Audition de Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication 2
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mardi 26 mars 2013
Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission des affaires européennes,
La séance est ouverte à 16 h 40
Audition de Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication
Madame la ministre, nous avons le plaisir de vous accueillir pour la première fois au sein de notre commission pour évoquer avec vous l'actualité et la dimension européenne des politiques menées dans le secteur du livre, de l'audiovisuel et du cinéma.
Nous connaissons votre engagement et votre implication personnelle dans le secteur culturel. Écrivaine au talent reconnu et présidente du festival international du film documentaire pendant sept ans, les préoccupations littéraires et audiovisuelles sont au coeur de votre réflexion.
Dès votre prise de fonction, vous avez clairement manifesté votre attachement à la défense de la diversité culturelle, à la promotion du livre, à la sauvegarde d'une industrie cinématographique et audiovisuelle de qualité et au spectacle vivant. Vous avez également montré votre engagement en faveur d'une juste rémunération des auteurs dans un environnement numérique en confiant à M. Pierre Lescure la présidence d'une mission interministérielle sur « l'acte II » de l'exception culturelle dont nous attendons avec impatience les conclusions.
La Commission des affaires européennes est très attachée au développement de l'Europe de la culture et à la préservation de l'exception culturelle, pour défendre un secteur riche en emplois et pour promouvoir une dimension de la construction européenne que nous considérons essentielle au renforcement d'une identité européenne, unie et diverse, susceptible de rassembler dans sa dimension concrète et humaniste.
La semaine dernière, nous avons reçu la commissaire européenne chargée de la culture, Mme Androula Vassiliou, qui nous a fait part des initiatives de l'Union en ce domaine. Le projet de règlement Europe créative et les actions en faveur des capitales européennes de la culture – dont Marseille, à l'honneur cette année – méritent d'être soutenus. En revanche, au-delà de sa position personnelle, Mme Androulla Vassiliou n'a pas complètement dissipé nos inquiétudes sur l'offensive libérale de certains services de la Commission, qui privilégient l'aspect marchand de la culture au détriment de sa valeur symbolique, éducative et émancipatrice.
Notre Commission a chargé nos collègues Marietta Karamanli et Rudy Salles d'élaborer un rapport sur le financement européen du cinéma. Ce travail, qui a déjà fait l'objet d'un rapport d'étape, donnera lieu à une proposition de résolution, une fois connue la position de la DG Concurrence sur le nouveau projet de communication relatif aux aides d'État dans le cinéma.
Pour entrer dans le vif du sujet, je vous poserai quelques questions, en commençant par un sujet d'actualité brûlant : la défense de la diversité culturelle dans le cadre des négociations commerciales. Pour cette raison, vous vous êtes opposée à l'inclusion du secteur audiovisuel dans le mandat de négociation de la Commission européenne à propos du projet d'accord de libre-échange entre l'Union et les États-Unis. Nous avons également noté avec satisfaction que Mme Nicole Bricq, ministre chargée du commerce extérieur, fait de l'exception culturelle une ligne rouge à ne pas franchir dans cette négociation. Pouvez-vous préciser quelles prochaines initiatives vous prendrez pour défendre la diversité culturelle en matière audiovisuelle et cinématographique ? La disparition des quotas obligatoires pour la diffusion d'oeuvres européennes signerait sans doute la mort de notre industrie cinématographique et audiovisuelle alors que l'industrie cinématographique américaine, qui obéit à une logique culturelle très différente de celle de l'Europe, est déjà hégémonique en France, et en bonne santé. Je souhaite que notre commission débatte prochainement d'un projet de résolution sur ces sujets, conjointement avec la Commission des affaires culturelles.
Les programmes Media et Media Plus ont fait l'objet d'un nouveau projet de règlement intitulé Europe créative. Outre qu'il reconduit des programmes de financement du cinéma européen, ce texte introduit une innovation : le financement par le biais de prêts garantis par l'Union européenne des petites et moyennes entreprises du secteur de la création artistique. Quelle est la position de la France sur cette initiative qui paraît positive ?
En ce qui concerne la refonte de la directive sur les services de média audiovisuels, quels sont les enjeux pour notre pays et quel est le calendrier de négociation prévisible?
