Quels sont actuellement les enjeux de la négociation ?
Les positions des États membres sont variables en fonction des différents aspects de la directive, et un certain nombre de points restent en cours de négociation.
Le principe de la carte professionnelle est aujourd'hui accepté alors qu'il ne faisait pas consensus, mais la question des modalités de sa mise en place demeure. L'autorisation tacite prévue par le texte ainsi que la question des délais cristallisent toutefois les oppositions. La France, tout comme onze autres pays (dont l'Italie, le Royaume-Uni, la Pologne ou encore la Belgique) est contre la reconnaissance tacite, promue par la Commission qui souhaite inciter les États à se prononcer dans des délais rapides. La rapporteure du texte, Mme Vergnaud, ainsi que la « shadow » rapporteure, Mme Constance Le Grip, sont favorables à ce principe. Vos rapporteurs estiment pour leur part nécessaire de maintenir ce principe d'accord tacite, quitte à en porter le délai, actuellement prévu à 4 mois, à 6 mois.
Concernant l'extension du champ de la directive aux stages rémunérés, il convient de noter qu'un certain nombre d'États dont l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Espagne ou encore l'Autriche, sont réservés. C'est le cas aussi de la France, qui considère que les stages ne rentrent pas dans le champ de la directive car relevant de la formation. Il semblerait aussi que les craintes face à cette extension soient fortes chez les professionnels de santé. La Commission et le Parlement européen y sont de leur côté très attachés, et considèrent qu'il s'agit là d'un outil supplémentaire pour permettre la mobilité des jeunes et de lutter contre le chômage qui frappe cette classe d'âge. Vos Rapporteurs souhaitent creuser plus avant la question et réservent leur position.
Le Gouvernement français est réservé sur la question de l'accès partiel à une profession, du fait des risques de perte de lisibilité pour les consommateurs et de morcellisation des professions, notamment pour les professions de santé. L'Allemagne partage cette position, mais d'autres pays comme le Royaume-Uni ou la Pologne sont en faveur de l'accès partiel. Vos rapporteurs partagent les réserves du Gouvernement.
La question de l'harmonisation des conditions de formation minimales pour les professions sectorielles, du fait de la diversité de l'existant et des intérêts en jeu, est loin de faire consensus. Comme cela nous a été indiqué, alors que les pays du Sud font le maximum d'efforts pour essayer d'harmoniser vers le haut, l'Allemagne et les Pays-Bas, au contraire, s'accrochent plus fortement à leurs positions. La Rapporteure du texte, Mme Vergnaud, a demandé un délai supplémentaire pour pouvoir aboutir à un consensus sur ces questions.
Concernant les architectes, la Commission a souhaité actualiser la durée minimale de la formation d'architecte, qui ne correspond plus à la réalité, et proposé de la porter à six ans : quatre années d'études et deux années de stage rémunéré. L'Espagne, qui voit son secteur du bâtiment sinistré, souhaite que cette durée soit de 5 ans, et redoute de ne pas être en mesure de pourvoir à l'éventuelle exigence de stage. La France, l'Allemagne, la Roumanie ou encore le Royaume-Uni se montrent réservés. Vos Rapporteurs partagent la position du Gouvernement.
Les sages-femmes et infirmiers responsables de soins généraux étant deux professions très mobiles, notamment dans les zones frontalières, les enjeux d'harmonisation des formations sont importants pour certains pays, dont l'Allemagne. La proposition de directive prévoit, conformément aux évolution de ces métiers, que les États membres mettent à niveau le critère d'accès aux formations de ces professions en le faisant passer de dix années d'enseignement scolaire général à douze années, ce qui est déjà le cas dans vingt-quatre États membres. La profession elle-même, au niveau européen, est favorable à cette évolution, qui consacrerait un enrichissement de ses compétences. Il s'agit là d'un grand changement pour les pays de l'Est, ce qui explique que la Pologne et la Roumanie demandent la régularisation de leurs infirmières déjà formées. L'Allemagne, de son côté, est fortement opposée à ce changement, de crainte de voir se créer des pénuries dans un secteur qui connaît déjà problèmes de recrutement. Une autre raison est sans doute à chercher dans une répartition différente des tâches entre médecins et infirmiers par rapport à ce qui se pratique dans d'autres pays comme le nôtre, ainsi que des philosophies différentes en matière de reconnaissance académique et professionnelle des métiers. Vos Rapporteurs estiment pour leur part que la prise en considération des nouvelles exigences de cette profession est souhaitable pour la sécurité des patients, mais doit s'accompagner d'une réflexion d'ensemble sur la filière santé, avec une redéfinition de la profession d'aide-soignant.
