Je vous prie de m'excuser car je serai contraint de vous quitter avant dix-huit heures puisque je m'envole pour New York pour participer aux premières négociations sur les objectifs de développement durable (ODD) et sur la révision des OMD.
Je vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer devant une commission au sein de laquelle je suis intervenu lors de la mandature précédente en tant que parlementaire européen pour évoquer notamment les questions de règlementations financières et bancaires.
Je suis extrêmement attaché à l'inscription de notre politique nationale de développement dans le contexte européen, deux tiers de nos dons – il en va différemment des prêts – passant par le FED et donc l'Union européenne. Lors des débats parlementaires, nombre de députés ou de sénateurs considèrent souvent que c'est l'aide bilatérale qui compte mais je ne suis pas de cet avis car il est nécessaire de travailler ensemble, l'Union européenne constituant un gage d'efficacité. A nous de nous montrer influents à Bruxelles plutôt que de dissocier, en la matière, les drapeaux français et européen !
Je me permets de ne pas faire la même lecture que vous du budget européen. Vous avez pris comme référence la proposition de la Commission mais, dans la négociation finale, c'est celle de M. Van Rompuy qui compte et, en ce qui concerne la politique de développement et le FED, elle a été respectée à l'euro près. Le risque existait, cependant, que la politique de développement européenne constitue un peu la variable d'ajustement du budget et que ses 27 milliards servent en partie à compléter tel ou tel budget mais, je le répète, cela n'a pas été le cas et l'on peut s'en féliciter puisque ce budget garantit une stabilité d'intervention en capacités réelles et en volume, dans le contexte donné d'une négociation budgétaire donnée à un moment donné, même s'il peut être remis en cause comme nous l'avons vu avec l'actuel vote du Parlement européen, lequel n'est d'ailleurs pas définitif. En tant que ministre délégué chargé du développement, je suis donc plutôt satisfait des résultats obtenus s'agissant du FED.
La situation au Mali constitue un cas d'école et illustre notre capacité à travailler ensemble, en Européens et en « franco-européens ». Comme j'ai eu l'occasion de le dire en réponse à une question qui m'a été posée dans l'hémicycle, Laurent Fabius et moi-même avons voulu inscrire notre stratégie de développement au Mali et, plus largement, au Sahel, dans le cadre européen. Ainsi avons-nous souhaité que la grande conférence internationale que nous allons organiser à la mi-mai, à Bruxelles, soit coprésidée par la France et par l'Union européenne – par MM. Hollande et Barroso – alors que nous aurions pu faire en sorte qu'elle soit organisée à Paris et présidée par le seul chef de l'État.
Sur le terrain, une division du travail intelligente régit notre action avec nos partenaires européens et l'Union européenne. Ensemble, nous avons dressé une liste de priorités visant à « gagner les six mois », délai qui nous sépare des élections. Il s'agit de trouver une position intermédiaire entre l'humanitaire pur lequel, assurent les ONG, est aujourd'hui relativement sous contrôle, à l'exception de quelques poches à l'extrême nord du Mali, et le développement de grands projets dont les résultats sont effectifs après plusieurs années. Le problème, en l'occurrence, est de savoir comment il est possible de rétablir la distribution d'eau et la fourniture d'électricité à Tombouctou ou de traverser le fleuve Niger qui, à ce jour, ne peut pas l'être sur mille kilomètres, ce qui soulève un certain nombre de difficultés en termes de flux économiques et de possibilité, pour les personnes déplacées, de rentrer chez elles.
Nous nous sommes donc mis d'accord avec l'ensemble de nos partenaires sur cette liste et nous nous sommes partagés le travail à accomplir. Par exemple, la France finance les travaux visant à rétablir l'électricité et l'eau courante à Tombouctou et à Gao tandis que la Commission européenne finance le retour des personnes déplacées et réfugiées ainsi que l'achat de semences permettant de préparer la saison agricole qui, au Mali, commence aux mois d'avril et de mai. J'ai beaucoup plaidé pour une telle approche. Les ONG, avec raison, assurent qu'elles savent oeuvrer dans les domaines de l'humanitaire et du développement mais pas dans celui de la réhabilitation. Or, nous sommes parvenus à ce jour à mettre en place des financements, à être opérationnels et à agir de façon coordonnée même si, toutes choses égales par ailleurs, nous sommes tributaires de la situation macro-sécuritaire, du dialogue politique et de bien d'autres paramètres. A nous de réussir cet exercice dans la durée ! C'est d'ailleurs pour cela qu'au Mali, comme dans 45 autres pays, nous promouvons la « programmation conjointe » visant à coordonner l'Union européenne en tant que telle et les États membres, notamment les plus importants, afin qu'ils agissent de manière complémentaire. Plusieurs réunions qui ont eu lieu cet automne à Bruxelles ont permis de relancer cette programmation, laquelle s'inscrit dans le nouveau programme du FED pour les sept prochaines années.