La protection des droits d'auteur est un autre sujet sensible dont la Commission des affaires européennes pourrait se saisir. Que pensez-vous des initiatives européennes dans ce domaine, et particulièrement du projet de directive sur la gestion collective des droits d'auteur ?
Enfin, plusieurs contentieux opposent la France à la Commission européenne sur les sujets culturels - notamment le taux de TVA sur le livre numérique et la non-validation de la taxe sur les services de télévision due par les distributeurs (TSTD). Comment se présente l'issue de ces contentieux ?
La culture est un enjeu majeur pour l'Union européenne car elle est un levier de citoyenneté et aussi de croissance potentielle. L'Europe doit faire valoir ses atouts – son expérience, la qualité de ses productions et la reconnaissance internationale dont elle jouit – dans ce domaine d'excellence qu'est pour elle la culture. Il est indispensable de continuer à protéger nos modes de production et de diffusion de la culture, tout en les adaptant à l'ère numérique.
La diversité de l'offre culturelle est une question centrale. Afin d'assurer sa pérennité, nous devons préserver les mécanismes de l'exception culturelle qui, je le rappelle, ne concerne pas que la France. Ces dispositifs permettent de continuer à produire des oeuvres qui ne sont pas des marchandises comme les autres.
À l'automne, j'ai mobilisé mes homologues européens afin que les questions culturelles soient mieux prises en compte dans les débats au sein de l'Union. C'est le sens de la lettre que treize ministres de la culture ont adressée en novembre aux commissaires européens. Je persévère dans cette stratégie très active afin de nouer des alliances susceptibles de peser sur les orientations, à la fois trop libérales et souvent ignorantes des spécificités de la culture, de la Commission européenne mais aussi des autres conseils des ministres – le Conseil des ministres de la culture est parfois assez isolé sur certains sujets.
Cette mobilisation porte sur la défense des droits d'auteur – la lettre aux commissaires faisait état de cette préoccupation – et des mécanismes de l'exception culturelle. L'actualité brûlante est aujourd'hui le projet d'accord de libre-échange entre l'Union européenne et les États-Unis.
Le projet de mandat de négociation que la Commission européenne vient d'adopter nous pose problème : pour la première fois depuis vingt ans, elle refuse le principe de l'exception culturelle. Ce choix ne répond pourtant ni à une revendication avérée des États-Unis ni à une nécessité politique ou économique. Cette rupture inquiétante justifie une forte mobilisation.
Le Président de la République a immédiatement exprimé son opposition absolue à l'abandon de l'exception culturelle et demandé l'exclusion complète des services audiovisuels du champ de cette négociation. Seule cette mesure peut assurer la survie et le succès de l'industrie audiovisuelle et cinématographique européenne face au rouleau compresseur américain. Le poids très lourd de l'industrie cinématographique dans le commerce extérieur des États-Unis explique tout l'intérêt qu'ils ont à renforcer leurs exportations en matière de création audiovisuelle.
L'abandon de l'exception culturelle serait d'autant plus dommageable pour la création cinématographique de notre continent qu'en même temps disparaîtraient les quotas obligatoires en matière de diffusion d'oeuvres européennes. Les Européens ont tout à y perdre : si les États-Unis peuvent amortir les coûts de création et de production sur leur marché intérieur et sur le marché international, cela n'est pas possible pour les pays européens, les marchés nationaux étant plus petits et fragmentés. Des mécanismes de protection sont donc nécessaires pour favoriser l'épanouissement du secteur audiovisuel européen. Ce secteur, qui n'est ni assisté ni subventionné mais très rentable et qui s'autofinance, ne peut être régi par les seules règles de la concurrence. La préservation de la diversité culturelle, objet de la convention de l'Unesco de 2005, est un enjeu économique, culturel et d'influence, essentiel pour tous les pays européens qui la promeuvent par leurs aides et leur régulations.
