Intervention de Jean-Claude Trichet

Réunion du 20 février 2013 à 8h30
Commission des affaires européennes

Jean-Claude Trichet :

Je vous remercie d'avoir mentionné le rôle joué par la Banque centrale européenne, qui a en effet été conduite à prendre dès le mois d'août 2007 des décisions extrêmement importantes, et notamment de donner de la liquidité de manière illimitée pour maintenir la cohésion de la zone euro. Après quoi, toutes les grandes banques centrales européennes ont pris à leur tour des décisions extraordinaires, qui ne figuraient dans aucun manuel, mais qui étaient à la hauteur des défis que devaient relever les pays avancés.

C'est que nous connaissons la plus grave crise d'adaptation structurelle depuis la fin de la seconde guerre mondiale. L'Europe en est l'épicentre parce que la crise financière s'est transformée en crise des risques souverains, puis en crise budgétaire, ce pourquoi aucune complaisance n'est permise, mais la crise est mondiale et tous les pays avancés doivent aussi prendre garde à la valeur de leur signature et à leurs grands équilibres.

Dans ce contexte, il est normal que les Européens se soient interrogés sur leur propre gouvernance - budgétaire et, plus largement, économique. Le plus important est que toutes les décisions aient été prises d'une part pour renforcer le pacte de stabilité et de croissance, d'autre part pour instituer la procédure, jusqu'alors inexistante, des déséquilibres excessifs. C'est le suivi, pour chaque pays, de l'évolution de ses coûts, de ses revenus et de l'inflation domestique nominale, et de leurs conséquences sur le déficit externe et sur la balance des paiements courants.

La France connaît bien cette procédure, puisqu'au cours des années 1980 et 1990 elle avait suivi, pour préparer le passage à l'euro, une stratégie pluri-partisane, très attentive, de suivi de l'évolution des revenus et des coûts, qui a été gagnante. Mais depuis la création de l'euro, il n'y avait pas de règle collective à ce sujet ; elle a été introduite à l'occasion de la crise. Dans mon esprit, l'absence de contrôle de ces évolutions en Grèce, en Irlande et dans d'autres pays a été presque plus importante que le drame budgétaire. Dans une zone de monnaie unique, le suivi de l'évolution des indicateurs de compétitivité est indispensable, sous peine de perdre, année après année, cette compétitivité, que l'on aura ensuite le plus grand mal à rattraper.

La crise a montré aussi qu'il convenait d'en venir à l'union bancaire. Elle a révélé qu'en raison de la fragilité du système financier, les gouvernements et les contribuables étaient malheureusement les seuls capables d'éviter l'effondrement du système financier ; il existe de ce fait une corrélation très étroite entre la qualité de la signature d'un État et celle de l'ensemble des institutions financières de la place. Ce phénomène a été observé aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Europe. Cependant, dans la zone euro, cela conduit à un grand écart entre, d'une part, des États dont le manque de crédibilité atteint par contagion le système bancaire, cette faiblesse aggravant à son tour la vulnérabilité des pays considérés et, d'autre part, des États qui participent d'un cercle vertueux par lequel signature publique et signatures privées se renforcent mutuellement. Cet écart complique considérablement les problèmes nés des défauts de gestion budgétaire et de compétitivité.

C'est pourquoi il faut créer l'union bancaire le plus vite possible. Une décision importante a été prise avec la création d'un organe de supervision européen très proche de la BCE, ce qui est une bonne chose. Mais de vastes chantiers restent à mener, ceux de l'organisation de la résolution des crises et de l'harmonisation des garanties de dépôts.

Je souhaite que l'on parvienne à progresser, comme cela a été décidé, dans ces trois domaines : la coordination budgétaire au niveau européen, la surveillance stratégique lucide des indicateurs de compétitivité et des grands déséquilibres, l'union bancaire enfin. À mesure que l'on avance, il faut renforcer les procédures démocratiques correspondantes.

Je considère aussi que, dans un second temps, il faudra aller nettement plus loin. Cela suppose que nos démocraties politiques y soient prêtes, la nôtre comme toutes les autres, ce qui rend les choses assez compliquées.

S'agissant de l'approfondissement de la démocratie au sein de l'Union européenne, un des éléments nouveaux est la création de la Conférence mentionnée à l'article 13 du TSCG. Je sais les avantages et les inconvénients d'un tel organe, et que certains députés européens la perçoivent comme signalant la réduction de l'influence et de l'autorité du Parlement européen par une instance très étendue dont il sera difficile d'empêcher que les réunions se transforment en grands-messes. C'est incontestable. Cependant, mon point de vue d'ancien responsable « central » m'a permis de constater combien il est important que chacun comprenne bien ce qui se passe au niveau d'un continent entier, et combien il est difficile de parvenir à cette compréhension dans chaque capitale. Aussi, à la réflexion, l'idée de la Conférence me semble très bonne, mais il faudra être attentif à ne pas confondre les responsabilités inaliénables des parlements nationaux et celles du Parlement européen, qui devront encore progresser. Tout bien pesé, il peut y avoir des effets très positifs à la confrontation des points de vue entre les vingt-cinq signataires du traité.

Que je sois conduit à parler du Traité à Vingt-Cinq dit par ailleurs que le concept pertinent, quand on parle de renforcer la gouvernance de la zone euro, est bien celui des « Vingt-Sept moins » et non des Dix-Sept : que l'on s'en tienne aux dix-sept pays de la zone euro ne correspond pas au souhait de ceux de nos partenaires qui, parce qu'ils la rejoindront demain ou après-demain, considèrent avoir toute légitimité à être associés aux discussions.

S'agissant du statut des banques, je constate un certain paradoxe. Si trois rapports ont été publiés - ceux de M. Vickers au Royaume-Uni, de M. Volcker aux États-Unis et de M. Liikanen en Europe -, les Américains et les Britanniques n'envisagent de modifier leur législation qu'à partir de 2017 ou de 2019 ; les rapports Vickers et Volcker ne sont donc que des pré-rapports de beaucoup antérieurs à ce qui sera fait. Et, au sein de l'Union européenne, la France est la première à se lancer, ce qui nous oblige à décider dès maintenant ce que nous allons faire pendant qu'ailleurs en Europe, on réfléchit encore.

Le texte présenté par le ministre des finances m'est apparu bien conçu. Il fallait en effet prendre en considération tous les éléments du dossier et notamment permettre à notre secteur financier de continuer à financer notre économie. J'appelle l'attention sur le fait que la structure du financement des entreprises diffère singulièrement selon les pays : aux États-Unis, plus de 80 % de l'économie est financée par le marché financier et 20 % seulement par les banques. En France, c'est l'exact inverse, le financement bancaire dominant de loin. On peut penser que les entreprises françaises auront davantage accès au marché à l'avenir. Cela signifie que le marché doit fonctionner correctement et c'est à quoi s'est attelé le Parlement français - car si le market making n'est pas efficace, nous risquons de ne pouvoir financer aussi complètement que possible l'économie française et, plus largement, l'économie européenne.

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