Intervention de Olivier Blanchard

Réunion du 21 novembre 2013 à 8h30
Commission des affaires européennes

Olivier Blanchard, chef économiste du Fonds monétaire international :

Je vais essayer de répondre a toutes ces questions, qui sont toutes importantes.

Sur les multiplicateurs : Au début de la crise, il y a cinq ans, les multiplicateurs n'avaient pas pratiquement pas fait l'objet de recherches récentes du fait du déclin de la politique budgétaire en tant qu'instrument de politique conjoncturelle. Nos bureaux spécialisés par pays en étaient donc restés à des chiffres généraux, à savoir un multiplicateur inférieur à 1 – entre 0,5 et 0,7 – puisque, en économie ouverte, une bonne partie de la dépense va à l'étranger. Quand la crise a commence, j'ai demandé à mon équipe de recenser l'ensemble des travaux sur ce sujet pour voir si des chercheurs étaient arrivés à d'autres chiffres. De fait, les estimations varient entre 0 et 3. Les résultats ont été publiés dans une étude du FMI en 2009. Parallèlement, nous nous sommes rendu compte très vite que, dans la crise, le coefficient était en réalité plus fort parce que, en temps normal, les effets de la politique budgétaire sont partiellement compensés par la politique monétaire, mais pas quand les taux d'intérêt sont à zéro. On en a tenu compte à partir de 2010, dans toute une série de programmes.

Sur la science économique : Oui, la science économique est une science humaine puisque les investisseurs sont des êtres humains. La crise nous a fait admettre que les marchés financiers sont loin d'être parfaits, que le comportement des opérateurs est parfois celui de moutons de Panurge, même si on peut le rationaliser. La position du FMI a d'ailleurs considérablement évolué au sujet des contrôle des capitaux. Ils étaient largement rejetés avant 2008, ils font maintenant partie de la trousse a outils. Nous avons aussi beaucoup travaillé à une approche macro prudentielle, en imaginant des instruments destinés à limiter l'exposition aux risques des acteurs financiers, mais nous n'en sommes qu'au début du processus.

Sur charges sociales et chômage : Nous avons beaucoup d'études économétriques sur le lien entre le niveau des charges sociales et le chômage, dont il ressort qu'il existe, mais qu'il est lâche. Néanmoins, plus le niveau de charges est élevé, plus la corrélation avec le taux de chômage est forte. La France se situe sans doute dans cette zone.

Sur productivité et chômage : Si les gains de productivité s'accompagnaient systématiquement d'une augmentation du chômage, la question de Monsieur Savary mériterait d'être posée. Mais, historiquement, c'est l'inverse que l'on observe. Cela ne signifie pas pour autant que tout le monde gagne : les perdants sont ceux qui n'ont pas les qualifications nécessaires. À mon avis, chercher à réduire les gains de productivité pour éviter le chômage serait une erreur. Il faut plutôt rechercher une meilleure organisation du marché du travail qui passe par la flex-sécurité à la danoise ou la réforme de la formation professionnelle qui est en cours, et dont j'espère qu'elle sera menée a bien.

Sur la croissance a terme : Oui, la croissance potentielle européenne sera faible à terme, entre 1 % et 1,5 % en fonction de l'évolution démographique des différents pays. Les travaux de Philippe Aghion montrent que, quand on est à la frontière, on avance doucement. Il ne faut pas se faire d'illusion, on ne reviendra pas à des taux de 3 % ou 4 %. Cela dit, il existe des petites réformes, celles prônées par les rapports Camdessus et Attali, qui, mises bout à bout, peuvent avoir des effets importants. Ainsi, la plus grosse part du pouvoir d'achat gagné par les Français ces deux dernières années provient de l'entrée sur le marché de Free, soit 0,3 point de pouvoir d'achat en plus à cause de l'effondrement des prix des télécommunications. Il ne faut être ni trop optimiste, ni trop pessimiste.

Sur le compte courant allemand : L'excédent des comptes courants allemands est au coeur des débats aujourd'hui. Il y a deux questions à se poser. Premièrement, du point de vue allemand, ce niveau est-il le bon ? Un surplus important peut être justifié quand on anticipe une forte baisse de la population et quand il est nécessaire d'épargner beaucoup. Or, le taux d'épargne allemand se situe dans la moyenne des pays avancés. Ce qui surprend, en revanche, c'est la faiblesse du taux d'investissement. C'est, parmi les pays avances, en Allemagne qu'il est le plus bas (ainsi qu'en Angleterre). Sans doute les entreprises allemandes ont-elles intérêt à investir non pas en Allemagne mais plutôt en Pologne ou en Hongrie, en raison d'un avantage comparatif puisqu'elle est très proche. Mais ce n'est pas l'explication puisque si l'on ajoute les investissements directs à l'étranger à l'investissement domestique, l'Allemagne reste tout de même au bas de l'échelle. À cause de la faiblesse de l'investissement public. Les Allemands devraient donc se demander si il ne serait pas dans leur propre intérêt d'augmenter l'investissement, et en particulier l'investissement public.