La refonte de la directive sur les services de média audiovisuels, qui régit les quotas de diffusion, est un autre enjeu essentiel. Ces « nouveaux services » sont au coeur de la croissance américaine, grâce à des entreprises multinationales comme Google, Apple, Amazon ou Netflix. Les États-Unis pourraient tenter une percée sur le marché européen en arguant, à l'appui d'une demande de suppression des quotas pour les nouveaux services, qu'ils sont d'une autre nature que les services audiovisuels traditionnels. Une telle distinction remettrait en cause l'équilibre actuel et irait à l'encontre du principe de neutralité technologique en vertu duquel la nature du support ne modifie pas le contenu de l'oeuvre, un principe que la France défend avec constance. Admettre que les règles relatives à l'exception culturelle bénéficient aux seuls modes de diffusion traditionnels serait introduire une concurrence déloyale entre les oeuvres diffusées sur les réseaux et celles qui le sont par les canaux traditionnels. L'exclusion des services audiovisuels de l'accord de libre-échange doit profiter à tous les modes de diffusion, qu'ils soient linéaires ou, comme les services audiovisuels à la demande, non linéaires. Je cherche à rallier mes collègues européens à notre position afin de former un groupe solidaire à ce sujet. J'ai déjà reçu le soutien de mes homologues italien et espagnol ; le ministre allemand de la culture défend à titre personnel une position similaire, qui n'est pas encore celle de son gouvernement.
Autre sujet de préoccupation : le projet de révision de la communication « Cinéma » préparée par le commissaire Joaquín Almunia, projet qui a donné lieu à une réponse commune avec mes homologues allemand, autrichien, hongrois, italien et tchèque. La vive opposition que nous avons exprimée a permis le report du texte et son réexamen par la Commission européenne.
Parce qu'il supprime la condition de territorialisation des dépenses actuellement nécessaire à l'octroi des aides à la production, ce projet menace les systèmes de production européens. En France, cela concerne les subventions allouées par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) et celles des régions, très inquiètes de ce projet. L'efficacité pour la production cinématographique des règles actuelles d'attribution des aides est avérée, et ce soutien n'est pas octroyé à fonds perdus. L'opposition radicale qui s'est exprimée lors du Conseil des ministres de la culture du 26 novembre a été entendue, et la Commission européenne devrait publier un nouveau projet, qui sera examiné fin avril. Nous n'en connaissons pas le détail mais nous espérons des améliorations.
La dimension culturelle de l'Europe doit aussi se traduire dans le budget européen. La part consacrée à la culture était de 1,1 milliard d'euros dans le budget pluriannuel en cours, soit 0,1 % du budget global de l'Union – c'est peu. Alors que Mme Androulla Vassiliou, commissaire européenne à la culture, avait demandé que ce montant soit porté à 1,6 milliard d'euros pour le budget en négociation, il a été question dans un premier temps de 925 millions d'euros seulement ; on parle maintenant de 1,2 milliard d'euros. Les programmes Culture et Media sont indispensables pour les acteurs culturels en France. Notre pays bénéficie d'un excellent taux de retour pour ces programmes – en particulier pour le programme Media, dont 22 % des crédits ont été perçus par des sociétés françaises en 2012, ce qui fait de la France l'un de ses principaux bénéficiaires, et j'avais sollicité une intervention du Premier ministre en faveur du renforcement des moyens européens destinés à la culture.
Nous soutenons sans réserve la mesure instituant des prêts garantis par l'Union européenne pour les PME du secteur de la création artistique. Les représentants de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) ont évoqué cette question avec le Fonds européen d'investissement lors d'une récente mission à Luxembourg. L'IFCIC envisage de faire garantir à terme ses portefeuilles d'avances – à l'image du fonds d'avances aux librairies dont j'ai annoncé la création – ou de contre-garantir ses portefeuilles de garantie, afin de créer un effet de levier supplémentaire pour les ressources dont il dispose. Nous regrettons en revanche de ne pas avoir obtenu que le Fonds européen d'investissement consente des prêts aux industries culturelles.
La proposition de directive visant à moderniser le cadre juridique des sociétés de gestion collective tend à renforcer la transparence et la bonne gouvernance de ces sociétés et à faciliter l'octroi de licences multi-territoriales pour l'utilisation des oeuvres de musique en ligne en définissant des normes européennes qui permettront d'élargir l'offre légale. La France est très favorable à cette proposition de directive dont elle approuve les objectifs ; le texte soulève cependant certaines difficultés qui doivent être résolues.
