Intervention de Joaquim Pueyo

Réunion du 12 décembre 2012 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoaquim Pueyo, co-rapporteur :

« L'Europe de la défense » est un terme utilisé en France : nos voisins européens lui préfèrent en général celui, sans doute plus explicite de « politique de sécurité et de défense commune » – PSDC – consacré par le Traité de Lisbonne en 2007. Il s'agit en effet non pas tant d'assurer la « défense de l'Europe », rôle dévolu en principe à l'OTAN, que de préserver les intérêts de l'Europe en matière de sécurité, où qu'ils soient menacés dans le monde.

La publication du nouveau Livre blanc étant prévue en janvier 2013, il nous a semblé primordial de rappeler, avant cette échéance, que les choix qui seront effectués pour l'avenir de la défense française devront impérativement prendre en compte sa dimension européenne.

Pourquoi une relance de « l'Europe de la défense » ? Cela signifie-t-il que celle-ci serait inexistante? Une certaine inertie jusqu'à présent, un échec récent, celui de la fusion entre EADS et BAE Systems, les restrictions budgétaires actuelles, qui affectent aussi la défense, pourraient conforter cette idée. Incontestablement pourtant ce constat est exagéré et nous espérons que le contenu du présent rapport contribuera à le démontrer. Il est vrai cependant que les potentialités de l'Europe de la défense sont, de l'avis de vos Rapporteurs largement sous-utilisées.

Pourquoi « l'Europe de la défense » et non « la défense de l'Europe » ? Parce que la seconde est déjà assumée par l'OTAN. La première, même si elle est tout à fait complémentaire de la seconde, doit être entendue sous l'angle plus large de la préservation des intérêts européens dans le monde, qui peut notamment exiger la stabilisation de certaines régions. Tel est bien le sens de plusieurs missions civiles ou militaires déjà menées au titre de la PSDC (politique de sécurité et de défense commune).

Etabli à mi-parcours (le rapport définitif devrait être publié au printemps 2013, avant l'examen de la loi de programmation militaire) ce rapport d'étape ne prend pas en compte tous les aspects de la question. Néanmoins ce rapport vise à présenter de façon assez complète l'état des lieux de la PSDC, en mettant en exergue les avancées du Traité de Lisbonne, encore largement sous-exploitées, quand elles ne restent pas lettre morte : tel est le cas notamment de la Coopération structurée permanente (CSP). Je laisserai le soin à mon Co-Rapporteur, Monsieur FROMION, de nous présenter ce dispositif.

Gardant toujours à l'esprit la volonté de démontrer pourquoi la relance de l'Europe de la défense n'est pas une utopie, nous espérons que le prochain Livre blanc saura enfin véritablement prendre en compte la dimension européenne de la défense française.

Notre bilan insiste d'abord sur les avancées permises ou facilitées par le Traité de Lisbonne, avancées dont l'Europe n'a pas encore pleinement tiré parti. La multiplicité des instances compétentes peut laisser parfois l'impression d'une trop grande complexité, voire créer la confusion. Or, des avancées institutionnelles, comme la création d'un « Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité » et du « Service européen d'action extérieure », ont amélioré la visibilité de l'Europe de la défense.

La réelle nouveauté tient à la place particulière accordée par le Traité de Lisbonne à l'objectif affirmé de parvenir à la « définition progressive d'une politique de défense commune qui peut conduire à une défense commune ».

Le Traité de Lisbonne a élargi la liste des missions de l'Union dans ce domaine. Elles comportent désormais les « actions conjointes en matière de désarmement », les « missions de prévention des conflits » et les « opérations de stabilisation à la fin des conflits ». Il est par ailleurs précisé que « toutes ces missions peuvent contribuer à la lutte contre le terrorisme, y compris par le soutien apporté à des pays tiers pour combattre le terrorisme sur leur territoire ».

Une autre innovation fondamentale concerne la « clause de défense mutuelle » qui prévoit que, dans le cas où un État membre est l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir. Ce souci doit cependant s'exercer dans le respect de la politique de neutralité de certains États membres et du traité de l'OTAN comme fondement de la défense collective de ses membres. L'Europe de la défense apparaît ainsi intrinsèquement liée à l'OTAN.

