La culture est un enjeu majeur pour l'Union européenne car elle est un levier de citoyenneté et aussi de croissance potentielle. L'Europe doit faire valoir ses atouts – son expérience, la qualité de ses productions et la reconnaissance internationale dont elle jouit – dans ce domaine d'excellence qu'est pour elle la culture. Il est indispensable de continuer à protéger nos modes de production et de diffusion de la culture, tout en les adaptant à l'ère numérique.
La diversité de l'offre culturelle est une question centrale. Afin d'assurer sa pérennité, nous devons préserver les mécanismes de l'exception culturelle qui, je le rappelle, ne concerne pas que la France. Ces dispositifs permettent de continuer à produire des oeuvres qui ne sont pas des marchandises comme les autres.
À l'automne, j'ai mobilisé mes homologues européens afin que les questions culturelles soient mieux prises en compte dans les débats au sein de l'Union. C'est le sens de la lettre que treize ministres de la culture ont adressée en novembre aux commissaires européens. Je persévère dans cette stratégie très active afin de nouer des alliances susceptibles de peser sur les orientations, à la fois trop libérales et souvent ignorantes des spécificités de la culture, de la Commission européenne mais aussi des autres conseils des ministres – le Conseil des ministres de la culture est parfois assez isolé sur certains sujets.
Cette mobilisation porte sur la défense des droits d'auteur – la lettre aux commissaires faisait état de cette préoccupation – et des mécanismes de l'exception culturelle. L'actualité brûlante est aujourd'hui le projet d'accord de libre-échange entre l'Union européenne et les États-Unis.
Le projet de mandat de négociation que la Commission européenne vient d'adopter nous pose problème : pour la première fois depuis vingt ans, elle refuse le principe de l'exception culturelle. Ce choix ne répond pourtant ni à une revendication avérée des États-Unis ni à une nécessité politique ou économique. Cette rupture inquiétante justifie une forte mobilisation.
Le Président de la République a immédiatement exprimé son opposition absolue à l'abandon de l'exception culturelle et demandé l'exclusion complète des services audiovisuels du champ de cette négociation. Seule cette mesure peut assurer la survie et le succès de l'industrie audiovisuelle et cinématographique européenne face au rouleau compresseur américain. Le poids très lourd de l'industrie cinématographique dans le commerce extérieur des États-Unis explique tout l'intérêt qu'ils ont à renforcer leurs exportations en matière de création audiovisuelle.
L'abandon de l'exception culturelle serait d'autant plus dommageable pour la création cinématographique de notre continent qu'en même temps disparaîtraient les quotas obligatoires en matière de diffusion d'oeuvres européennes. Les Européens ont tout à y perdre : si les États-Unis peuvent amortir les coûts de création et de production sur leur marché intérieur et sur le marché international, cela n'est pas possible pour les pays européens, les marchés nationaux étant plus petits et fragmentés. Des mécanismes de protection sont donc nécessaires pour favoriser l'épanouissement du secteur audiovisuel européen. Ce secteur, qui n'est ni assisté ni subventionné mais très rentable et qui s'autofinance, ne peut être régi par les seules règles de la concurrence. La préservation de la diversité culturelle, objet de la convention de l'Unesco de 2005, est un enjeu économique, culturel et d'influence, essentiel pour tous les pays européens qui la promeuvent par leurs aides et leur régulations.
La refonte de la directive sur les services de média audiovisuels, qui régit les quotas de diffusion, est un autre enjeu essentiel. Ces « nouveaux services » sont au coeur de la croissance américaine, grâce à des entreprises multinationales comme Google, Apple, Amazon ou Netflix. Les États-Unis pourraient tenter une percée sur le marché européen en arguant, à l'appui d'une demande de suppression des quotas pour les nouveaux services, qu'ils sont d'une autre nature que les services audiovisuels traditionnels. Une telle distinction remettrait en cause l'équilibre actuel et irait à l'encontre du principe de neutralité technologique en vertu duquel la nature du support ne modifie pas le contenu de l'oeuvre, un principe que la France défend avec constance. Admettre que les règles relatives à l'exception culturelle bénéficient aux seuls modes de diffusion traditionnels serait introduire une concurrence déloyale entre les oeuvres diffusées sur les réseaux et celles qui le sont par les canaux traditionnels. L'exclusion des services audiovisuels de l'accord de libre-échange doit profiter à tous les modes de diffusion, qu'ils soient linéaires ou, comme les services audiovisuels à la demande, non linéaires. Je cherche à rallier mes collègues européens à notre position afin de former un groupe solidaire à ce sujet. J'ai déjà reçu le soutien de mes homologues italien et espagnol ; le ministre allemand de la culture défend à titre personnel une position similaire, qui n'est pas encore celle de son gouvernement.
Autre sujet de préoccupation : le projet de révision de la communication « Cinéma » préparée par le commissaire Joaquín Almunia, projet qui a donné lieu à une réponse commune avec mes homologues allemand, autrichien, hongrois, italien et tchèque. La vive opposition que nous avons exprimée a permis le report du texte et son réexamen par la Commission européenne.