La proposition prévoit ainsi que les droits apportés aux sociétés de gestion collective le soient de manière fragmentée – par catégorie d'oeuvre, par type de support et par État membre. Cela pose problème pour l'audiovisuel, qui relève souvent de marchés nationaux en raison de la langue de tournage. Les auteurs de l'audiovisuel ont besoin de l'effet de masse que produit l'apport de droits groupés aux sociétés de gestion collective et qui leur permet de négocier au mieux face à des opérateurs puissants et souvent intégrés comme le sont les producteurs-diffuseurs. Les sociétés de gestion collective doivent donc pouvoir délivrer aux diffuseurs des autorisations d'exploitation des oeuvres sur l'ensemble des supports, et notamment sur les services en ligne – vidéo à la demande ou télévision de rattrapage. Cela permet à la fois d'abaisser les coûts de gestion de ces droits, ce qui est favorable aux auteurs, et de répondre à la demande des utilisateurs qui souhaitent disposer d'une offre accessible en tous lieux grâce à des autorisations globales.
Plus généralement, la France réfléchit aux amendements nécessaires pour que les sociétés de gestion collective, qui jouent un rôle social et culturel important, ne se trouvent pas en concurrence défavorable face aux agents ou aux sociétés commerciales qui négocient des licences de droits. Il faut donc soutenir les aspects positifs de la proposition de directive pour ce qui est de la transparence et de la gouvernance mais rester attentifs à ses autres volets, sur lesquels nous proposerons des amendements.
Le droit d'auteur doit être adapté à l'ère du numérique ; ce sujet est abordé dans le courrier adressé à la Commission européenne, à mon initiative, par treize ministres de la culture. En effet, la plus grande vigilance s'impose face à certains géants qui dominent le secteur numérique, manifestement déterminés à s'affranchir de toute obligation vis-à-vis des auteurs et des auteurs-interprètes. Je rappelle l'attachement de la France au principe de la rémunération pour copie privée, dispositif utile et bien conçu. Mais l'attachement au principe n'interdit pas une réflexion sur l'adaptation de l'outil à son temps. Le terme même de « copie » paraît aujourd'hui dépassé ; c'est plutôt de l'accès à l'oeuvre elle-même qu'il est désormais question.
La France défend également l'extension à soixante-dix ans de la durée des droits voisins en matière musicale.
J'en viens aux contentieux en cours. Vous le savez, la France fait l'objet d'un recours en manquement en raison de l'application d'un taux réduit de TVA aux livres numériques. Je rappelle que nous soutenons le principe de la neutralité fiscale : les livres, quel qu'en soit le support, doivent être considérés comme des biens de première nécessité et bénéficier à ce titre d'un taux réduit de TVA, qui sera de 5 % à partir de janvier 2014. Qu'ils soient vendus sous forme papier ou sous forme numérique n'en modifie pas le contenu. Nous poursuivons les démarches à ce sujet auprès de la Commission européenne, qui a par ailleurs engagé une consultation sur les taux de TVA ; je lui ai transmis en janvier les éléments qui fondent la position française. La procédure demeure néanmoins pendante.
La résolution du contentieux relatif à la taxe sur les services de télévision « distributeurs » (TSTD), qui nous coûte actuellement entre onze et douze millions d'euros par mois, est crucial pour le financement du CNC. Je rappelle que pour éviter le contournement de la taxe par certains, un texte définissant une nouvelle assiette avait été adopté à l'unanimité, fin 2011. La Commission européenne l'ayant contestée, nous avons choisi d'en définir une autre en accord avec elle. Les discussions se poursuivent depuis novembre sous l'égide des services du Premier ministre, sans que nous soyons parvenus à trouver un terrain d'entente à ce jour. J'ai à nouveau évoqué ce sujet, hier, avec la commissaire européenne chargée de la stratégie numérique. Le désaccord porte sur la définition de l'Internet, Mme Neelie Kroes prétendant qu'il existerait un Internet « en soi », la France faisant valoir qu'il n'existe pas d'Internet sans contenus et que ce sont précisément les contenus culturels qui sont majoritairement consommés. Pour déterminer l'assiette taxable, on pourrait s'appuyer sur la notion de « densité audiovisuelle », prenant ainsi en compte la consommation effective d'oeuvres culturelles, mais il est très difficile d'estimer avec précision la part de consommation culturelle sans faire intrusion dans la vie privée des internautes. Nous espérons une issue heureuse rapide – nous avons fait des concessions à cette fin, en proposant que la nouvelle assiette ne soit instaurée qu'à titre temporaire et que l'ARCEP soit consultée sur sa définition – mais nous n'en savons pas davantage.
