Intervention de Isabelle Attard

Réunion du 15 janvier 2014 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Attard :

Cette étude est à saluer à l'heure où tant de gens sont tentés de critiquer le coût trop élevé de la culture pour l'État ou les collectivités publiques. Elle rappelle que, si la culture coûte de l'argent aux contribuables, elle en rapporte aussi à la société en créant de l'emploi et de la richesse, directe et indirecte.

On peut cependant s'interroger sur certains aspects de l'étude, en premier lieu sur le périmètre du secteur culturel retenu. Que vient y faire la publicité ? Ma première explication est un malentendu autour de la défunte émission de la chaîne M6, « Culture Pub » ! Plus sérieusement, la publicité n'est pas de la culture. C'est une forme de communication dont l'objectif est d'inciter un public à adopter un comportement souhaité, le plus souvent l'achat d'un produit. Ce secteur appartient à la communication : pas à la culture. Il en est de même des secteurs larges que sont l'audiovisuel ou la presse qui comprennent, à la fois, des pans culturels et non culturels.

De nombreuses méthodes existent déjà pour étudier l'apport de la culture à l'économie en France : or toutes n'ont pas été utilisées par la mission. C'est ainsi que des chercheurs appuient leur enquête sur la consommation. Il a ainsi été démontré que la consommation totale de biens et services culturels représentait, en 2006, environ 4 % des dépenses des ménages. Cette approche permet notamment d'intégrer des dépenses indirectes, notamment dans le tourisme, qui entretient des liens étroits avec le secteur culturel. Elle permet aussi d'étudier l'économie culturelle sous l'angle des inégalités d'accès à la culture, un angle que la mission n'intègre pas. Il ne s'agit pas seulement de savoir combien la culture rapporte mais également qui elle touche.

Or l'étude d'impact réalisée ne peut évaluer si c'est la présence d'une implantation culturelle qui a permis le dynamisme du territoire ou l'inverse, ce qui est pourtant essentiel si on souhaite réaliser l'équité territoriale dans notre politique culturelle. Les écologistes condamnent régulièrement la tendance à « arroser là où c'est déjà mouillé » dans le domaine culturel. Cette étude ne permet pas de mesurer les conséquences d'une implantation culturelle puisque les territoires déjà attractifs attirent des implantations culturelles qui les rendent encore plus attractifs, et ainsi de suite. Intégrer les publics dans l'approche permettrait de nuancer quelque peu l'étude.

Enfin, il faut bien souligner le danger potentiel qu'il y a à aborder la culture sous l'angle économique. Certes, il est indispensable de rappeler aux détracteurs de l'interventionnisme public en matière culturelle que la culture est une richesse pour notre pays y compris en termes économiques. Mais mesurer le bien-fondé d'une politique culturelle uniquement sous l'angle de ses retombées économiques conduirait à ne financer que les événements culturels à forts publics et à délaisser les secteurs plus expérimentaux ou simplement moins populaires. Ainsi, lors de la rédaction du budget prévisionnel d'une exposition temporaire, un directeur de musée doit estimer le nombre de visiteurs – on ignore comment – mais non la richesse intellectuelle ou le plaisir sensoriel – le qualitatif évoqué par Mme Genevard –, qui sont apportés par une exposition unique au monde et qui ne sauraient être plus quantifiables que ne le sont une réflexion ou une approche nouvelles. Pour ceux qui participent au montage de ces expositions – des commissaires d'expositions aux conservateurs et aux élus en passant par les agents – ces aspects sont bien plus gratifiants que les retombées sonnantes et trébuchantes dans le tiroir-caisse des établissements culturels. Du reste, ce sont ces aspects qui conduiront les équipes à monter, ou à ne pas monter, d'autres expositions.

Enfin, le fort interventionnisme public en matière culturelle est une exception française qui s'explique notamment par une longue tradition historique – on peut ainsi remonter jusqu'à François Ier, grand mécène et protecteur des artistes. De nombreux autres pays n'ont pas cette approche. Or la France n'est pas le seul pays au secteur culturel dynamique. Aborder les politiques culturelles par leurs retombées économiques ouvre la porte à des contestations, d'ordre économique elles aussi, sous le prétexte suivant : « d'autres États ont un secteur culturel qui rapporte beaucoup en investissant moins d'argent public, pourquoi pas nous ? » Il est donc essentiel de discuter de la légitimité politique des investissements publics dans le secteur de la culture sous l'angle de l'accès pour tous à la culture, de la diversité culturelle ou de l'épanouissement de la population par la culture, et non seulement sous celui de ses retombées économiques.

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