Parce qu'il supprime la condition de territorialisation des dépenses actuellement nécessaire à l'octroi des aides à la production, ce projet menace les systèmes de production européens. En France, cela concerne les subventions allouées par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) et celles des régions, très inquiètes de ce projet. L'efficacité pour la production cinématographique des règles actuelles d'attribution des aides est avérée, et ce soutien n'est pas octroyé à fonds perdus. L'opposition radicale qui s'est exprimée lors du Conseil des ministres de la culture du 26 novembre a été entendue, et la Commission européenne devrait publier un nouveau projet, qui sera examiné fin avril. Nous n'en connaissons pas le détail mais nous espérons des améliorations.
La dimension culturelle de l'Europe doit aussi se traduire dans le budget européen. La part consacrée à la culture était de 1,1 milliard d'euros dans le budget pluriannuel en cours, soit 0,1 % du budget global de l'Union – c'est peu. Alors que Mme Androulla Vassiliou, commissaire européenne à la culture, avait demandé que ce montant soit porté à 1,6 milliard d'euros pour le budget en négociation, il a été question dans un premier temps de 925 millions d'euros seulement ; on parle maintenant de 1,2 milliard d'euros. Les programmes Culture et Media sont indispensables pour les acteurs culturels en France. Notre pays bénéficie d'un excellent taux de retour pour ces programmes – en particulier pour le programme Media, dont 22 % des crédits ont été perçus par des sociétés françaises en 2012, ce qui fait de la France l'un de ses principaux bénéficiaires, et j'avais sollicité une intervention du Premier ministre en faveur du renforcement des moyens européens destinés à la culture.
Nous soutenons sans réserve la mesure instituant des prêts garantis par l'Union européenne pour les PME du secteur de la création artistique. Les représentants de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) ont évoqué cette question avec le Fonds européen d'investissement lors d'une récente mission à Luxembourg. L'IFCIC envisage de faire garantir à terme ses portefeuilles d'avances – à l'image du fonds d'avances aux librairies dont j'ai annoncé la création – ou de contre-garantir ses portefeuilles de garantie, afin de créer un effet de levier supplémentaire pour les ressources dont il dispose. Nous regrettons en revanche de ne pas avoir obtenu que le Fonds européen d'investissement consente des prêts aux industries culturelles.
La proposition de directive visant à moderniser le cadre juridique des sociétés de gestion collective tend à renforcer la transparence et la bonne gouvernance de ces sociétés et à faciliter l'octroi de licences multi-territoriales pour l'utilisation des oeuvres de musique en ligne en définissant des normes européennes qui permettront d'élargir l'offre légale. La France est très favorable à cette proposition de directive dont elle approuve les objectifs ; le texte soulève cependant certaines difficultés qui doivent être résolues.
La proposition prévoit ainsi que les droits apportés aux sociétés de gestion collective le soient de manière fragmentée – par catégorie d'oeuvre, par type de support et par État membre. Cela pose problème pour l'audiovisuel, qui relève souvent de marchés nationaux en raison de la langue de tournage. Les auteurs de l'audiovisuel ont besoin de l'effet de masse que produit l'apport de droits groupés aux sociétés de gestion collective et qui leur permet de négocier au mieux face à des opérateurs puissants et souvent intégrés comme le sont les producteurs-diffuseurs. Les sociétés de gestion collective doivent donc pouvoir délivrer aux diffuseurs des autorisations d'exploitation des oeuvres sur l'ensemble des supports, et notamment sur les services en ligne – vidéo à la demande ou télévision de rattrapage. Cela permet à la fois d'abaisser les coûts de gestion de ces droits, ce qui est favorable aux auteurs, et de répondre à la demande des utilisateurs qui souhaitent disposer d'une offre accessible en tous lieux grâce à des autorisations globales.
Plus généralement, la France réfléchit aux amendements nécessaires pour que les sociétés de gestion collective, qui jouent un rôle social et culturel important, ne se trouvent pas en concurrence défavorable face aux agents ou aux sociétés commerciales qui négocient des licences de droits. Il faut donc soutenir les aspects positifs de la proposition de directive pour ce qui est de la transparence et de la gouvernance mais rester attentifs à ses autres volets, sur lesquels nous proposerons des amendements.
Le droit d'auteur doit être adapté à l'ère du numérique ; ce sujet est abordé dans le courrier adressé à la Commission européenne, à mon initiative, par treize ministres de la culture. En effet, la plus grande vigilance s'impose face à certains géants qui dominent le secteur numérique, manifestement déterminés à s'affranchir de toute obligation vis-à-vis des auteurs et des auteurs-interprètes. Je rappelle l'attachement de la France au principe de la rémunération pour copie privée, dispositif utile et bien conçu. Mais l'attachement au principe n'interdit pas une réflexion sur l'adaptation de l'outil à son temps. Le terme même de « copie » paraît aujourd'hui dépassé ; c'est plutôt de l'accès à l'oeuvre elle-même qu'il est désormais question.
