Je vous remercie pour votre accueil, Madame la Présidente, et pour les questions que vous avez bien voulu me poser. C'est toujours très important pour moi de venir devant votre commission pour rendre compte des conditions dans lesquelles l'Europe se construit, ou ne se construit pas. C'est un moment d'échange essentiel, et toujours de qualité, avec des parlementaires qui sont très investis dans ces sujets techniques.
Par souci d'efficacité, je m'emploierai à répondre à trois questions, ce qui devrait permettre de traiter la plupart des sujets qui vous préoccupent. Je reviendrai notamment, Madame la Présidente, sur la crise de la Grèce.
Première question : que voulions-nous obtenir de ce Conseil européen ?
Nous avions des objectifs que ne partageaient pas nécessairement les autres États : promouvoir une meilleure vision de l'Europe, favoriser une meilleure cohésion et défendre l'intérêt général de l'Union européenne (UE) – au moment où elle est confrontée à une crise extrêmement profonde – par-delà l'intérêt de chacun des États qui la compose. Il importe, certes, que chaque pays défende ses propres intérêts, et c'est ce que nous faisons, mais si nous réduisons nos discussions à ces marchandages, la question se pose de la nature de l'intérêt de l'Europe. Nous avons quant à nous toujours considéré qu'il fallait faire prévaloir ce dernier et créer les conditions pour qu'il ne soit pas « orthogonal » aux intérêts de chaque État. Nous avions bien conscience que cette négociation se déroulerait dans un cadre extraordinairement difficile et tendu puisque certains pays avaient manifesté de façon parfois abrupte leur volonté de ne se préoccuper que de leur seul intérêt, au point de réduire la discussion à un débat stérile et sans issue sur les coupes et les rabais : comment diminue-t-on le budget de l'UE et comment garantit-on que ce qui demeure servira à financer des chèques dont on bénéficiera ?
Lors du Conseil européen du mois de juin dernier, nous avons également porté une ambition de croissance avec le plan de 120 milliards dont j'ai eu l'occasion de vous dire à lors du débat concernant le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) qu'il ne constituait pas un solde de tout compte. Nous sommes dès lors légitimes à vouloir prolonger ce Pacte pour la croissance et l'emploi par un certain nombre d'initiatives et de rendez-vous avec les pays de l'Union. Précisément, le budget de l'UE pour 2014-2020 constitue à notre sens un autre instrument de croissance. Par souci de cohérence et de continuité, il n'est pas possible de vouloir 120 milliards pour la croissance au mois de juin et de demander une coupe de 200 milliards au mois de novembre. Tout doit être fait pour que, par-delà le rétablissement des comptes publics – auquel nous tenons – des initiatives soient prises en ce sens. Le budget européen, je le répète, doit être celui de la croissance.
En même temps, nous sommes soucieux de faire en sorte que notre contribution à ce budget ne nous éloigne pas des objectifs de résorption des déficits que nous nous sommes assignés et qui, d'ailleurs, nous engagent devant les institutions européennes au titre du « Semestre européen ». Entre la responsabilité dont il faut faire preuve quant au rétablissement des comptes et la volonté frénétique de réaliser des coupes, il y a de la place pour une démarche européenne responsable. C'est pourquoi nous n'avons pas demandé de coupes supplémentaires pendant la discussion par rapport à celles qui avaient été proposées par Herman Van Rompuy lorsqu'il nous a présenté sa copie. J'insiste : nous n'avons pas souhaité que la discussion commence par : « Faisons 30 ou 100 milliards de coupes supplémentaires ! ».
En outre, toutes les politiques européennes, selon nous, concourent à la croissance. Avec un budget d'environ 1 000 milliards pour sept années, nous devons faire en sorte que les différentes rubriques budgétaires soient suffisamment équilibrées pour que les politiques de l'UE, qui contribuent donc à créer de la croissance, soient encouragées. En effet, pour nous, il n'y a pas d'un côté les politiques de la rubrique 1A – accompagnement du transfert technologique, financement de la recherche et développement (R&D), programme « Connecting Europe », programme COSME de 2,5 milliards pour la compétitivité des PME et des PMI qui ont besoin de se développer et d'accéder aux moyens financiers de l'innovation – et, de l'autre, les vieilles politiques ringardes de la PAC et de la cohésion qui ne créeraient pas de croissance. Parce que toutes les politiques font de la croissance, leurs budgets doivent être intelligemment équilibrés. Nous ne nions pas l'intérêt absolu, dans la perspective de la stratégie « Europe 2020 », de mettre l'accent sur les crédits de la rubrique 1A. Nous ne nous inquiétons pas que le budget de « Connecting Europe » passe de 8 à 40 milliards, ce qui représente une augmentation de 400 %, mais nous nous inquiétons en revanche de ce qu'il progresse à ce point quand d'autres budgets qui réalisent de la croissance diminuent. Le budget consacré à l'innovation et à la recherche s'élevait à 90 milliards dans la précédente mouture budgétaire. Une augmentation très significative a été proposée pour le porter à 170 milliards et la Commission européenne a finalement placé le curseur autour de 140 milliards, ce qui représente une augmentation de 55 %. Nous en sommes satisfaits mais nous souhaitons un rééquilibrage entre les augmentations que je viens d'évoquer, qui concernent la seule rubrique 1A, et les autres politiques. Je rappelle que les crédits des fonds de cohésion diminuent de 5 % à 6 % et que le budget de la PAC est amputé de 25 milliards alors que les enjeux sont importants : dynamique agro-alimentaire, verdissement, organisation progressive de la convergence des aides entre les différents pays et les formes d'exploitation, possibilité de faire en sorte que nous puissions garantir l'autonomie alimentaire de l'Europe ; les fonds de cohésions, quant à eux, ont contribué dans bien des pays, notamment du sud et de l'est, à créer une forte croissance en termes d'équipements et d'infrastructures.
