Intervention de Henri Guaino

Séance en hémicycle du 22 janvier 2014 à 15h00
Ratification de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHenri Guaino :

À la lecture de votre argumentaire, comme à l’écoute de vos interventions, je comprends que cet avis vous dérange parce qu’il ne va pas dans le sens que vous souhaitez.

« Le Conseil », dites-vous, « ici se fait décideur, ce qu’aucun système démocratique ne saurait tolérer ». C’est donc que, selon vous, il n’y a plus de Gouvernement ni de Président de la République ou, en tout cas, qu’ils ne décident plus rien. Les intéressés apprécieront.

Vous qui n’avez que le mot « droit » à la bouche, vous qui, à la moindre critique d’une loi ou d’une décision juridictionnelle, criez au scandale au prétexte que le droit est sacré et qu’il s’impose à tous, n’éprouvez, tout à coup, aucun scrupule à proclamer que « si le droit est une chose, son interprétation en est une autre ».

Vous niez tout fondement juridique à l’analyse du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État qui se laissent, selon vous, « dominer par leurs préventions et leurs préjugés ». Bref, le droit est sacré quand il s’accorde à vos idées, il n’est rien quand il les contredit. Les juridictions sont au-dessus de toute critique lorsqu’elles vous donnent raison, et elles sont de parti pris politique lorsqu’elles vous donnent tort.

Vous ne reculez, il faut le reconnaître, devant aucune contradiction. Vous parlez de « la pauvre Charte si inoffensive dans son contenu », vous la dites dépourvue de tout caractère contraignant sur le plan juridique, mais vous nous demandez de l’inscrire dans la Constitution après avoir pourtant dit, à propos de l’article 75, alinéa 1, qui dispose que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » je vous cite : « comment pouvons-nous tolérer l’idée qu’il existe dans la Constitution des dispositions sans portée normative, purement déclaratives, voire décoratives ? »

C’est sans doute parce que vous considérez que cette « pauvre Charte », comme vous l’appelez, n’a aucune portée normative, que, contredisant la décision du Gouvernement de renoncer à s’engager sur la voie de la ratification, vous nous invitez aujourd’hui par cette proposition de loi à modifier la Constitution pour que la France puisse la ratifier.

Ce n’est tout simplement pas crédible. Si vous attachez autant d’importance à ce texte, c’est qu’il en a une. Vous accusez ceux qui sont opposés à votre proposition de loi d’être aveuglés par des fantasmes qui leur feraient voir l’apocalypse là où il n’y aurait, au fond, à attendre qu’un changement tout à fait inoffensif.

Mais comment votre acharnement pourrait-il ne pas susciter le léger doute qui effleure certains d’entre nous qui, sans prédire l’apocalypse, se demandent quand même si vous ne cherchez pas à leur dissimuler les conséquences d’un changement qui affecterait gravement ce qui nous unit, ce qui nous rend solidaires les uns des autres, ce qui nous permet de vivre les uns avec les autres ?

Je me dis que vous y avez presque réussi quand je vois avec quelle légèreté d’authentiques républicains, de vrais patriotes, sur tous les bancs de notre assemblée, considèrent le texte que vous nous soumettez, estimant qu’il n’a que peu d’importance et qu’il ne vaut pas la peine qu’on se batte contre lui.

Vous voulez faire tomber la Bastille monolinguistique de l’État. Rendez-vous compte ? La prise de la Bastille, par laquelle commença la Révolution, serait-elle devenue une référence tellement anecdotique que sa portée symbolique se trouverait réduite à si peu de chose pour un texte si inoffensif ?

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