Audition de M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé du développement, sur la politique européenne de développement 2
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 13 mars 2013
Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission des affaires européennes,
La séance est ouverte à 16 h 45
Audition de M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé du développement, sur la politique européenne de développement
Nous sommes heureux de vous recevoir pour la première fois devant notre commission, monsieur le ministre, afin de vous entendre sur les aspects européens de la politique du développement.
Officiellement, l'Europe est fidèle aux engagements des États membres visant à consacrer au moins 0,7 % de leur PNB à l'aide publique au développement (APD) mais nous n'en sommes pas moins inquiets.
En effet, les conclusions du Conseil européen des 7 et 8 février sur le cadre financier pluriannuel délivrent un signal très négatif puisque les montants alloués à l'APD diminuent de 13 % et ceux de l'enveloppe du Fonds européen de développement (FED) de 11 % alors qu'ils constituent une contribution essentielle à la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) et qu'ils ont permis, au cours des cinq dernières années, la scolarisation de plus de dix millions d'enfants et l'accès à l'eau potable de 32 millions de personnes. Nous avons donc pris acte avec attention, sinon avec plaisir, du rejet de ces décisions par le Parlement européen, la politique du développement ayant été grandement sacrifiée. J'ajoute que notre commission a réalisé un travail spécifique à ce propos que nous aurons vraisemblablement l'occasion d'évoquer.
De surcroît, les réductions de crédits envisagées risquent d'altérer la relation que l'Union européenne entretient avec les pays du sud alors même qu'elle se trouve sur ce plan-là en concurrence avec des États qui ne partagent pas son approche des critères de conditionnalité et de bonne gouvernance quant à la délivrance de l'aide publique. Partagez-vous notre inquiétude à ce propos ?
Par ailleurs, le Parlement européen et la Cour des comptes européenne se sont montrés très critiques s'agissant de l'efficacité de la politique de développement européenne à laquelle ils reprochent d'être à la fois peu visible, aveugle – dès lors qu'elle ne fixe pas d'objectifs politiques – mais aussi peu cohérente et peu efficace, ce qui fait beaucoup. Le programme pour le changement de la politique de développement, qui propose une concentration de l'aide sur les secteurs et les pays qui en ont le plus besoin, a également été critiqué par les pays d'Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP). Sur quels points, si nécessaire, conviendrait-il de rectifier le tir ?
Pensez-vous que l'affectation d'une partie de la future taxe sur les transactions financières (TTF) à la politique de développement permettrait d'améliorer les relations avec les pays du sud ? Après tout, la taxe Tobin tendait bien originellement à favoriser leur développement et à renforcer notre solidarité avec eux.
Les technologies liées à l'énergie solaire et à la lutte contre le changement climatique – lequel affectera gravement les pays du sud – pourraient être autant d'occasions pour oeuvrer en faveur du développement. L'Europe participe-t-elle suffisamment à de tels projets ?
Comment analysez-vous la décision de la Commission européenne visant à présenter au titre du FED un budget séparé pour chaque pays ACP et à réserver 20 % de l'enveloppe du Fonds à la fourniture de services sociaux de base – santé, éducation primaire – avec une attention particulière portée aux femmes et aux enfants ?
Le Parlement européen regrettant de ne pas avoir de droit de regard sur le FED, considérez-vous que, sur un plan démocratique, il doit en être autrement ?
Le groupe de travail sur la politique agricole commune, dont je fais partie, étudie la question des restitutions à l'exportation, lesquelles déstabilisent les filières agricoles ou vivrières des pays du sud. Les politiques de l'Union européenne manquant de cohérence, ne serait-il pas à l'honneur de cette dernière de mettre en cohérence sa politique de développement avec ses politiques agricole et commerciale, et inversement ?
A ce propos, je vous remercie de bien vouloir faire un point sur les négociations des accords de partenariat économique (APE). Le délai de négociation sera-t-il rallongé jusqu'en 2016, comme le Parlement européen l'a souhaité ? Quelle est la position du Gouvernement à ce sujet, ainsi que sur le degré d'asymétrie d'ouverture des marchés des pays ACP, lequel doit leur être laissé ?
Je vous prie de m'excuser car je serai contraint de vous quitter avant dix-huit heures puisque je m'envole pour New York pour participer aux premières négociations sur les objectifs de développement durable (ODD) et sur la révision des OMD.