Enfin, nous considérons qu'une refonte du système de ressources dont dispose l'UE est nécessaire, l'Europe devant se doter de ressources propres – peut-être celles qui, demain, seront issues de la taxe sur les transactions financières (TTF).
Le dispositif de rabais doit être intégralement remis à plat. Ceux qui nous demandent de réaliser des coupes dans le budget de l'UE nous demandent en même temps des chèques et, parfois, davantage d'Europe… Allez comprendre ! La Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Autriche, la Suède et les Pays-Bas sont les cinq pays bénéficiaires de chèques. Avec deux milliards chaque année, dont un milliard pour les Britanniques, la France est quant à elle l'un des principaux contributeurs à de tels rabais. Afin que le budget de l'UE fonctionne mieux, il faut mettre en place un dispositif plus transparent, plus équitable et plus lisible. Il doit y avoir une place pour les ressources propres et pour une démarche spécifique, adaptée à la crise, qui consiste à faire en sorte qu'il y ait plus de dépenses pour la croissance et moins de chèques pour soi-même. J'ai eu l'occasion de dire lors du Conseil Affaires générales qu'il était bien de nous demander des coupes et des rabais et de préconiser le « better spending » mais dans « better spending », il y a « spending », faute de quoi il n'est plus possible d'agir. En même temps, il n'est pas question d'une dépense inconsidérée, illimitée, irrationnelle. Nous voulons nous montrer rigoureux budgétairement et créer de la croissance, ce qui n'est pas compatible avec le système de ressources tel qu'il existe.
Deuxième question : qu'avons-nous obtenu ?
Tout d'abord, comme le disait le Président Giscard d'Estaing, la « décrispation ». Certains sont en effet arrivés crispés, attachés à obtenir chèques et rabais, menaçant de ne laisser avancer aucun dossier tant que cela ne serait pas garanti. Des discussions laissaient entrevoir que rien n'évoluerait. La stratégie française a consisté à se placer au centre, au barycentre de cette négociation, là où le compromis était envisageable et possible. Il s'agissait donc d'être raisonnables sur un plan budgétaire, résolument européens, de faire en sorte que les politiques s'équilibrent entre elles et que le dispositif de ressources propres qui conduit nombre de pays pauvres à offrir des chèques à nombre de pays riches puisse être corrigé.
Par la discussion, par notre positionnement central, par l'effet des réunions bilatérales, par les efforts réalisés par le gouvernement allemand - qui a lui aussi joué un rôle extrêmement utile -, nous avons obtenu une décrispation, la création d'équilibres nouveaux, l'amorce d'un mouvement dans l'intérêt général de l'Europe et de la France. En effet, nous avons fait en sorte que l'on parle des politiques que l'Europe doit financer et pas seulement des rabais et des chèques. La position de certains pays s'est ainsi assouplie s'agissant du niveau des coupes, ce qui nous a permis de commencer à discuter du financement des politiques opportunes pour l'Union.
Nous avons également réussi à faire entendre l'idée selon laquelle toutes les politiques sont créatrices de croissance, ce qui implique équilibre et lisibilité, donc, que les politiques comme la PAC et en faveur de la cohésion, dont les crédits avaient été amputés par la Commission et plus encore par le Président du Conseil, soient à nouveau dotées. Le niveau de la PAC a ainsi été rehaussé de 8 milliards. Nous avons besoin de franchir un pas supplémentaire que je ne chiffrerai pas précisément ici pour ne pas abattre nos cartes – mais nous souhaitons une nouvelle augmentation.
