Intervention de Yves Fromion

Réunion du 12 décembre 2012 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Fromion, co-rapporteur :

Je voudrais insister sur les avancées que permettent le Traité de Lisbonne en matière d'Europe de la défense. Tout d'abord, un effort important a été consenti pour incarner la politique étrangère de l'Union, au plus haut niveau avec le président du Conseil européen et au plus près de la gestion quotidienne des politiques avec le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, actuellement Mme Catherine Ashton.

La création de ce Haut représentant, dans sa configuration issue du Traité de Lisbonne, a pour objectif de rendre l'Europe plus visible sur la scène internationale tout en donnant davantage de cohérence à l'action extérieure de l'Union européenne. A cette fin, le Haut représentant est doté d'une triple casquette : il est en effet à la fois vice-Président de la Commission, Président du Conseil dans sa formation « affaires étrangères » et mandataire du Conseil, ce qui lui donne une position tout à fait stratégique au coeur des institutions. Ses pouvoirs sont importants.

Ensuite, le Traité de Lisbonne a fourni au Haut représentant les moyens nécessaires à l'accomplissement de ses missions, en prévoyant la mise en place du SEAE, véritable service diplomatique européen. Il compte environ 3 600 agents, si l'on tient compte également des quelque 2 000 agents en poste dans les délégations. Ces personnels sont placés sous l'autorité de la Haute représentante.

D'autre part, l'Agence européenne de défense, formellement instituée depuis 2004, a été dotée d'une base légale et renforcée. Elle a pour objectif l'harmonisation progressive des efforts de défense des États membres et doit aider l'Union à gagner une autonomie stratégique sur le plan militaire. Son action se décline en quatre volets : développement des capacités de défense des États membres dans le domaine de la gestion des crises, mise en place d'un marché européen des équipements de défense et renforcement de la compétitivité de l'industrie de défense européenne, promotion de la recherche pour répondre aux besoins futurs en matière de défense et renforcement de la coopération en matière d'armement par le lancement de projets bi – ou multinationaux.

L'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne a notamment permis d'étendre les compétences de l'AED aux aspects industriels et commerciaux des questions d'armement. Le défi majeur est que l'AED devienne une pépinière des programmes d'armement, réalisés en coopération européenne afin de mettre à la disposition des forces armées européennes des équipements interopérables et correspondant à leur besoin opérationnel. Dans cette perspective, la France est intéressée par de nombreux thèmes de coopération, en particulier dans les domaines de l'espace, de la surveillance maritime, du déminage maritime, du transport stratégique, des drones et des communications.

Je voudrais souligner particulièrement l'existence de la CSP, la Coopération structurée permanente, en insistant sur le fait qu'il s'agit d'une option : sa mise en place serait possible à partir d'un groupe d'États « pionniers » en quelque sorte. C'est un instrument très souple, utilisable par les seuls volontaires, à l'image de certaines possibilités de coopérations offertes par nos structures intercommunales, si l'on voulait faire une comparaison.

Les articles du Traité et le Protocole relatifs à la CSP offrent la possibilité de mettre en place une coopération structurée permanente entre « les États membres qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes ». La procédure est considérablement assouplie par rapport aux autres coopérations renforcées puisqu'elle n'est pas soumise à un nombre minimal de participants.

Les débats qui ont eu lieu précédemment au sujet de la CSP montrent à quel point les textes ont été mal interprétés. Souvent ils ont donné l'impression d'engager les Européens à dépenser davantage pour leur défense et c'est la première des critiques portées à l'encontre de la CSP.

Pourtant, une approche rigoureuse et pragmatique des textes relatifs à la CSP permet de dépasser cette incompréhension. « Les engagements plus contraignants » évoqués à l'article 42 et «  le développement des contributions nationales et la participation, le cas échéant – et j'insiste sur le terme « le cas échéant » -, à des forces multinationales, aux principaux programmes européens d'équipement et à l'activité de l'AED … » évoqués comme préalables à la participation à la CSP, ne doivent pas être confondus avec une obligation pour les pays candidats d'accroître leur budget national de défense.