Les conclusions de la mission Lescure, qui traite de l'ensemble des mécanismes dont nous débattons, sont attendues fin avril. Nous avons aussi pris connaissance du rapport que MM. Pierre Collin et Nicolas Colin viennent de consacrer à la fiscalité du numérique et qui fait actuellement l'objet de consultations. Deux des pistes évoquées par ses auteurs me semblent particulièrement intéressantes. La première est la valorisation de l'apport de données par les internautes qui participent, ce faisant, à la création de richesses au bénéfice des sites agrégateurs de contenus. La seconde consiste en la définition d'établissements virtuels stables, pour trouver une base fiscale permettant d'imposer les entreprises réalisant leur chiffre d'affaires par la voie électronique, sans présence physique sur notre territoire ou avec une présence réduite à des emplois à faible valeur ajoutée. Pour l'heure, les entreprises françaises sont victimes de la concurrence fiscale déloyale de certains grands acteurs du commerce dématérialisé. Nous devons trouver les outils adéquats pour préserver la viabilité des entreprises qui produisent des contenus culturels, développent des savoir-faire et sont, en outre, créatrices d'emplois à forte valeur ajoutée. Je pense notamment aux librairies, en faveur desquelles j'ai annoncé plusieurs mesures à l'occasion du Salon du livre.
Toute la chaîne du livre – auteurs, éditeurs, diffuseurs, libraires – fait preuve d'une grande solidarité pour trouver un système de financement des librairies. Nous travaillons à la création d'un fonds permettant d'aider à promouvoir les sites de ventes en ligne coopératifs gérés par les libraires indépendants. Les sites de ce type qui existent déjà ne disposent pas des mêmes ressources de marketing que les grands acteurs du secteur.
Enfin, un accord-cadre historique relatif au contrat d'édition à l'ère du numérique a été signé, le 21 mars, au ministère de la culture. Cet accord entre auteurs et éditeurs révise les dispositions de la loi de 1957 pour inclure la version numérique dans le contrat d'édition. Il offre aux auteurs des garanties en matière de continuité de l'exploitation de leurs oeuvres et de droit de sortie éventuelle en cas de non-exploitation. En contrepartie, pour les éditeurs, le nouveau contrat d'édition comprend la version papier et la version numérique du livre, ce qui favorise une meilleure exposition des auteurs qu'ils ont pris le risque de publier. Cet accord devra trouver une transposition législative ; ce sera pour nous l'occasion de poursuivre ces échanges, prochainement je l'espère.
Mon collègue Rudy Salles et moi-même travaillons depuis plusieurs mois à un rapport sur le financement du cinéma européen, et je pense pouvoir dire en nos deux noms que nous partageons vos craintes à ce sujet. La négociation de l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et les États-Unis nous préoccupe particulièrement, car l'enjeu en est à la fois politique, culturel et économique. Dans ce cadre, ce qui est en cause, c'est l'appréhension minimaliste de la culture par la Commission européenne, où l'on prend comme seules références les économies d'échelle que permettrait l'harmonisation des marchés nationaux et où l'on n'envisage la politique de concurrence que comme l'absence d'aides des États membres aux productions. Cette conception de la culture est alarmante. Notre entretien avec le commissaire européen chargé de la concurrence nous a d'ailleurs laissés pantois, tant était flagrante le manque d'une vision de la culture, et donc de l'identité, européenne. Les États-Unis ont une puissante industrie de l'imaginaire ; ce secteur est aussi leur deuxième poste d'exportation et ils font donc tout pour le défendre. Vous avez, madame la ministre, choisi une stratégie active : quel mandat la France fixera-t-elle à la Commission européenne pour défendre l'exception culturelle française et européenne ? Quelles nouvelles initiatives comptez-vous prendre ? Nous ne serons pas moins offensifs et, dans la perspective du rapport de la Commission européenne sur le financement du cinéma attendu début juin, nous avons prévu l'organisation d'une table ronde à ce sujet avec d'autres parlements.
