Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est un moment important que nous vivons aujourd’hui avec l’examen de ce projet de loi. Important pour les femmes de l’hexagone comme de l’outre-mer, et surtout pour la société française dans son ensemble. Si nous sommes présents dans cet hémicycle, c’est que toutes et tous avons, à un moment de notre existence, fait le choix de nous engager dans la vie publique. Il y a, bien sûr les histoires personnelles, il y a aussi les raisons, parfois singulières, qui nous ont amenés à faire ce choix, mais à la base de tout engagement politique, il y a, je crois, une même ambition, la volonté de faire avancer notre société.
Faire avancer la société en changeant la place qu’y occupent les femmes, tendre vers l’égalité avec les hommes, voilà une des raisons qui m’ont poussée à m’engager dans la vie politique calédonienne, puis nationale. Avant toute chose, je voudrais donc vous dire, mes chers collègues, toute l’émotion que je ressens en ce moment en prenant part à ce débat. C’est bien d’émotion que je parle car, comme d’autres ici, je suis née dans une France que certains ont oubliée : une France où les femmes venaient certes de se voir enfin reconnaître le droit de vote, mais une France aussi où une femme ne pouvait ni travailler sans l’autorisation de son mari, ni disposer librement de son propre corps. Dans cette France-là, la liberté des femmes était fragile, et l’égalité avec les hommes tout simplement inexistante.
Si cette France-là est aujourd’hui oubliée, c’est parce que les lois de la République l’ont changée, c’est aussi parce que des hommes et des femmes ont porté ces lois, parfois au prix de débats heurtés. Si la France a changé, elle le doit au général de Gaulle et au Gouvernement provisoire, qui reconnut enfin aux femmes le droit de prendre part à la décision nationale, qui leur avait été si longtemps refusé. Comme si elles n’avaient joué aucun rôle dans l’histoire de la République, comme si les femmes de 1789 n’avaient pas pris part à la Révolution, comme s’il ne s’était pas trouvé des femmes pour se tenir sur toutes les barricades du XIXe siècle, comme si les femmes n’avaient pas remplacé les hommes, dans les champs comme dans les usines, lorsque, voici tout juste un siècle, se jouait le destin de notre pays !
Si la France a changé, elle le doit à l’obstination de Lucien Neuwirth et au courage de Simone Veil, qui permirent aux femmes de devenir enfin actrices de leur propre vie. Si la France a changé, elle le doit à la vision de Valéry Giscard d’Estaing, qui permit d’avancer concrètement vers l’égalité des droits. Si la France a changé, elle le doit à Yvette Roudy, à Catherine Génisson et à Lionel Jospin, qui ont permis de dépasser la stricte égalité juridique pour tendre vers une égalité plus complète, vers une égalité réelle, que ce soit dans la vie professionnelle ou dans la vie politique.
Si la France continue aujourd’hui son chemin vers l’égalité des sexes, nous le devons aussi, et je tiens à les saluer, à nos collègues Marie-Jo Zimmermann, Françoise Guégot et François Sauvadet, qui ont su briser certains tabous pour permettre aux femmes d’être enfin plus nombreuses à exercer les plus hautes fonctions, dans l’entreprise comme dans l’administration. Mais si la France a changé, beaucoup reste à faire pour les femmes de ce pays : ici même, dans cet hémicycle où l’on compte à peine 151 femmes pour 426 hommes, nous mesurons mieux qu’ailleurs toute l’étendue du chemin qui reste devant nous.
Mais, au-delà, je pense aux femmes pour qui l’égalité salariale reste une promesse vide de toute réalité avec, faut-il le rappeler, un écart moyen en termes de rémunérations qui se situe toujours autour de 28 %. Je pense aussi à ces femmes qu’une séparation et des pensions alimentaires impayées ont brutalement plongées dans la grande pauvreté. Je pense enfin, je pense surtout à toutes ces femmes victimes de maltraitance et de violence au sein même de leur foyer ; et sur ce point, la Nouvelle-Calédonie n’est malheureusement pas en reste. La situation y est même bien plus préoccupante qu’ailleurs, puisqu’une femme sur quatre y est régulièrement victime de violences conjugales, contre une femme sur dix en France métropolitaine.
C’est de toutes ces femmes, mes chers collègues, que nous parlons aujourd’hui. Le projet de loi que vous nous présentez, madame la ministre, doit changer la société française. Mais pour cela, il nous faudra être aussi lucides sur le constat qu’ambitieux dans les réponses – et, sur certains points, sans doute plus ambitieux que ne l’est le texte actuel. Vous proposez d’améliorer le dispositif de l’ordonnance de protection pour les femmes victimes de violences conjugales, notamment afin de réduire les délais dans lesquels une telle ordonnance peut être prise par l’autorité judiciaire, mais aussi pour poser le principe selon lequel c’est à la victime que doit, sauf circonstances exceptionnelles, revenir le bénéfice du domicile familial. C’est un pas dans la bonne direction, et nous vous ferons des propositions pour aller plus loin. Mais sur ce sujet, nous faisons face à un adversaire redoutable qui n’est autre que la peur, la peur que ressentent ces femmes qui n’osent tout simplement pas saisir la justice des violences dont elles sont victimes. Pour que les violences conjugales reculent véritablement, nous devons également améliorer la détection de ce type de comportements, en étant aux côtés des associations qui agissent sur le terrain.
Pour ce qui est de l’égalité salariale, vous proposez d’utiliser - je cite le rapport de notre collègue Denaja - le levier de la commande publique, en excluant des marchés publics les entreprises qui ne s’engageraient pas sur le sujet dans le cadre du dialogue social. C’est, là encore, une avancée notable, mais celle-ci me semble, pour tout dire, encore timide au regard des enjeux, car toutes les entreprises ne candidatent tout simplement pas aux marchés publics. Aussi le groupe UDI vous proposera-t-il d’aller plus loin en mobilisant un second levier, celui de la fiscalité - plus précisément des exonérations de cotisations sociales - faute de quoi, je le crains, c’est à d’autres que nous qu’il reviendra, dans quelques années, de dénoncer à nouveau ces inégalités.
Je veux également revenir sur la question des femmes qui élèvent seules leurs enfants à la suite d’une séparation, parfois dans une situation de grande pauvreté, comme je l’ai dit précédemment. Lorsque la justice se révèle incapable de garantir le versement des pensions alimentaires – autrement dit incapable de faire exécuter ses propres décisions –, nous estimons que cette défaillance ne doit en rien pénaliser les femmes concernées.
Nous vous proposerons de créer une agence spécifiquement chargée du recouvrement de ces créances alimentaires, qui sera à même d’avancer, lorsque cela sera nécessaire, les sommes dues à ces femmes. C’est à ce prix seulement que nous pourrons faire reculer cette pauvreté, qui n’est rien d’autre qu’une injustice des plus choquantes.
Lors de la discussion des articles, j’aurai l’occasion de présenter plus en détail l’ensemble de nos propositions. À ce stade de la discussion, je voudrais simplement insister une nouvelle fois, madame la ministre, mes chers collègues, sur la lourde responsabilité qui pèse aujourd’hui sur nos épaules : derrière la question du droit des femmes, c’est à des injustices criantes et à des situations de détresse inacceptables qu’il nous faut répondre aujourd’hui. C’est aussi pour cette raison que nous ne pouvons laisser passer cette occasion de faire évoluer les comportements, de tout simplement faire avancer et changer notre société.