Mesdames et messieurs, je remercie Mme la présidente Guigou et Mme la présidente Auroi pour leur invitation. J'aurai grand plaisir à vous faire part de mes analyses sur la situation actuelle au Kosovo.
Mais avant de commencer, je remercie l'Assemblée nationale, le Gouvernement et les citoyens de votre pays pour le soutien apporté au Kosovo au cours des deux dernières décennies, dans sa marche vers la paix, la sécurité et la dignité. Vous avez été nombreux, parlementaires, diplomates, soldats, militants et citoyens à nous aider à sortir de l'oppression et à gagner – avec d'autres pays de l'ancienne Yougoslavie – notre liberté et notre indépendance. Comme la France, de nombreux pays occidentaux ont activement participé à ce processus.
L'émergence de nouveaux États dans les Balkans répondait aux aspirations des populations pour une vie meilleure, dans la liberté, la justice et la dignité comme à celles de nombreux États – dont la France – pour la sécurité, la paix et la stabilité. En ce sens, l'indépendance du Kosovo – comme celle d'autres pays de la région – n'était pas seulement un projet porté par son peuple, mais le projet de la France et de nombreux autres États européens.
Madame la présidente, lorsque je me suis rendu à Paris en 2011, le Kosovo que je représentais n'était pas le même que celui d'aujourd'hui. Le discours que j'avais alors adressé aux députés avait pour objet de les informer de l'action menée par mon pays pour mettre un terme à une indépendance sous tutelle.
De fait, lorsque le Kosovo a déclaré son indépendance en février 2008, il a été placé sous la tutelle de la communauté internationale, un directoire composé de 25 pays européens, dont la France. La mission principale de ce comité de pilotage, tout comme celle du Bureau civil international (International civilian Office ou ICO), était de voir dans quelle mesure le Kosovo, après sa déclaration d'indépendance, était capable de mettre en place un État multiethnique et démocratique. Je suis très fier de pouvoir vous annoncer que, cinq ans après, le 10 septembre dernier, nous avons pu mettre un terme à cette tutelle.
Je m'exprime donc aujourd'hui devant vous en tant que ministre des affaires étrangères d'un Kosovo pleinement souverain et indépendant, ce qui n'était pas le cas en 2011. À l'époque, il y avait une très forte présence internationale sur notre territoire, et un représentant civil international, un diplomate européen, M. Peter Feith, était chargé de suivre l'ensemble du gouvernement et de superviser le ministère des affaires étrangères du Kosovo.
Je vais maintenant reprendre les principales étapes franchies au cours des cinq dernières années.
Vous devez d'abord savoir que nous avons construit un État en partant de zéro. Nous avons bâti de nouvelles institutions démocratiques au niveau central. Pour l'heure, nous disposons d'un gouvernement des plus actifs, des plus volontaires, qui mène des réformes dans tous les domaines – État de droit, économie, justice, éducation, santé et sécurité sociale. Nous sommes très fiers d'avoir pu y intégrer l'ensemble des communautés vivant sur notre territoire. De ce fait, un Kosovo indépendant a été bâti autour de trois principes : la démocratie, le multi-ethnisme et la laïcité, qui est devenue une des valeurs clé de nos institutions.
L'intégration de l'ensemble des communautés a été réalisée au niveau central et local. Pour la communauté serbe, d'une centaine de milliers de membres, nous avons créé six nouvelles municipalités, avec des droits étendus. Un vice-premier ministre serbe – à côté d'un vice-premier ministre turc – fait partie du gouvernement. Sur un total de 120 membres du Parlement, 26 membres viennent des différentes communautés vivant au Kosovo, dont 13 de la communauté serbe.
Ces cinq dernières années, nous avons renforcé la position internationale du Kosovo. 98 pays, dans le monde, ont reconnu notre indépendance. Bien que nous n'ayons pas obtenu le soutien de la moitié des membres de l'ONU, nous avons pu devenir membres du FMI, de la Banque mondiale et, l'année dernière, de la Banque européenne du développement et de la reconstruction. Depuis cette année, nous sommes membres du Conseil régional de coopération.
Mais le plus important est que nous ayons pu construire un État fort, qui fonctionne bien.