Nous avons effectivement mesuré, tous deux, à Bruxelles, que la DG Concurrence se soucie de la notion d'«exception culturelle » comme d'une guigne ; la manière dont nous avons été reçus était d'ailleurs à la limite de l'incorrection. Nous attendons tous une réponse de la Commission européenne au sujet de la TSTD et une autre question nous inquiète : la possible remise en cause de la chronologie des médias ; nous devrons nous battre pour la préserver. Nos interlocuteurs ont beau avoir mentionné devant nous, à titre d'exemple, la « célébrité » d'un film grec prétendument acquise par un lancement sur l'Internet précédant un considérable succès en salles, cette renommée est restée confidentielle. Enfin, on n'insistera jamais assez sur le fait que si le cinéma français est le seul qui continue de s'en sortir en Europe, et s'il porte le cinéma européen grâce à des coproductions, c'est en raison d'un mécanisme de financement exemplaire qui, assis sur les recettes, permet que les productions étrangères, notamment américaines, participent au financement des productions françaises et européennes. Nous devons préserver ce dispositif.
Je vous félicite, madame la ministre, pour votre action en faveur du livre. Sans même parler de la réduction à 5 % du taux de TVA sur les livres, la prochaine nomination d'un médiateur du livre, l'instauration d'un fonds d'avance de trésorerie réservé aux libraires et le renforcement de l'aide à la transmission des librairies sont autant de mesures destinées à protéger un secteur fragilisé. Il est en effet primordial de favoriser la permanence des librairies, premiers vecteurs de la culture, dans les petites villes.
Vous avez mobilisé vos homologues afin d'élaborer une réponse concertée à la menace à l'exception culturelle que font planer les négociations d'un accord de libre-échange entre l'Union européenne et les États-Unis. Mme Androulla Vassiliou, commissaire européenne chargée de la culture, nous a elle-même dit souhaiter que le secteur culturel ne figure pas dans le mandat de négociation confié au commissaire européen au commerce. Sachant que ce secteur représente plus de 4 % du PIB de l'Union et emploie quelque 8 millions d'Européens, nous espérons tous, instamment, qu'il en soit bien ainsi.
Enfin, le président de la République s'était engagé à ce que la France ratifie la charte européenne des langues régionales ou minoritaires ; où en est-on ?
Madame la ministre, comment, selon vous, l'Europe s'incarne-t-elle sur le plan culturel ? Ne devez-vous pas, es qualités, prendre des initiatives à ce sujet ? La culture, levier de citoyenneté et de croissance, ne peut avoir pour seules expressions les questions techniques ou les sempiternelles arguties à propos du taux de TVA réduit, sujets de prédilection de la bureaucratie bruxelloise.
Un mode de financement ancien et sophistiqué a permis aux productions cinématographiques françaises d'être de celles qui comptent dans le monde, et à notre cinéma d'être l'un des premiers en Europe. Outre que le plus grand festival international de cinéma se tient à Cannes, nous sommes les premiers, sur le continent, à avoir numérisé la quasi-totalité de nos salles de projection. Nous attendons la décision de la Commission européenne à propos de la TSTD, et vous trouverez l'opposition à vos côtés pour défendre ce dispositif. Dans le même temps, la filière s'inquiète de l'augmentation prévue du taux de TVA applicable à la billetterie. La fréquentation des salles, qui a assez fortement baissé en 2012, continue de décliner en ce premier trimestre 2013. Le cinéma étant le seul loisir culturel immédiatement accessible, est-il vraiment judicieux de porter à 10 % le taux de TVA au 1er janvier 2014, après l'avoir déjà fait passer de 5,5 % à 7 % ?
Je prends la parole en ma qualité de contre-rapporteure, au Parlement européen, du projet de directive relative aux sociétés de gestion collective. Si les amendements de la rapporteure, Mme Marielle Gallo, ne sont pas encore connus, il semble que nous pourrons avancer ensemble de manière constructive – mais il restera à connaître l'avis de la Commission européenne. On distinguerait d'une part sociétés de gestion collective des droits relatifs à la musique et sociétés de gestion collective des droits relatifs à l'audiovisuel ; on définirait d'autre part un statut particulier pour les sociétés coopératives ; on supprimerait enfin la référence à la directive « Services » comme base légale du texte. Le problème demeure des sociétés commerciales négociant des licences de droits demeure : soit on les exclut du champ de la directive, soit on leur octroie un statut particulier. J'aimerais connaître la position du Gouvernement afin que nous coordonnions nos efforts.