Après le budget, les financements innovants constituent peut-être la grande bataille à mener. Dans le cadre de la coopération renforcée, onze États de l'Union européenne négocient l'instauration d'une TTF – taux, assiette, affectation. Comme le Président de la République l'a rappelé lors de la clôture des Assises du développement et de la solidarité internationale le 1er mars, la France souhaite qu'une part significative en soit affectée au développement. À l'origine, la TTF devant financer les biens publics mondiaux et la lutte contre le sida, contre la pauvreté ou le changement climatique, il serait assez paradoxal, alors que nous nous apprêtons à la mettre en place, qu'aucun euro ne soit affecté aux pays du sud ! D'un autre côté, nous savons ce que sont les contraintes budgétaires et combien il serait difficile de dire aux gouvernements espagnol, portugais ou grec – qui participent à la coopération renforcée – qu'ils n'en verront pas le premier centime. Il importe donc de trouver un compromis mais une part significative de la taxe n'en devra pas moins être affectée au développement et aux biens publics mondiaux. Parce que la position française, en la matière, est minoritaire, je me dois de prendre mon bâton de pèlerin afin de convaincre mes homologues et l'ensemble des ministres des finances des onze pays avec lesquels nous travaillons.
La semaine dernière, à l'issue du dialogue entre la Commission, le Conseil et le Parlement européens, la position française visant à reporter la date de renégociation des APE en 2015 voire 2016 n'a pas été retenue. Elle aura donc lieu en 2014 même si nous continuons de penser qu'il aurait été préférable de la repousser et de négocier les conditions dans un sens plus favorables aux pays ACP.
En revanche, la question de la transparence a évolué très positivement. Ainsi la directive « comptabilité » rendra-t-elle obligatoire un reporting pays par pays et projet par projet. Dans les secteurs extractif et forestier, les grandes entreprises européennes devront ainsi faire état, projet par projet et pays par pays, des flux financiers qui les lient aux États dans lesquels elles interviennent. Il s'agit là d'une mesure essentielle pour lutter contre la corruption et renforcer la capacité des États du sud à collecter des recettes fiscales indispensables afin de mener, par exemple, les politiques de santé ou d'éducation. J'ajoute que les États-Unis ont voté une mesure comparable dans le cadre de la loi Dodd-Frank qui s'appliquera également en 2014 même si, et c'est tout à notre honneur, nous allons plus loin.
Au-delà de ce « standard » européen et américain, il faut maintenant convaincre les Australiens et les Japonais de faire la même chose dans le cadre du G20 et du G8 qui aura lieu au mois de juin sous la présidence britannique. Nous travaillons donc pour faire en sorte que cette transparence devienne la règle et non l'exception.
En outre, depuis une quinzaine de jours, un accord est intervenu sur le plan européen visant à favoriser la transparence totale des flux financiers dans le secteur bancaire, comme les ONG le demandaient d'ailleurs depuis longtemps. Toutes les banques européennes devront dire, pays par pays, quels sont les profits réalisés, quel est leur chiffre d'affaires, quelle est leur masse salariale, quels sont les impôts payés. Ce progrès très important est hélas passé à peu près inaperçu. Grâce, très largement, à l'Union européenne, le principe de transparence régit donc une grande partie de l'économie – industries extractives, secteurs forestier et bancaire – et de nos relations avec les pays du sud.
Nous souhaitons aller encore plus loin dans le cadre du G8 en nous interrogeant sur les secteurs de la construction, des ports ou des télécommunications. Au mois de mai, quinze jours ou trois semaines avant qu'il ne s'ouvre, nous organiserons une réunion dans le Nord-Pas-de-Calais avec les Britanniques afin de formuler un certain nombre de propositions concrètes en ce sens.
L'une de mes priorités, conformément à l'un de axes majeurs de l'agenda international, est de faire converger le développement et le développement soutenable. Ce n'est d'ailleurs pas là une originalité française puisque tous les pays européens y travaillent. Selon le rapport de la Banque mondiale publié avant le sommet de Doha sur le climat, une augmentation de la température de quatre degrés entraînerait mécaniquement un plus grand nombre de décès d'enfants de moins de cinq ans et tous les résultats qui ont été obtenus pendant la dernière décennie dans la lutte contre la mortalité infantile seraient ainsi anéantis par un changement climatique aggravant la sécheresse et l'insécurité alimentaire.
Nous avons donc pris un certain nombre d'initiatives « franco-françaises » en réorientant la politique énergétique et d'investissements agricoles de l'Agence française de développement (AFD). Sur un plan européen, nous travaillons à ce que, dans la prochaine programmation du FED, outre les 20 % que vous avez évoqués, madame la présidente, qui sont dédiés à la santé et au domaine social, 20 % des crédits de développement – sur les 27 milliards de budget – soient affectés à des projets contribuant à lutter contre le changement climatique ou à en atténuer les effets. Avec l'Allemagne, nous avons également pris des initiatives visant à rassembler l'ensemble des États et à convaincre la Commission, même si elle est assez volontaire sur ce sujet, de manière à ce que les délégués de l'Union européenne dans le monde entier travaillent en ce sens.
Enfin, nous aurons l'occasion de rediscuter de notre politique nationale de développement à l'automne prochain lorsque nous déposerons le premier projet de loi de développement et de solidarité internationale de toute l'histoire de la République, comme François Hollande l'a annoncé voilà quelques jours.