On discute beaucoup, en Europe et ailleurs, de la crise financière et la dette. Or nous avons réussi, sur cette période, à la fois à maintenir un équilibre budgétaire et à avoir de la croissance : 5 % du PIB chaque année, ce qui est très important pour un si petit pays. Avant l'indépendance, la croissance n'était que de 1 %. Cela signifie que l'indépendance n'a pas seulement joué un rôle clé dans la stabilité et la paix dans la région, mais qu'elle a également renforcé la situation économique de la population du Kosovo. Reste que notre État est jeune et qu'il nous reste un grand nombre de défis à relever.
J'en viens au deuxième volet de ma présentation.
Ces deux dernières années, un dialogue de haut niveau s'est instauré entre les deux premiers ministres, celui du Kosovo, M. Hashim Thaçi, et celui de la Serbie, M. Ivica Dačić. Son objet principal est la normalisation entre nos deux États. Il ne porte donc pas sur le statut, l'indépendance, la souveraineté ou l'intégrité territoriale du Kosovo. Nous essayons de mettre un terme à une partie sombre de l'histoire de nos deux pays et de préparer le terrain pour une adhésion à l'Union européenne.
Ce dialogue, qui est mené par la baronne Catherine Ashton, est important à plus d'un titre.
Premièrement, c'est le moyen de régler la situation des trois municipalités du Nord du Kosovo. Certes, nous avons réussi à intégrer dans la vie politique et institutionnelle et dans les milieux économiques et sociaux 90 000 membres de la communauté serbe. Mais la Serbie a tenté de créer, dans ces trois municipalités, où vivent 30 000 autres membres de la communauté serbe, une situation de conflit gelé qui pourrait déboucher sur une partition ethnique et géographique et à terme, sur l'incorporation de cette région à la Serbie. Pourtant, la Serbie a échoué.
Sincèrement, il est rare qu'en Europe, un État essaie, en s'appuyant sur ses forces de police et de sécurité, de contrôler une partie d'un autre État, comme le fait actuellement la Serbie. Mais nous espérons que d'ici quelques jours – le 2 avril – nous aurons trouvé une solution, que la Serbie démantèlera les forces de sécurité qu'elle a mises en place dans ces municipalités, et que ces dernières pourront être réintégrées dans le droit et la légalité kosovares.
Deuxièmement, ce dialogue est l'occasion de débattre de questions pendantes entre la Serbie et le Kosovo, d'amorcer des relations normales entre nos deux pays et d'engager un processus de réconciliation en mettant un terme, une fois pour toutes, à une partie sombre de notre histoire.
Troisièmement, ce dialogue vise à préparer le terrain pour une adhésion à l'Union européenne. Mais la situation est complexe entre Bruxelles et Prishtina. Tous les États membres n'ont pas reconnu le Kosovo. Le Parlement européen l'a fait, tout comme votre Assemblée nationale et le gouvernement français. En revanche, le Conseil européen et la Commission européenne ont adopté une position neutre. Ce dialogue devrait nous permettre de trouver une solution et nous espérons d'ici peu entamer un processus de négociation qui permettra de signer un accord d'association, première étape contractuelle entre un Kosovo indépendant et l'Union européenne.
Enfin, ce dialogue vise à ancrer l'appartenance du Kosovo aux Nations unies. Une relation stable et forte entre le Kosovo et la Serbie passe non seulement par la résolution des problèmes qui se posent entre les deux pays, dont celui des trois municipalités du Nord du Kosovo, mais aussi par un changement d'attitude de la Serbie : celle-ci doit, sinon créer des relations diplomatiques avec le Kosovo, du moins ne pas l'empêcher de devenir membre des Nations unies. C'est seulement alors que l'on pourra parler d'une normalisation complète des relations entre les deux pays.
Ces derniers mois, les relations entre le Kosovo et la Serbie se sont améliorées de façon fulgurante, comme nous n'aurions pu l'imaginer il y a seulement deux ans. Le dialogue instauré entre nos deux premiers ministres nous a permis de conclure des accords importants.
Nous avons discuté de la gestion intégrée des frontières. Cela implique que la Serbie reconnaisse ses frontières avec le Kosovo. Comme l'a dit Mme la présidente Guigou, nous avons déjà mis en place les fruits de cet accord : quatre postes ont été installés, avec des agents de police et des douanes des deux côtés de la frontière. À terme, il y en aura six. C'est un progrès énorme ! Pour Belgrade, le Kosovo n'a jamais été qu'une question territoriale. Les autorités serbes ne se sont jamais intéressées à la population du Kosovo, qu'elle soit serbe ou albanaise. Cet accord prouve que Belgrade admet qu'il y a bien un autre État de l'autre côté de la frontière.