Par ailleurs, j'ai du mal à comprendre comment fonctionnera le dispositif des licences multi-territoriales. Si tout repose sur les sociétés de gestion collective, appelées à agir volontairement en représentant des répertoires agrégés pour l'ensemble de l'Union européenne, il faudra les protéger de la concurrence.
Pour ce qui est de la rémunération de la copie privée, le rapport Vitorino fait s'interroger sur la pérennité du mode de financement actuel. Ayant demandé que le Parlement européen se prononce sur ce point, je serai vraisemblablement nommée rapporteure à ce sujet, mais c'est un cadeau empoisonné ; je suis courageuse mais pas kamikaze, et je sais que la France, dont je porterai la position, sera prise en tenaille entre l'industrie du matériel numérique et les consommateurs. Je partage votre opinion, madame la ministre : il ne faut pas s'arc-bouter sur le terme de copie privée mais élargir la perspective aux nouveaux modes d'utilisation de l'oeuvre. La date de remise de notre rapport n'est pas encore fixée, mais les recommandations contenues dans le rapport Vitorino devant être examiné lors du Conseil de mai, je crains que le délai qui nous sera imparti ne soit très bref. J'aurais pourtant aimé que le Parlement européen puisse débattre de cette question sans a priori. Quoi qu'il en soit, une collaboration très étroite s'impose entre nous et les services du ministère.
Nous avons déjà auditionné M. António Vitorino ; nous reprendrons langue avec lui. Je note que M. Michel Piron, se retrouvant dans les questions posées, renonce à prendre la parole. Madame la ministre, nous écoutons vos réponses.
Je partage sans réserve l'analyse de Mme Karamanli. Il nous faut toujours rappeler que la culture n'est pas une marchandise comme une autre, et aussi que « culture » ne signifie pas seulement « subventions ». Nombreux sont ceux qui ne considèrent la culture que comme une dépense, une activité ne servant qu'à ceux qui la pratiquent. Ce faisant, ils ignorent l'apport des secteurs culturels à l'économie. Et pourtant ! Si les collectivités locales s'attachent à mettre en oeuvre une politique culturelle, c'est qu'elle renforce l'attrait des territoires et se traduit par des retombées économiques et des emplois. Nous devons convaincre que l'Europe a besoin d'un projet politique et que sa cohésion sociale passe par la culture, elle-même facteur de relance économique. Je compte donc sur vous tous pour mobiliser vos collègues du Parlement européen. La France est souvent considérée avec méfiance quand elle aborde ces questions, comme si l'exception culturelle la concernait seule. C'est inexact, bien sûr, et d'autres États, dont la Belgique et l'Italie, ont également mis au point des mécanismes de financement de la création. Notre pays porte depuis longtemps ce concept, mais il bénéficie à tous. Comme l'a justement observé M. Rudy Salles, la France est de tous les États celui a passé des accords de co-production cinématographique avec le plus grand nombre d'autres pays – 52. Notre conception de l'exception culturelle est loin d'être uniquement centrée sur les intérêts français.
J'ai éprouvé, lors de ma visite à la DG Concurrence, la même surprise que vous. Il est stupéfiant de constater à quel point notre approche de la culture intéresse peu. On ressent même un rejet, qu'explique une certaine vision économique dont je réfute la pertinence. C'est même se tirer une balle dans le pied, puisque l'Europe a des atouts économiques à faire valoir en matière culturelle. Cette position est extrêmement dommageable pour l'Union.
Le principe de la chronologie des médias doit être maintenu, mais des évolutions peuvent être proposées ; ainsi, le délai obligatoire de 36 mois avant que l'on puisse avoir accès à une vidéo à la demande par abonnement semble un peu long. Sans doute le rapport Lescure contiendra-t-il des recommandations à ce sujet.