Il en est de même s'agissant de la politique de cohésion. Il importe, en effet, que nos régions ultrapériphériques et en transition, qui ont besoin d'investir, puissent bénéficier de moyens pour le faire. Un rééquilibrage s'impose donc entre les rubriques pour que les fonds alloués à la politique de cohésion permettent d'atteindre ce but. Il faut également faire en sorte que des régions dont le PIB a évolué de façon comparable à celui d'autres régions puissent bénéficier d'enveloppes comparables. On ne peut pas vouloir la convergence pour la PAC et la refuser pour la politique de cohésion en cherchant à amortir l'effet de la progression du PIB pour certaines régions à travers de multiples filets de sécurité.
Il nous reste à mener la bataille des ressources propres, et nous la mènerons jusqu'au bout. Nous voulons en effet un budget doté de ressources propres, dynamique, permettant à l'UE, demain, de conduire des politiques ambitieuses. Nous n'entendons pas que notre contribution aux rabais des autres puisse augmenter sans limites. Elle doit pouvoir être plafonnée, encadrée, et nous demanderons qu'il en soit ainsi. Cela ne signifie pas que nous l'obtiendrons mais que nous entendons l'obtenir. Là encore, nous mènerons la bataille.
Troisième question, enfin : que reste-t-il à obtenir ? Les marches supplémentaires à franchir pour la PAC et la politique de cohésion, la remise à plat du dispositif de ressources propres et l'actualisation de la vision pour l'Europe portée par ce projet de budget. Il serait bien qu'au terme du Conseil européen du premier trimestre 2013, nous bénéficiions d'un budget reposant sur des équilibres fondés sur l'intérêt général de l'Europe et que nous puissions profiler une vision partagée de l'Europe.
Je suis à votre disposition si vous souhaitez que l'on entre dans les détails techniques. Si vous nourrissez une passion particulière pour le filet de sécurité inversé, le capping, la réforme de la TVA alimentant le budget de l'UE, la concentration thématique, qui concerne l'évolution des fonds de cohésion - sujets auxquels personne ne comprend rien ! -, je suis à votre disposition pour les évoquer dans le détail parce qu'ils sont intéressants et ont des implications importantes.
S'agissant de la Grèce, des progrès ont été accomplis. Nous devions en effet prendre une décision visant à débloquer une aide dont le principe avait été adopté mais qui devait être allouée par tranches. En l'occurrence, la Grèce attend une aide complémentaire de 43,7 milliards, dont 34,4 milliards seront versés dès le mois de décembre pour recapitaliser le secteur bancaire, aux termes de l'accord de l'Eurogroupe du 27 novembre. Des décisions devaient également être prises quant aux objectifs que ce pays devait atteindre en termes d'évolution de son déficit et de sa dette. Un débat a eu lieu entre le FMI et les institutions européennes pour savoir s'il convenait d'allonger la durée de mise en conformité de la Grèce avec les objectifs qu'elle devait atteindre compte tenu des aides dont elle a bénéficié, ou si l'UE consentait un effort en allégeant sa dette de manière à ce que la Grèce puisse atteindre ces objectifs en respectant le calendrier qui lui avait été fixé. Comme toujours, la situation est un peu crispée puis l'on finit par trouver un compromis, moins tôt que nous l'aurions souhaité et moins tard que certains auraient pu l'espérer.
Plus précisément, la Grèce devait avoir un objectif de dette publique de 120 % du PIB en 2020 et nous l'avons porté à 124 %. En contrepartie, en 2022, il devra être de 110 %, soit, à un niveau moindre qu'il aurait dû être si le calendrier avait été respecté. En outre, nous repoussons de 2014 à 2016 le respect d'un objectif de déficit budgétaire de 3 % du PIB. Enfin, des dispositions ont été prises par l'Eurogroupe et le FMI afin de permettre à cette politique d'être déployée dans de bonnes conditions en allégeant le fardeau pesant sur la Grèce dès lors qu'elle aura pris des décisions garantissant la continuité de ses efforts. Nous réduisons ainsi de 100 points de base le taux d'intérêt des prêts qui lui sont fournis dans le cadre du second programme d'assistance dont elle a bénéficié. Nous rallongeons de 15 ans les maturités des prêts octroyés, le paiement des intérêts étant quant à lui repoussé de dix ans. Les profits réalisés par les banques centrales de la zone euro, dont la BCE, sur les achats de dette grecque seront quant à eux reversés à la Grèce sur un compte séquestre. La combinaison de l'ensemble de ces mesures acté lors de la réunion de l'Eurogroupe, cette nuit, permet de bénéficier d'un accord solide qui nous donne une réelle visibilité sur un horizon assez lointain. Je suis convaincu qu'il permettra à la Grèce de sortir de ses difficultés. Cet accord n'était pas simple à réaliser, même si nous aurions pu espérer qu'il serait survenu plus tôt. Quoi qu'il en soit, il contribue à stabiliser la situation, il donne de la visibilité et doit permettre d'éviter ce dont nous ne voulons pas : la sortie de la Grèce de la zone euro.