Sans coopération, EADS n'existerait peut-être pas ; Eurocopter, certainement pas. Mais que nous a apporté la coopération pour ces deux grands programmes que sont le Tigre et le NH90 ? Il y a vingt ans, les Américains détenaient une position dominante dans le domaine des hélicoptères : Boeing, Sikorsky et Bell écrasaient le marché – notamment à l'exportation. Depuis une dizaine d'années, Eurocopter est devenu le numéro un mondial. Les quatre « grands » du secteur sont désormais Eurocopter, avec 6 milliards d'euros de chiffre d'affaires, Sikorsky, avec 5 milliards, AgustaWestland et Bell – Boeing est un peu marginalisé. Cette position nous procure des devises, puisque 75 % de notre chiffre d'affaires est réalisé à l'exportation. La moitié de notre production est assurée en France, non seulement par Eurocopter, mais par toute la filière aéronautique, qu'il s'agisse des moteurs, de l'avionique, des équipements électroniques. Cela représente aussi des emplois.
Il y a une cohérence dans tout cela. Notre pays jouit d'une certaine position internationale. Nos armées sont visibles : elles se déploient et ont un rôle dans le positionnement des grandes problématiques géopolitiques – avec le matériel, l'industrie et les exportations qui vont avec. Bref, il s'agit d'un dispositif global. Peut-être sommes-nous les seuls dans ce cas en Europe – ce qui constitue une difficulté supplémentaire pour la coopération européenne.
J'en viens maintenant au NH90. Deux exigences s'imposent pour le bon déroulement de ce type de programme : il faut d'une part une harmonisation des exigences des États en amont du programme, et d'autre part la création d'une véritable structure décisionnelle. S'agissant du NH90, nous avons une structure compliquée, notamment en raison de la présence d'un de nos concurrents – AgustaWestland – dans le consortium industriel. Il y a vingt ans, le Tigre a fait Eurocopter. Il s'agit à l'origine d'un projet franco-allemand, qui a été rejoint par les Espagnols, puis par les Australiens. Le NH90 associe encore davantage de pays, puisque sont venus s'ajouter aux précédents l'Italie et les Pays-Bas. Sans doute espérions-nous à l'époque fabriquer un Airbus des hélicoptères, avec les Britanniques et les Italiens ; cela ne s'est pas fait. De fait, nous sommes aujourd'hui en coopération sur un programme avec l'un de nos principaux concurrents sur le territoire européen, ce qui constitue une difficulté notable.
On évoque souvent les retards du programme NH90. Je ne reviendrai pas sur la théorie des coûts, qu'a évoquée M. Lahoud. Ce programme a deux composantes, navale et terrestre. La seconde est à l'heure. Bien que la commande française ait été passée très tard, en 2007, elle a été livrée en 2011. Quant à la composante navale, elle correspond à un appareil beaucoup plus compliqué, pour lequel nous dépendons bien plus de notre partenaire AgustaWestland qui assure la maîtrise d'oeuvre de cette version, tandis que nous assurons celle de la composante terrestre. Les hélicoptères sont néanmoins opérationnels à ce jour pour les missions de sauvetage en mer et de contre-piraterie maritime.
En termes d'exportations, nous en sommes à 529 hélicoptères vendus – pour soixante et un commandés par la France. C'est bien le fait d'avoir développé un hélicoptère « sur étagère » dans un contexte européen, c'est-à-dire en regroupant les besoins de plusieurs pays, qui nous assure une certaine force à l'international. Ce succès a permis à Eurocopter d'atteindre une certaine taille et de passer à une dimension supérieure du point de vue technique et technologique, par exemple en termes de composite ou de commandes de vol électriques – nous sommes les premiers au monde à les avoir implantés sur un hélicoptère de cette gamme. Au-delà de l'aspect chiffre d'affaires, volume d'activité et emplois, nous avons franchi une marche technologique qui nous permet de mieux aborder le domaine commercial.
M. Lahoud a insisté sur la nécessité d'avoir des agences opérationnelles et décisionnelles, qui s'applique parfaitement à nos programmes – en particulier au NH90, qui est bien plus compliqué à cet égard que le Tigre, géré par l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAr).
À l'origine, nous n'avions pas de standards, ce qui est une erreur. Des programmes aussi compliqués que le Rafale, l'A400M ou le NH90 imposent en effet de passer par un mode de montée en puissance, c'est-à-dire de commencer par des versions simples avant de « monter en grade » vers des versions plus compliquées, intégrant notamment des systèmes d'armes. Tous les grands programmes – en particulier en coopération – devraient prévoir cette montée en puissance échelonnée d'un point de vue contractuel – ceci afin d'éviter les renégociations de contrats.
Le NH90 est un projet de grande ampleur – 16 milliards d'euros, sachant que le chiffre d'affaires d'Eurocopter s'élevait auparavant à 3 ou 4 milliards. L'enjeu est donc de taille, y compris en termes de risque.
Pour les États, les retards sont bien sûr problématiques du point de vue de la disponibilité et de la capacité. Ce n'est pas le cas du point de vue du coût, puisque les contrats Tigre et NH90 sont des contrats à prix fixe, dans lesquels les dérives de calendrier et de coût sont supportées par l'industriel. Cela explique d'ailleurs qu'ils ne soient pas aussi rentables que d'autres pour Eurocopter. Pour l'État client, le surcoût est tout à fait acceptable.
S'agissant du report de l'affermissement de la commande française de trente-quatre NH90 transport tactique (TTH) supplémentaires – ou deuxième tranche de la version terrestre – au-delà de la date limite prévue par le contrat en vigueur, il nous appartient de faire preuve de compréhension à l'égard de notre principal client et de ses contraintes budgétaires. Nous avons donc repoussé de deux mois la date limite de passation de la commande. J'en profite pour rappeler qu'un dédit contractuel d'environ 35 millions d'euros est prévu au cas où celle-ci ne serait pas passée.
L'aspect de partage industriel est bien sûr fondamental. Le partage de ce qui est fait en France, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Italie est fondé sur les quantités pour lesquelles les États se sont engagés. Le pays qui ne respecterait pas ses engagements s'exposerait à une demande de transfert d'activité industrielle vers les autres. Cela signifierait pour nous un transfert d'activité de Marignane vers l'Italie et les Pays-Bas. Le prix des appareils est également lié à la quantité qu'il a été convenu d'acheter. Au cas où la commande d'un certain nombre d'hélicoptères – bien supérieur aux trente-quatre dont nous avons parlé – ne serait pas passée d'ici à 2020, les prix pourraient être revus à la hausse.
L'Allemagne a récemment revu ses quantités, mais elle l'a fait à budget constant, en réduisant la quantité des appareils terrestres au profit d'appareils navals qu'elle n'avait pas achetés. Elle a en quelque sorte économisé le coût d'un programme naval – qu'elle avait identifié – pour le financer sur le programme terrestre. Mais, comme le programme naval n'existait pas, il ne figurait pas dans les commandes prévues. Nous avons donc procédé à une redéfinition du périmètre des hélicoptères, à budget constant, sans impact sur l'aspect industriel. Cette renégociation a été fort bien menée par notre partenaire.
À ce jour, 141 des 529 hélicoptères vendus ont été livrés. Quasiment tous les pays volent avec le NH90. Quelques contrats – notamment avec la Nouvelle-Zélande et Oman – arrivent à échéance dès l'année prochaine. C'est d'ailleurs problématique pour le site de Marignane, qui n'aura plus d'activité – en dehors de deux hélicoptères navals – à partir de 2016. Sans la commande française des trente-quatre NH90 TTH, la chaîne de production devrait donc s'arrêter.