Concernant les médecins, autre profession très mobile, la France tout comme l'Italie, la Belgique ou encore les Pays-Bas sont opposés à la réduction de 6 à 5 ans du socle de base de formation, qui est la durée actuellement en cours au Royaume-Uni et en Irlande. La directive actuelle est ambiguë, puisqu'elle indique la nécessité de 6 années de formation de base ou 5 500 heures de formation. Pour la France, ces deux conditions ne sont pas alternatives, mais cumulatives. Le Royaume-Uni est la première nation « importatrice » de médecins, sans doute du fait de rémunérations attractives. En outre, la question du numerus clausus ne peut être évacuée. Vos Rapporteurs estiment pour leur part légitime de laisser aux pays le choix de répartir le même volume horaire de 5 500 heures de formation sur 5 ou 6 années.
La question de l'inclusion des notaires dans le champ de la directive est pour l'instant évacuée. En mai 2001, la CJCE a décidé qu'une condition de nationalité ne peut être imposée aux notaires et estimé, en ce qui concerne l'application de la directive, qu'il n'était pas exclu qu'il puisse exister une obligation de mise en oeuvre de la directive, mais que cette obligation n'était pas suffisamment claire au moment de la procédure d'infraction. Dans sa proposition initiale, la Commission a donc voulu inclure les notaires dans le champ de la directive. Suite à des négociations assez tendues entre la Commission, le Parlement et les États opposés à cette inclusion (France, Italie, Belgique, Allemagne, Pologne notamment) il a été décidé d'exclure explicitement les notaires du champ de la directive et de proposer une clause de rendez-vous dans 3 ou 4 ans. Il s'agit là en réalité d'un conflit qui oppose les États de tradition « de droit continental », où existe une organisation notariale comparable à l'organisation française, et ceux de « common law », où la profession de notaire n'existe pas. Vos Rapporteurs partagent la position du Gouvernement.
En conclusion, bien qu'il convienne de rester prudents sur certains points qui demeurent à ce jour en négociation, cette proposition de révision apparaît comme équilibrée et conforme à un objectif que nous ne pouvons que partager : celui de créer, tout en garantissant tant la protection des travailleurs que celle des usagers ou clients des professions exercées, de la croissance et des opportunités d'emploi pour tous les citoyens de l'Union, et notamment les jeunes.
Or, renforcer les conditions de la mobilité des jeunes, c'est faciliter leur emploi, mais aussi l'intégration européenne de demain. Il ne faut toutefois pas sous-estimer le risque subséquent de concentrations mégapolistiques et de désertification, avec un phénomène de fuite des cerveaux organisée à l'intérieur de l'Europe, des pays en difficultés - Espagne, Grèce - vers les pays attractifs - Allemagne ou Royaume-Uni.
Enfin, la réflexion sur les qualifications professionnelles ne saurait faire l'économie d'une réflexion plus globale sur l'ensemble du parcours du travailleur européen mobile, que ce soit avant ou après l'obtention de sa qualification, la reconnaissance de sa qualification professionnelle n'étant qu'un moment de ce parcours.
En amont de cette reconnaissance, d'une part, s'impose sans doute au niveau européen une réflexion sur les contenus des enseignements menant aux ces diplômes et qualifications, dans un contexte où coexistent des traditions éducatives différentes, marquées par la centralisation ou la décentralisation, le primat du système académique ou la valorisation des formations en alternance, ce qui n'est pas sans conséquence sur la possibilité de reconnaître les qualifications dans les meilleures conditions de transparence et de lisibilité.
En aval, d'autre part, se pose la question de l'accès aux systèmes de sécurité sociale et notamment d'assurance retraite. Même s'ils sont encore peu nombreux, de plus en plus de citoyens européens ont une carrière dans plusieurs pays de l'Union et se retrouvent avec des carrières incomplètes, le droit européen ne garantissant actuellement que la portabilité des droits relatifs à la retraite de base.