Un pas décisif est également franchi avec la possibilité désormais offerte au Conseil de confier la mise en oeuvre d'une mission militaire à un groupe d'États membres qui le souhaitent et qui disposent des moyens adéquats

Notre Rapport présente également le développement des coopérations capacitaires, industrielles et technologiques permises par le Traité de Lisbonne, en partie sous l'égide de l'Agence européenne de défense. De nombreuses missions PSDC, civiles et militaires – une trentaine au total – ont été menées ou sont encore en cours ; l'une devrait débuter au SahelMali en 2013. Ignorées souvent du grand public, ces missions sont pourtant parfois emblématiques de ce que l'Europe peut faire en matière de défense. Selon les indications recueillies par vos Rapporteurs, les missions PSDC, pour beaucoup d'entre elles, manquent à la fois de ressources humaines et techniques. C'est le cas en particulier de la dizaine d'opérations civiles toujours activées en 2012.

La diminution significative de la contribution de la France à des missions PSDC activées depuis un certain temps semble regrettable à vos Rapporteurs, car elle est de nature à entamer la crédibilité de notre pays vis-à-vis de ses partenaires européens.

Si l'implication de la France semble réelle sur des missions récentes (8 Français sur 22 personnels envoyés pour le début de l'opération EUCAP SAHEL Niger) elle devient insignifiante sur certaines missions plus anciennes, comme la Géorgie, avec 2 Français seulement sur un effectif de 320 personnels, ou au Congo où ils ne sont que 10.

Vos Rapporteurs estiment que, à l'heure où elle prône la relance de l'Europe de la défense, la France ne peut plus se permettre ce saupoudrage, si elle veut rester crédible.

La France, dans sa démarche de relance de l'Europe de la défense, ne pourra rester convaincante auprès de ses voisins européens que si elle se donne les moyens de cette ambition. Le présent rapport souhaite le rappeler, à la veille de la publication du Livre blanc sur la défense, qui ouvrira la voie à une nouvelle loi de programmation militaire française pour les années 2014 à 2019.

Nous sommes convaincus, à l'issue de ce bilan d'étape, qu'une véritable « Europe de la défense » pourrait se mettre en marche. L'état des lieux démontre par ailleurs que, contrairement à certaines assertions ou considérations trop pessimistes, les prémices de cette Europe de la défense existent déjà. Puisque la volonté politique, en tout cas française, de relance de l'Europe de la défense est aujourd'hui clairement affirmée, la France se doit d'apporter à la politique européenne de défense les moyens de son ambition.

Cependant nous pouvons constater que les budgets se resserrent dans l'ensemble des États membres de l'Union européenne. En conséquence, la mutualisation capacitaire pourrait être une solution permettant de maintenir à l'échelle européenne la performance de l'outil de défense.

Certes, le pilier européen de l'OTAN est incontestable. Néanmoins, le choix des Américains de porter leur attention davantage vers l'Asie doit conduire les Européens à davantage assumer leurs responsabilités.

Aussi convient-il de souligner qu'avec les soutiens des Ministres de la Défense, l'Agence européenne de défense a proposé une série de projets capacitaires visant à assurer la capacité d'action européenne (moyens de ravitaillement en vol, reconnaissance, surveillance), à combler certaines lacunes récurrentes, et à améliorer la déployabilité des capacités européennes.

Enfin, La Déclaration du 15 novembre 2012 des États « Weimar + » - France, Allemagne, Pologne, Espagne, Italie – est une ouverture très encourageante : la France est suivie dans sa volonté de relance de l'Europe de la défense. A cet égard, le code de conduite sur le partage et la mutualisation capacitaire adopté par les Ministres de la Défense le 19 novembre dernier est un signal fort.

Néanmoins, Il convient de souligner que cette relance de l'Europe de la Défense nécessitera d'ouvrir, conjointement, la porte d'une relance de l'Europe politique.

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