dont je mesure bien l’ampleur et la difficulté, puisque tout reste à penser en matière de régulation des contenus dans le domaine du numérique où la liberté d’expression et de création, l’absence de frontières, les zones de non-droit, la toute-puissance de quelques acteurs et la technologie elle-même rendent si difficile une position d’équilibre, crédible, efficace, respectueuse des droits fondamentaux.
Mais je le dis ici très clairement : nous ne pouvons être en deçà des restrictions à la liberté d’expression fixées par la loi sur la presse de 1881. Un recul démocratique n’’est pas acceptable. Nous devons permettre aux internautes de signaler aux hébergeurs les propos homophobes, handiphobes ou sexistes, comme c’est le cas pour les propos racistes, antisémites, l’incitation à la haine ou l’apologie des crimes de guerre. Il faut permettre ce signalement pour garantir la suppression de ces messages de haine.
La liberté, nous dit la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. L’exercice des droits naturels de chaque homme a pour bornes celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Il revient à la loi de déterminer ces bornes. Oui, il vous revient à vous, législateurs, de proclamer que le sexisme, sous ses formes les plus brutales comme les plus sournoises, ne relève jamais du simple mauvais goût, de l’inélégance, du trait d’esprit libre et impertinent que l’on appelle aujourd’hui le « politiquement incorrect ».
Il suffit d’y consacrer quelques minutes, devant une page internet, pour comprendre que se développe en ligne, accessible à toutes et à tous, une nouvelle culture du viol, décomplexée, bien souvent inconsciente de constituer une incitation à la violence et au crime, pout comprendre qu’aucune « liberté d’expression » ne saurait justifier ou tolérer au simple motif que cela se passe sur internet et pas à la télé ou dans la rue. Rappelez-vous, c’est d’abord et avant tout internet qui informe et éduque nos propres enfants. N’en détournons jamais notre regard au motif que ce serait « trop compliqué ».
Nous ne pouvons pas avoir l’ambition de solder le passé des inégalités entre les hommes et les femmes pour entrer dans le même temps, à reculons et sans défense, dans la société de demain, la société du numérique. Voilà pourquoi j’espère que l’article 17 sera adopté par votre assemblée.
Quatrième et dernier volet du texte, la parité. Votre assemblée, depuis un an, s’est souvent manifestée par sa volonté de donner toute leur place aux femmes dans les responsabilités électives et sociales. De nombreux textes ont été adoptés et nous ont permis de progresser, qu’il s’agisse de celui relatif à la refondation de l’école, à la réforme des modes de scrutins locaux, au non-cumul des mandats, à l’enseignement supérieur et la recherche.
Nous allons au-delà, puisque nous généralisons la parité, partout et tout le temps, à commencer par le monde politique afin de traduire l’engagement du Président de la République de renforcer la pression sur les partis politiques qui ne respectent pas leurs obligations de parité pour les élections législatives.
Le texte prévoit notamment de doubler les pénalités prévues sur la première fraction de financement des partis réfractaires. C’est, j’en suis convaincue, une évolution qui changera la donne et votre commission des lois a souhaité que votre assemblée soit à l’avant-garde sur ce sujet. Je ne peux que m’en féliciter, même s’il faudra veiller à la sécurité juridique du texte.
Le texte prévoit également depuis son passage en commission des lois de poser le principe de la parité entre la tête d’un exécutif local et son premier adjoint ou vice-président. Je m’en félicite.
Il généralise anfin le principe de l’égal accès des femmes et des hommes en adoptant une démarche à la fois pragmatique, ambitieuse et réaliste. Beaucoup de secteurs sont concernés : les fédérations sportives, les organismes consulaires, les ordres professionnels ou encore les autorités administratives indépendantes et les commissions consultatives placées auprès de l’État. Vous avez même proposé d’étendre ce principe aux commissions consultatives placées auprès des collectivités. J’y serai, au nom du Gouvernement, favorable.
Tout cela, mesdames et messieurs les députés, constitue l’armature d’une action de longue haleine, j’en suis pleinement consciente, une perspective à laquelle nous devons fixer un terme, un aboutissement : celui d’une génération pour qui nous préparons les conditions d’une société de l’égalité réelle. Je la crois fille de la volonté politique, bien lus qu’heureux hasard de l’esprit du temps ou sens de l’histoire.
C’est une action essentielle, pour les femmes évidemment, mais aussi pour la légitimité, la crédibilité de l’action publique, et la confiance que les citoyens accorderont, ou non, à leurs représentants, selon que nous serons capables d’accorder nos discours et nos valeurs, avec nos actes.
Ce texte a tout entier été conçu pour être appliqué, doté des moyens pour changer véritablement la donne, une fois confronté au réel : je souhaite qu’il soit très largement voté, par-delà les clivages, parce que son ambition est d’engager notre pays sur un chemin sans retour, celui de l’égalité entre les femmes et les hommes, sans laquelle il n’est pas de réelle liberté.