Je suis, monsieur Dumas, favorable à la ratification de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Cependant, le Conseil d'État a exprimé un avis défavorable sur notre proposition de rédaction, estimant que le texte poserait un problème de cohérence avec la décision rendue par le Conseil constitutionnel en 1999. Pour que la ratification soit possible, il faudrait modifier l'article 2 de la Constitution. Cela suppose une majorité des trois cinquièmes que nous ne sommes pas sûrs de rassembler, même si les alliances à ce sujet ne sont pas les mêmes que celles qui se forment pour d'autres questions. Cela ne signifie pas que nous abandonnions toute ambition en cette matière, et c'est pourquoi j'ai installé, le 7 mars, le Comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne. Il est chargé de me faire des propositions permettant d'appliquer, sans attendre une révision constitutionnelle, les 39 engagements – sur 98 – destinés à valoriser les langues régionales ou minoritaires qui avaient été retenus par le gouvernement Jospin lorsqu'il a signé la charte, en 1999, et qui ont été à l'époque déclarés compatibles avec la Constitution. Cela permettrait des progrès notables.
Monsieur Herbillon, la culture s'incarne bien en Europe en matière cinématographique - on l'a vu avec Amour, le film de Michael Haneke, présenté alternativement comme un film autrichien ou comme un film français. Les coproductions forgent une identité européenne, comme le font les capitales européennes de la culture – et je me félicite du bon démarrage de Marseille Provence 2013, dont le lancement a eu lieu en présence de M. Manuel Barroso. Dans le cadre de l'éducation artistique et culturelle, il faut donner aux enfants une liste de films européens ; j'ai évoqué la question avec Wim Wenders. En matière de spectacle vivant, outre le festival franco-allemand Transfabrik, le nombre de coproductions augmente – ainsi, à Rennes, le projet Prospero associe six compagnies théâtrales européennes.
J'ajoute enfin que je me m'étais opposée au changement d'appellation du programme Erasmus au bénéfice de YES EUROPE alors même que le nom d'Erasme a un sens pour tous et que l'Europe pâtit du manque d'incarnation par de grandes figures.
J'ai toujours jugé incohérent que les billets d'entrée au cinéma n'aient pas été inclus dans le périmètre d'application de la TVA à taux réduit pour les produits culturels. Un groupe de travail a été constitué à ce sujet et, sans vouloir empiéter sur les prérogatives du Parlement, je pense pouvoir vous rassurer : j'ai bon espoir que le taux de TVA sera de 5 % à partir du 1er janvier 2014 – moindre, donc, que ce qu'il était et que ce qu'il est maintenant.
Je vous remercie, madame Castex, pour les informations que vous nous avez données sur l'évolution du dossier de la gestion collective des droits, et singulièrement sur la distinction qui pourrait être faite entre l'audiovisuel et la musique, sujet qui cristallisait les crispations de certaines sociétés de gestion. Il restera en effet à régler la question, complexe, du statut des opérateurs commerciaux, car les sociétés de gestion collective ne peuvent être affrontées à une concurrence qui leur serait trop défavorable. Ces sujets d'inquiétude peuvent être levés et nous continuerons d'y travailler ensemble. Le rapport Vitorino est plus préoccupant. Nous devons trouver une solution permettant de perpétuer le mécanisme de rémunération de la copie privée et, même si le dispositif évolue, l'évolution ne peut être brutale, sous peine de déstabiliser tout un secteur.
Nous poursuivrons donc notre réflexion sur le préjudice subi par les auteurs et sur le mécanisme de contractualisation, dont on sait que la nature juridique diffère selon les pays. Le rapport Lescure donnera sans doute des pistes d'évolution.
Enfin, il va sans dire qu'une proposition de résolution sur la défense de la diversité culturelle portée conjointement par votre commission et par la commission des affaires culturelles nous serait d'une aide précieuse.
Plutôt que de lutter à coups d'arguments économiques avec des commissaires européens dont la sensibilité à la culture est inégale, ne gagnerions-nous pas à parler, de manière apparemment paradoxale, d'« exception culturelle universelle » ?
Voilà qui sera le mot de la fin… Madame la ministre, nous vous remercions vivement de cet échange extrêmement intéressant, qu'il faudra poursuivre.
La séance est levée à 17 h 35