La question des douanes faisant partie intégrante du traitement de la question des frontières, nous avons passé un accord douanier.
Nous avons également passé un accord sur l'ouverture de bureaux de liaison dans chaque capitale. Pour le moment, le Kosovo a 21 ambassades dans le monde – dont Paris, avec, comme ambassadeur, le professeur Muhamedin Kullashi. Lorsque cet accord a été passé, j'ai décidé d'envoyer à Belgrade l'ambassadeur du Kosovo qui était en poste à Stockholm. Il devrait arriver d'ici quelques semaines. De son côté, la Serbie a nommé un représentant de son gouvernement à Prishtina. C'est une étape extrêmement importante pour nos deux pays.
Nous sommes parvenus à un accord sur la liberté de circulation. Sur la base de cet accord, la Serbie reconnaît les cartes d'identité et les permis de conduire et les plaques d'immatriculation de la République du Kosovo.
Ainsi, ces derniers mois, la Serbie a pris de nombreuses décisions qui représentent une reconnaissance de facto de l'indépendance du Kosovo.
Pour autant, je regrette que certains de mes collègues, lorsqu'ils visitent des capitales européennes, ne donnent pas une image complète de la situation. En effet, celle-ci mérite d'être suivie de près. Le dialogue entre la Serbie et le Kosovo est tout de même dirigé par Mme Ashton, et suivi par la France, qui est un des membres les plus importants de l'Union européenne.
Cela m'amène au troisième volet de ma présentation.
Le Kosovo, de par son histoire, sa géographie et sa culture, est un pays européen. Nous sommes d'ailleurs très fiers de pouvoir nous considérer comme un État européen.
J'ai enseigné jusqu'en 2007 à l'Université de Prishtina, et je voudrais vous donner une idée de notre identité culturelle et de nos racines européennes : au Kosovo, jusqu'au XVIIIe siècle, les écrivains, qui étaient des prêtres catholiques, publiaient en deux langues : en latin et en albanais.
Aujourd'hui, nous préparons notre adhésion à l'Union européenne. Pour y parvenir, nous avons lancé un grand nombre de réformes dans les cinq dernières années. L'année dernière, la Commission européenne a publié une étude de faisabilité – où l'on reconnaissait les progrès déjà accomplis par le Kosovo et où l'on recommandait au Kosovo de poursuivre ses progrès dans certains autres domaines – en vue d'un accord de stabilisation et d'association entre l'Union européenne et le Kosovo.
Nous avons déjà atteint les objectifs fixés dans certains domaines : l'État de droit, les droits des minorités, etc. J'espère que d'ici le mois de juin, nous apprendrons que le Kosovo est en mesure d'entamer ces discussions.
Par rapport aux autres États de la région, nous accusons un retard de dix à vingt ans. La Croatie deviendra membre de l'Union européenne dès cette année. Or le Kosovo était, tout comme la Croatie, une entité de l'ancienne Yougoslavie. Et je ne parle pas de la Slovénie, qui a rejoint l'Europe il y a déjà de nombreuses années. Les différents pays de la région avancent donc à des vitesses différentes sur l'agenda européen. Nous n'en sommes qu'à nos premiers pas, mais ce sont les plus importants.
Nous travaillons très dur à la libéralisation des visas. En effet, pour l'heure, les Kosovars sont les seuls habitants des Balkans à être si isolés. Ils ne peuvent pas circuler aussi librement que les habitants des autres pays de la région.
Je vais m'arrêter là. Je vous remercie tous, mesdames et messieurs les députés, de m'avoir permis de partager ces quelques informations sur le Kosovo. Bien sûr, j'ai été contraint par le temps de m'en tenir à quelques points principaux. Mais j'ai le plus grand respect pour le Parlement – j'ai été élu trois fois au Parlement du Kosovo et j'y viens maintenant très souvent pour des auditions – et je reste à votre entière disposition pour répondre à vos questions.
Encore une fois, je suis extrêmement reconnaissant pour le soutien que Paris et la France ont accordé au Kosovo pendant vingt ans. Vous pouvez compter sur nous. Nous ne vous décevrons jamais. Nous sommes en train de construire un Kosovo moderne et européen.