Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le débat qui nous réunit aujourd’hui porte sur une question importante, essentielle même, dans la mesure où elle touche à ce que nous avons de plus intime, de plus singulier, et que nous partageons cependant avec tous les autres membres de la communauté nationale : la langue. La langue, nos langues.
Vous le savez, le Président de la République a exprimé depuis longtemps sa volonté que la France puisse enfin ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, ouverte à la signature par le Conseil de l’Europe en 1992 et signée par la France le 7 mai 1999, sous le gouvernement de Lionel Jospin.
S’agissant d’un projet qui implique une modification de notre loi fondamentale et qui concerne au plus près la diversité de nos territoires, il est essentiel que ce texte rassemble, qu’il ne divise pas. C’est pourquoi il était légitime et nécessaire que les élus de la nation s’en saisissent par le débat public et que le Gouvernement puisse connaître les conditions que mettrait la représentation nationale à l’adoption à la majorité des trois cinquièmes d’un texte constitutionnel.
Dans la volonté exprimée par le Président de la République et dans la proposition de loi que vous soumettez aujourd’hui à l’Assemblée, monsieur le rapporteur, il faut tout d’abord voir le souhait de donner aux langues de France, c’est-à-dire aux langues parlées historiquement sur notre territoire aux côtés du français, un droit de cité, au sens profond du terme. On ne le sait pas assez, en effet, mais on parle depuis toujours plusieurs langues en France, et parfois depuis bien plus longtemps que le français lui-même. Ce n’est naturellement pas que l’on ne puisse plus continuer à les parler : la Déclaration des droits de l’homme consacre fort heureusement dans notre pays un principe qui l’emporte sur tous les autres – la liberté d’expression.
Pourtant, ces langues ont été trop longtemps négligées, certaines dépréciées sous le nom de « patois » et d’autres malmenées au fil de l’histoire par une idéologie qui confondait la nécessité de parler une langue commune – le français, langue de la République – avec l’obligation de parler une langue unique. Si l’on ne fait pas en faveur de la diversité de ces langues un geste symbolique fort, si l’on ne prend pas en leur faveur des mesures propres à en favoriser l’expression, elles risqueraient à terme d’être condamnées à retourner à cette forme de clandestinité dans laquelle on les a trop longtemps enfermées.
Cette volonté, mesdames et messieurs les députés, est parfaitement conforme à l’exigence d’égalité qui nous anime. En effet, nous ne cesserons jamais de rappeler que si les langues s’inscrivent dans des hiérarchies qui les distribuent selon leur statut et selon leur emploi, elles sont toutes égales en dignité ; elles peuvent toutes, chacune à leur manière, exprimer la réalité du monde et lui donner un sens, c’est-à-dire permettre de nous y orienter. Comme les cultures qu’elles expriment, qu’elles traduisent et dont elles sont le reflet, elles ouvrent toutes une fenêtre sur l’universel.
Cette volonté est aussi cohérente avec nos engagements en faveur de la diversité culturelle. Parce que la mondialisation, en provoquant des effets d’uniformisation, a fait de la diversité une valeur à préserver, le discours de la diversité culturelle est devenu le langage commun des démocraties, et la France en est l’un des parangons. La diversité culturelle est ouverture et richesse de cette pluralité des expressions.
À cet égard, ce discours sur la diversité culturelle rencontre l’adhésion des opinions publiques et s’applique dans de nombreux domaines : l’art, bien entendu, l’architecture, le théâtre et la littérature vivent d’emprunts, de confrontations, et les « musiques du monde » sont le champ par excellence de l’échange et du dialogue des cultures.
Face à la différence des langues, pourtant, on constate que l’attitude générale n’est pas toujours aussi ouverte. Beaucoup considèrent la pluralité des langues comme un obstacle à la communication et jettent un regard négatif sur cette réalité pourtant permanente de l’histoire, sans voir que ce foisonnement linguistique est la source première de toute créativité et la condition indispensable de toute pensée vivante. Parler une seule langue, nous disent-ils, serait tellement plus commode, tellement plus économique ! À ce compte, pourquoi ne pas se contenter de ne parler qu’une seule langue « globale » ?
C’est la même volonté qui a présidé et qui préside encore à la défense ardente que nous menons de la promotion du français. C’est la même volonté qui préside aujourd’hui à cette défense des langues régionales.
Les langues ne se contentent pas de véhiculer des contenus ; elles participent à leur élaboration. Autant de langues, autant de possibilités différentes de productions artistiques et intellectuelles, autant de regards posés sur le monde. La langue est un outil nous dotant de capacités à nous représenter le monde.
La position du Gouvernement sur ce point est sans ambiguïté : la pluralité des langues et des cultures est une richesse qu’il convient de préserver et de faire prospérer. C’est au nom de la diversité linguistique que nous défendons la langue française : toute notre politique en faveur du français découle de la claire conscience d’une langue qui est en présence de milliers d’autres, notamment dans les pays dits francophones, et en France même. Tout autant que le français, c’est une idée française de la langue qu’il faut défendre, fondée sur la pluralité ; c’est le principe même du pluralisme culturel, c’est la diversité humaine. L’affaiblissement et la disparition de nombreuses langues sont un danger qui menace le patrimoine de l’humanité tout entière. On peut pourtant le conjurer : le volontarisme politique est essentiel en matière linguistique.