La France défend également l'extension à soixante-dix ans de la durée des droits voisins en matière musicale.
J'en viens aux contentieux en cours. Vous le savez, la France fait l'objet d'un recours en manquement en raison de l'application d'un taux réduit de TVA aux livres numériques. Je rappelle que nous soutenons le principe de la neutralité fiscale : les livres, quel qu'en soit le support, doivent être considérés comme des biens de première nécessité et bénéficier à ce titre d'un taux réduit de TVA, qui sera de 5 % à partir de janvier 2014. Qu'ils soient vendus sous forme papier ou sous forme numérique n'en modifie pas le contenu. Nous poursuivons les démarches à ce sujet auprès de la Commission européenne, qui a par ailleurs engagé une consultation sur les taux de TVA ; je lui ai transmis en janvier les éléments qui fondent la position française. La procédure demeure néanmoins pendante.
La résolution du contentieux relatif à la taxe sur les services de télévision « distributeurs » (TSTD), qui nous coûte actuellement entre onze et douze millions d'euros par mois, est crucial pour le financement du CNC. Je rappelle que pour éviter le contournement de la taxe par certains, un texte définissant une nouvelle assiette avait été adopté à l'unanimité, fin 2011. La Commission européenne l'ayant contestée, nous avons choisi d'en définir une autre en accord avec elle. Les discussions se poursuivent depuis novembre sous l'égide des services du Premier ministre, sans que nous soyons parvenus à trouver un terrain d'entente à ce jour. J'ai à nouveau évoqué ce sujet, hier, avec la commissaire européenne chargée de la stratégie numérique. Le désaccord porte sur la définition de l'Internet, Mme Neelie Kroes prétendant qu'il existerait un Internet « en soi », la France faisant valoir qu'il n'existe pas d'Internet sans contenus et que ce sont précisément les contenus culturels qui sont majoritairement consommés. Pour déterminer l'assiette taxable, on pourrait s'appuyer sur la notion de « densité audiovisuelle », prenant ainsi en compte la consommation effective d'oeuvres culturelles, mais il est très difficile d'estimer avec précision la part de consommation culturelle sans faire intrusion dans la vie privée des internautes. Nous espérons une issue heureuse rapide – nous avons fait des concessions à cette fin, en proposant que la nouvelle assiette ne soit instaurée qu'à titre temporaire et que l'ARCEP soit consultée sur sa définition – mais nous n'en savons pas davantage.
Les conclusions de la mission Lescure, qui traite de l'ensemble des mécanismes dont nous débattons, sont attendues fin avril. Nous avons aussi pris connaissance du rapport que MM. Pierre Collin et Nicolas Colin viennent de consacrer à la fiscalité du numérique et qui fait actuellement l'objet de consultations. Deux des pistes évoquées par ses auteurs me semblent particulièrement intéressantes. La première est la valorisation de l'apport de données par les internautes qui participent, ce faisant, à la création de richesses au bénéfice des sites agrégateurs de contenus. La seconde consiste en la définition d'établissements virtuels stables, pour trouver une base fiscale permettant d'imposer les entreprises réalisant leur chiffre d'affaires par la voie électronique, sans présence physique sur notre territoire ou avec une présence réduite à des emplois à faible valeur ajoutée. Pour l'heure, les entreprises françaises sont victimes de la concurrence fiscale déloyale de certains grands acteurs du commerce dématérialisé. Nous devons trouver les outils adéquats pour préserver la viabilité des entreprises qui produisent des contenus culturels, développent des savoir-faire et sont, en outre, créatrices d'emplois à forte valeur ajoutée. Je pense notamment aux librairies, en faveur desquelles j'ai annoncé plusieurs mesures à l'occasion du Salon du livre.
Toute la chaîne du livre – auteurs, éditeurs, diffuseurs, libraires – fait preuve d'une grande solidarité pour trouver un système de financement des librairies. Nous travaillons à la création d'un fonds permettant d'aider à promouvoir les sites de ventes en ligne coopératifs gérés par les libraires indépendants. Les sites de ce type qui existent déjà ne disposent pas des mêmes ressources de marketing que les grands acteurs du secteur.
Enfin, un accord-cadre historique relatif au contrat d'édition à l'ère du numérique a été signé, le 21 mars, au ministère de la culture. Cet accord entre auteurs et éditeurs révise les dispositions de la loi de 1957 pour inclure la version numérique dans le contrat d'édition. Il offre aux auteurs des garanties en matière de continuité de l'exploitation de leurs oeuvres et de droit de sortie éventuelle en cas de non-exploitation. En contrepartie, pour les éditeurs, le nouveau contrat d'édition comprend la version papier et la version numérique du livre, ce qui favorise une meilleure exposition des auteurs qu'ils ont pris le risque de publier. Cet accord devra trouver une transposition législative ; ce sera pour nous l'occasion de poursuivre ces échanges, prochainement je l'espère.