D'autre part, l'Allemagne devrait-elle aider les autres ? Certains suggèrent d'augmenter la demande domestique pour stimuler les exportations des autres pays et augmenter légèrement l'inflation allemande. Ce raisonnement n'est pas faux mais les effets quantitatifs d'une telle politique seraient faibles. De plus, les Allemands n'y sont pas favorables. En revanche, il faut les convaincre de soutenir, d'une part, la politique monétaire de la BCE, et, d'autre part, l'union bancaire. C'est ça qu'il faut leur demander.

Sur l'ajustement par les recettes ou les dépenses : De l'augmentation des impôts ou de la baisse des dépenses, laquelle a-t-elle les effets les plus forts ? Autant vous dire que les résultats sont très hétérogènes. Selon la théorie keynésienne traditionnelle, la diminution des dépenses devrait se ressentir davantage parce que, au premier tour, le multiplicateur est de 1 alors qu'il est moindre en cas de hausses d'impôt parce que les gens commencent par puiser dans leur épargne. En pratique, un certain nombre d'études concluent à une hiérarchie inverse. Plusieurs explications sont avancées, comme une politique monétaire plus conciliante si la banque centrale préfère les baisses de dépense, ou bien une question de crédibilité : dans les pays où la charge de l'État est très lourde, la diminution des dépenses peut avoir un effet psychologique positif, mais les corrélations sont très mal établies.

Sur l'environnement international : La contagion a joué un rôle important dans le début de la crise, mais, aujourd'hui, la conjoncture internationale est favorable à l'Union européenne. Les autres pays la tirent dans le bon sens. La reprise américaine est solide, avec le risque, à terme, qu'elle entraîne une hausse des taux d'intérêt. Les pays émergents se portent bien, même si c'est un peu moins bien que pendant la décennie 2000-2010 quand les prix des matières premières et les taux d'intérêt étaient bas. La croissance y sera toujours forte, mais moins qu'autrefois. À court terme, le changement de la politique monétaire américaine leur crée des problèmes de flux de capitaux, mais ils peuvent les résoudre. L'environnement international est donc porteur et les difficultés européennes sont en réalité largement internes.

Sur le niveau de dette et la politique budgétaire : Le niveau de la dette est énorme, mais pas le poids de la dette grâce au niveau bas des taux d'intérêt. Ce ne sera pas éternel, mais, pour le moment, le poids de la dette n'est pas insupportable. Ce qui compte, c'est que le niveau de la dette soit tel que les investisseurs ne paniquent pas, d'où l'importance de la crédibilité de la trajectoire. C'est la raison pour laquelle on peut concevoir d'un ralentissement du retour à l'équilibre en échange d'une baisse des dépenses.

Sur la politique économique dans la zone euro : Les limites posées à la politique budgétaire par le pacte de croissance me paraissent raisonnables, si les autorités européennes sont capables de flexibilité. Selon la lecture que j'en fais, la crise en Europe ne vient pas de politiques budgétaires irresponsables, sauf en Grèce. Ailleurs, l'arrivée de l'euro, les perspectives de croissance ont provoqué un boom de la demande privée, de logement en particulier. Mais les anticipations se sont révélées trop optimistes et les prix se sont effondrés. À l'epoque, l'analyse était que l'Espagne mettait en oeuvre une politique budgétaire parfaitement responsable. Les règles actuellement en vigueur à Bruxelles lui auraient valu un certificat de bonne conduite.

Pour éviter que cela se produise à nouveau, il faudrait que Bruxelles réfléchisse davantage à des mesures macro prudentielles. Si, rétrospectivement, on imagine un scénario différent pour l'Espagne, afin d'empêcher une telle bulle immobilière et un déficit du compte courant de 10 %, il aurait fallu renforcer davantage les ratios de capitaux, diminuer les loan to value ratios, c'est-à-dire le rapport entre le montant du prêt et la valeur du bien immobilier financé, et agir de façon très agressive pour arrêter la machine. Ainsi, les règles actuelles, notamment en matière de ratios de capitaux, n'auraient pas empêché la crise espagnole. Il y a toute une réflexion qui reste à mener même si ce qui a été fait est bien.

Sur l'inflation. Si l'inflation et les taux d'intérêt nominaux avaient été un peut plus élevés avant la crise, disons 4% et 6% respectivement, la marge de manoeuvre pour les diminuer aurait été plus grande. Quand je rappelais ces évidences avant la crise, on me répondait que l'on n'aurait jamais besoin de baisser les taux d'intérêt en dessous de zéro. Or cela fait cinq ans que dure la trappe à liquidité et on en voit les effets. Ne faudrait-il pas, si cela devait arriver une nouvelle fois, se donner un peu plus de marge de manoeuvre ? Pour moi, la question reste sur la table.

Enfin, j'ignorais jusqu'à hier l'hypothèse d'un impôt de 10 % sur le patrimoine privé, quand les journaux français en ont fait état. Elle doit sortir d'une étude d'un chercheur du Fonds, mais elle ne représente pas la position du Fonds.

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