Intervention de Enver Hoxhaj

Réunion du 27 mars 2013 à 9h30
Commission des affaires européennes

Enver Hoxhaj, ministre des affaires étrangères du Kosovo :

Monsieur le député, le Kosovo a déclaré son indépendance à un moment où la Yougoslavie avait cessé d'exister. Et on ne peut pas parler de sécession, dans la mesure où le Kosovo n'a jamais fait partie de la Serbie, mais de la Yougoslavie.

Nous avons assisté à la dissolution de la Yougoslavie dans les années quatre-vingt dix. Ce fut la guerre en Slovénie, puis en Croatie, puis en Bosnie. Tous ces pays, qui faisaient partie de l'ancienne république Yougoslave – comme c'était le cas de la Serbie – finirent par déclarer leur indépendance. En 2006, ce fut le tour du Monténégro, pays très proche de la Serbie. Enfin, il fallut attendre 2008 pour que le Kosovo déclare son indépendance, près de dix ans après le génocide de 1999.

Cette déclaration d'indépendance est intervenue après dix ans d'administration internationale menée par les Nations unies, deux années de négociation dirigée par M. Martti Ahtisaari en tant qu'envoyé spécial du secrétaire général – négociation à laquelle j'ai moi-même participé – et après une période d'étroite coordination avec l'ensemble des partenaires, y compris Paris. Mais nous ne voyons pas dans cette déclaration d'indépendance un acte de triomphalisme. Pendant trop longtemps en effet, notre pays a été opprimé et nos droits communautaires et humanitaires bafoués.

La Serbie s'est adressée à la Cour internationale de Justice et lui a demandé si le Kosovo avait violé le droit international et les résolutions des Nations unies en se déclarant comme un État indépendant. La Cour a répondu que nous n'avions nullement enfreint le droit international, ni violé la résolution 1244 des Nations unies. On ne peut donc pas assimiler l'indépendance du Kosovo à un mouvement de sécession. Je vous recommande, monsieur le député, de vous référer à l'avis de la Cour.

Aujourd'hui, 90 000 Serbes kosovars sur 120 000 ont été intégrés dans notre vie institutionnelle. Le premier vice-premier ministre Slobodan Petrović pourrait vous donner des détails sur la communauté serbe du Kosovo. Il en reste donc 30 000 qui vivent dans trois petites municipalités, que l'on pourrait comparer à trois villages français. Pensez-vous que ces trois villages aient un droit à obtenir l'indépendance et à faire sécession ?

Mesdames et messieurs, je vous remercie pour votre soutien, s'agissant du Conseil de l'Europe. C'est une étape historique. Pour nos parlementaires, il est réconfortant de pouvoir compter sur votre coopération et sur celle d'autres États européens. 34 pays sur les 47 du Conseil de l'Europe ont reconnu le Kosovo. Nous envisageons maintenant très sérieusement de faire acte de candidature à cette organisation. Dans ce cas, il nous faudrait 32 voix et votre soutien, pour que nous en devenions membres à part entière, nous serait très précieux.

L'un de vous m'a interrogé sur la justice et le trafic d'organes. Le gouvernement et les institutions du Kosovo coopèrent étroitement avec la mission sur l'État de droit, EULEX, qui est chargée de mener l'enquête. Nous sommes très déçus que l'auteur du rapport sur les trafics d'organes, Dick Marty, ne coopère pas et ne présente pas d'éléments de preuve. Nous souhaitons en effet que la lumière soit faite, une fois pour toutes, sur cette question.

Mais je crois nécessaire de vous donner quelques précisions sur le système de la justice au Kosovo. De juin 1999 jusqu'en décembre 2007, la justice n'était pas entre les mains des Kosovars, mais de la Mission des Nations unies au Kosovo, la MINUK. Depuis 2008, les affaires les plus importantes ne sont pas gérées par les institutions kosovares, mais par la mission européenne de l'Etat de droit, EULEX, qui fait un excellent travail.

Cela signifie qu'au cours des quatorze dernières années, les institutions judiciaires étaient entre les mains des juges et des procureurs internationaux. Le Kosovo n'était donc pas en mesure de dissimuler quoi que ce soit.

Monsieur le député, je vous remercie infiniment d'avoir évoqué la question. Je suggère à ceux d'entre vous qui êtes membres de l'Assemblée du Conseil de l'Europe de demander à Dick Marty de faire la preuve de ses allégations. Après tout, c'est son rapport qui, en 2010, a provoqué tout ce bruit.

Ayant été ministre de l'éducation pendant un mandat, je pourrais vous parler longuement de l'éducation des minorités. Nous faisons beaucoup pour intégrer les minorités dans la vie sociale et économique du Kosovo. À la différence de la Bosnie, où le système éducatif reste un obstacle majeur pour la cohésion et l'intégration, je pense que nous avons déjà pu régler certains problèmes. Il nous reste néanmoins des progrès à faire pour les Serbes vivant sur notre territoire.

Nous avons réexaminé les programmes scolaires, car nous ne voulons pas qu'ils soient un facteur de division. En effet, les avis peuvent diverger non seulement sur la façon d'interpréter la fameuse bataille du Kosovo de 1389, mais également sur les événements de l'histoire contemporaine. Or il n'est pas utile, par exemple, que les écoles serbes enseignent que l'intervention militaire de mars 1999 de l'OTAN était un acte terroriste. Je ne crois pas que cela reflète l'esprit européen.

98 pays ont reconnu l'indépendance du Kosovo. Je pense que d'ici un mois, trois États supplémentaires la reconnaîtront officiellement. Nous voudrions également présenter d'ici peu notre candidature aux Nations unies. Nous tenons d'ailleurs à vous exprimer notre reconnaissance pour le soutien que vous nous avez apporté, non seulement à Bruxelles, mais aussi à New-York. Quant à l'ambassadeur de France à Prishtina, il fait un excellent travail. La France est pour nous une amie très précieuse, que nous allons consulter sur la stratégie à adopter pour faire aboutir notre candidature.

Il y a effectivement une petite communauté turque au Kosovo, et elle est bien intégrée. Nous avons de très bonnes relations avec la Turquie, qui est d'ailleurs un des premiers pays à avoir reconnu notre indépendance. Peut-on parler d'une relation spéciale avec la Turquie ? Nous avons une relation spéciale avec votre pays, et nous sommes en train de considérer très sérieusement un partenariat stratégique avec l'Union européenne, mais pas avec d'autres pays.

Enfin, je tiens à faire remarquer que le Kosovo n'a jamais été une menace pour les pays de la région, alors même que d'autres pays l'ont menacé ces vingt dernières années. Et le fait que certains pays, comme la Serbie, ne reconnaissent pas notre indépendance constituerait plutôt une menace. Cela dit, nous allons effectivement réformer les forces de sécurité, avec l'aide de l'OTAN et avec Paris. Je ne crois pas que les décisions que nous allons prendre aient de quoi vous surprendre.

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