Intervention de Pierre Beretti

Réunion du 15 mai 2013 à 18h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Pierre Beretti, Président directeur général d'Altedia :

Je préside Altedia depuis 3 ans et j'ai été DRH de Thalès et Alcatel. J'ai donc initié plusieurs plans de restructuration, de cessions, de fermetures, ou de cessation d'activité en Europe et dans le reste du monde.

Altedia est une filiale à 100 % du groupe ADECCO depuis 2005 et nous appartenons à une division du groupe chargée des questions de transition professionnelle dans le monde entier. Nous avons donc une très grande connaissance de ce secteur dans d'autres pays du monde et en particulier aux États-Unis et en Europe. Nous sommes 600 salariés en France pour un chiffre d'affaires de 70 millions d'euros en 2013, dont les deux tiers sont réalisés auprès du secteur industriel.

Nous avons deux activités principales : le conseil aux entreprises pour les projets de restructuration, de transformation et de réorganisation sous l'angle RH, ce qui nous place en amont dans le projet et donc dans une phase très confidentielle ; puis l'accompagnement des salariés dans la phase de transition professionnelle, – c'est-à-dire 25 000 personnes par an – dont 20 % auprès de pôle Emploi et le reste dans le secteur privé.

Nous avons tenu à exercer également une activité dans le secteur public depuis plusieurs années : cela était stratégique pour nous. Nous avons ainsi une vue d'ensemble de la restructuration des entreprises et des administrations. Nous sommes très sensibles à l'accompagnement des personnes qui ont choisi, ou pas, de quitter l'entreprise, mais également à l'accompagnement de ceux qui restent. Cet accompagnement managérial nous est souvent demandé pour préparer l'avenir de l'entreprise. Il est donc très important pour nous de faire les deux en même temps et de conduire l'entreprise à réfléchir à son projet post-restructuration.

De manière générale, à l'exception de l'aéronautique, force est de constater que pratiquement tous les secteurs sont actuellement en transformation (banque, assurance, automobile, etc.). Il s'agit vraiment de mutations, de transformations profondes à l'échelle nationale et européenne. C'est pourquoi nous sommes très soucieux d'amener nos clients à réfléchir à ces évolutions. Cela nous conduit à équilibrer nos actions entre la direction de l'entreprise, les partenaires sociaux et les salariés. Lorsque nous parlons à l'un, nous pensons toujours aux deux autres, surtout quand nous sommes nous-mêmes négociateurs des plans.

Sur la question des composantes d'un plan réussi, quelques facteurs-clés sont à retenir : il faut premièrement intervenir le plus en amont possible. Je sais d'expérience que l'entreprise attend en général le dernier moment, pour une raison simple : lorsqu'elle sait qu'elle va annoncer quelque chose de difficile à mettre en oeuvre, elle sait aussi que cela peut créer de la perturbation. Or, son souci est d'éviter que ces perturbations soient les plus longues et les plus dommageables possibles pour son activité. Il est donc toujours difficile d'anticiper. Dans certaines situations néanmoins, l'anticipation est possible : la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) est un facteur assez neutre qui la rend possible.

Deuxièmement, et nous l'observons dans beaucoup de cas, plus l'entreprise est ouverte à la négociation et plus il y a de chances que la restructuration se passe dans de bonnes conditions. Ce parti n'est pas facile à prendre car il a un coût en termes de délais et de mise en oeuvre. Cette logique est actuellement bien perçue par la plupart des grands groupes, ce qui nous permet de les conseiller quant à la façon d'aborder ce sujet avec les salariés et leurs représentants.

Dans la négociation, il est important d'aller le plus vite possible. Je tiens ceci de mon expérience de DRH, et plus récemment, de consultant. Plus la partie en amont est courte (entre l'annonce de la restructuration et la notification des départs), plus nous pouvons nous concentrer sur l'accompagnement des salariés qui partent de façon contrainte ou non. La rapidité de cette phase de définition des conditions d'exécution du plan est un premier facteur de succès.

Ensuite vient la rapidité de la mise en oeuvre : les plans où les congés de reclassement durent deux ans font perdre un an ou an et demi à l'entreprise. Plus la durée du plan de reclassement est ajustée au profil des populations (plus long pour les personnes de rang senior qui peuvent avoir plus de problèmes dans le reclassement ; plus court pour un jeune cadre) et plus il est efficace. Cela s'explique par le fait que le processus de reclassement est plus intensif dans les premières semaines, lorsque nous enchaînons des entretiens, en face à face, avec les consultants et des ateliers. Nous avons notamment mis en place des ateliers pour aider les candidats à se repositionner (CV, modalités de recherche, préparation des entretiens, etc.). Statistiquement, sur les personnes que nous suivons, nous observons deux asymptotes : les salariés qui se reclassent au bout de six mois, et ceux qui se reclassent dans les 9 à 12 mois.

Enfin, je voudrais aborder la question de l'indemnisation ou de l'accompagnement financier des salariés. Sur ce plan également, nous sommes toujours tournés vers une indemnisation forte du retour à l'emploi. Je vais prendre un exemple caricatural mais parlant : si le projet de reclassement est de 12 mois mais que le salarié trouve une opportunité de reclassement intéressante au bout de 6 mois, nous préconisons de payer le solde global du projet de reclassement au salarié. Le salarié a alors intérêt à retrouver un emploi rapidement. Ce phénomène joue sur la dynamisation des salariés. Dans les projets de reclassement qui durent deux ans, il y a 50 % d'absentéisme aux entretiens individuels la première année ou la première année et demi. Or, pendant ce temps, le cabinet cherche des postes : c'est ainsi que des milliers de postes ne trouvent pas de candidats. Lorsque nous travaillons sur un bassin, le nombre d'emploi est limité : si les salariés ne viennent pas aux ateliers et vont « en fond de fauteuil » aux entretiens avec le consultant, les emplois sont perdus car ils sont pourvus par d'autres en dehors du projet de reclassement. C'est pourquoi nous incitons à adopter des projets de reclassement rapides et efficaces.

J'ajoute quelques éléments que nous avons expérimentés ces derniers mois. Nous recommandons, par exemple, de conduire systématiquement une ingénierie de l'emploi dans le bassin où le plan (volontaire ou contraint) va s'opérer dans les semaines ou les mois qui précèdent le démarrage de la procédure sociale. Cela permet d'aller chercher les emplois en tensions, de regarder la structure des emplois les plus attractifs, de ceux qui sont le moins éloignés des compétences des salariés, et donc de réfléchir à la meilleure manière de faire correspondre ces compétences avec celles des emplois en tension sur le territoire. Ainsi, lorsque l'entreprise rentre dans le processus de négociation, elle bénéficie déjà d'une information précise sur la nature des emplois futurs que pourraient trouver les salariés. De façon très symbolique, à Aulnay, nous avons mis en place le Centre de transition professionnelle qui va encore plus loin : avec le mandat de PSA, nous avons identifié les entreprises qui recrutent en permanence sur le territoire, particulièrement dans trois domaines (aéroportuaire, transport de personnes ou logistique, secteur automobile). Nous sommes aussi associés à l'AFPA pour réfléchir à des formations de reconversion de sorte que, le jour où le plan démarre, nous pouvons déjà présélectionner entre 100 et 150 candidats par an (sur 2 ou 3 ans) dans les entreprises que nous avons identifiées, pour les faire ensuite intégrer l'AFPA et ensuite le poste. Cela ne peut se faire que sur des bassins où les opérateurs économiques peuvent anticiper de 6 ou 8 mois leur recrutement. Mais cela ne peut se faire sur plusieurs milliers de personnes.

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