Le critère d'entrée est, en fait, l'accroissement de l'effort consenti par les États membres pour le développement de leurs contributions nationales en faveur de la PSDC et non l'augmentation nette de leur budget de défense. Quel intérêt aurait en effet pour la CSP l'augmentation du budget français de la défense pour moderniser notre dissuasion nucléaire ? Or, c'est pourtant ce que proposent implicitement ceux qui voudraient fonder sur un pourcentage de PIB consacré à la défense le « ticket d'entrée » dans la CSP…

Le seul critère compatible avec l'esprit du Traité, pour fixer les critères d'adhésion à la CSP, est celui du niveau d'effort consenti par chaque État membre pour répondre aux exigences de la CSP. C'est un niveau d'effort qui doit être proportionné à ses moyens. La CSP invite chaque pays à se responsabiliser au regard d'un engagement européen collectif, à dépenser mieux en faveur de la PSDC, sans nécessairement dépenser plus.

Une autre question qui revient dans le débat sur la CSP est le débat entre CSP « sélective » et CSP « inclusive ». Les textes offrent heureusement la solution à cette problématique en différenciant clairement l'adhésion obligatoire à la compétence « génération de forces » et celle facultative à la compétence « programmes d'armement ».

La composante « génération de forces » implique « d'avoir la capacité de fournir (…) soit à titre national, soit comme composante de groupes multinationaux des unités de combat ciblées pour les missions envisagées, configurées sur le plan tactique comme un groupement tactique, avec les éléments de soutien ». De nombreux pays européens sont à même de répondre à cette exigence. Il suffirait que soit individuellement, soit par regroupement, les États apportent une contribution dont l'unité de base serait le groupement tactique. Cette « capacité à fournir » des unités de combat n'implique pas a priori que ces forces soient dédiées uniquement à la CSP.

La composante « programmes d'armement », quant à elle, je le rappelle, n'a pas de caractère obligatoire, puisqu'elle repose sur la participation, le cas échéant, aux principaux programmes européens d'équipement et à l'activité de l'agence européenne de défense (AED) dans le domaine du développement, des capacités de défense, de la recherche, de l'acquisition et de l'armement.

La CSP ne fait par ailleurs obstacle ni à l'appartenance à l'OTAN des pays de l'Union européenne, ni au libre exercice de la souveraineté et des politiques nationales. Elle est également totalement compatible avec les coopérations multilatérales ou bilatérales du type « Lancaster House ». Elle peut être vue comme un stimulant de la base industrielle et technologique de la défense européenne.

La seule faiblesse de la CSP pourrait résider dans son financement, puisque cette question n'est pas explicitement évoquée dans les textes. Toutefois, le TUE ouvre la porte à un financement communautaire pour « les actions préparatoires » nécessaires à l'exécution des missions PSDC qui peuvent être financées par le budget de l'Union européenne.

Or, l'expression « activités préparatoires » peut être interprétée plus ou moins largement, selon que l'on s'en tient aux seules mesures à caractère logistique précédant le déclenchement d'une opération, ou que l'on prend en compte la réalisation ou l'acquisition d'équipements indispensables à l'exécution de la mission (équipements satellitaires, chaînes logistiques, équipements de combat etc.). Il existe incontestablement des marges de manoeuvre dans ce domaine. Les « activités préparatoires » peuvent par exemple être menées dans le cadre d'une coopération industrielle ou technologique préalable à une opération militaire ou civile.

En résumé, la CSP est un outil extraordinaire, une pépinière dont pourraient sortir de véritables coopérations, une forme d'autogestion car ce sont les États qui sont dans la CSP qui peuvent la mener. C'est un stimulant fort pour la base industrielle de technologie et de défense. Y aura-t-il la volonté politique pour la lancer ? Je suis optimiste, car je suis ce dossier depuis1998 – époque à laquelle personne ne savait ce dont il s'agit – et je constate qu'il y a eu des évolutions à cet égard.

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