Je vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer devant une commission au sein de laquelle je suis intervenu lors de la mandature précédente en tant que parlementaire européen pour évoquer notamment les questions de règlementations financières et bancaires.
Je suis extrêmement attaché à l'inscription de notre politique nationale de développement dans le contexte européen, deux tiers de nos dons – il en va différemment des prêts – passant par le FED et donc l'Union européenne. Lors des débats parlementaires, nombre de députés ou de sénateurs considèrent souvent que c'est l'aide bilatérale qui compte mais je ne suis pas de cet avis car il est nécessaire de travailler ensemble, l'Union européenne constituant un gage d'efficacité. A nous de nous montrer influents à Bruxelles plutôt que de dissocier, en la matière, les drapeaux français et européen !
Je me permets de ne pas faire la même lecture que vous du budget européen. Vous avez pris comme référence la proposition de la Commission mais, dans la négociation finale, c'est celle de M. Van Rompuy qui compte et, en ce qui concerne la politique de développement et le FED, elle a été respectée à l'euro près. Le risque existait, cependant, que la politique de développement européenne constitue un peu la variable d'ajustement du budget et que ses 27 milliards servent en partie à compléter tel ou tel budget mais, je le répète, cela n'a pas été le cas et l'on peut s'en féliciter puisque ce budget garantit une stabilité d'intervention en capacités réelles et en volume, dans le contexte donné d'une négociation budgétaire donnée à un moment donné, même s'il peut être remis en cause comme nous l'avons vu avec l'actuel vote du Parlement européen, lequel n'est d'ailleurs pas définitif. En tant que ministre délégué chargé du développement, je suis donc plutôt satisfait des résultats obtenus s'agissant du FED.
La situation au Mali constitue un cas d'école et illustre notre capacité à travailler ensemble, en Européens et en « franco-européens ». Comme j'ai eu l'occasion de le dire en réponse à une question qui m'a été posée dans l'hémicycle, Laurent Fabius et moi-même avons voulu inscrire notre stratégie de développement au Mali et, plus largement, au Sahel, dans le cadre européen. Ainsi avons-nous souhaité que la grande conférence internationale que nous allons organiser à la mi-mai, à Bruxelles, soit coprésidée par la France et par l'Union européenne – par MM. Hollande et Barroso – alors que nous aurions pu faire en sorte qu'elle soit organisée à Paris et présidée par le seul chef de l'État.
Sur le terrain, une division du travail intelligente régit notre action avec nos partenaires européens et l'Union européenne. Ensemble, nous avons dressé une liste de priorités visant à « gagner les six mois », délai qui nous sépare des élections. Il s'agit de trouver une position intermédiaire entre l'humanitaire pur lequel, assurent les ONG, est aujourd'hui relativement sous contrôle, à l'exception de quelques poches à l'extrême nord du Mali, et le développement de grands projets dont les résultats sont effectifs après plusieurs années. Le problème, en l'occurrence, est de savoir comment il est possible de rétablir la distribution d'eau et la fourniture d'électricité à Tombouctou ou de traverser le fleuve Niger qui, à ce jour, ne peut pas l'être sur mille kilomètres, ce qui soulève un certain nombre de difficultés en termes de flux économiques et de possibilité, pour les personnes déplacées, de rentrer chez elles.
Nous nous sommes donc mis d'accord avec l'ensemble de nos partenaires sur cette liste et nous nous sommes partagés le travail à accomplir. Par exemple, la France finance les travaux visant à rétablir l'électricité et l'eau courante à Tombouctou et à Gao tandis que la Commission européenne finance le retour des personnes déplacées et réfugiées ainsi que l'achat de semences permettant de préparer la saison agricole qui, au Mali, commence aux mois d'avril et de mai. J'ai beaucoup plaidé pour une telle approche. Les ONG, avec raison, assurent qu'elles savent oeuvrer dans les domaines de l'humanitaire et du développement mais pas dans celui de la réhabilitation. Or, nous sommes parvenus à ce jour à mettre en place des financements, à être opérationnels et à agir de façon coordonnée même si, toutes choses égales par ailleurs, nous sommes tributaires de la situation macro-sécuritaire, du dialogue politique et de bien d'autres paramètres. A nous de réussir cet exercice dans la durée ! C'est d'ailleurs pour cela qu'au Mali, comme dans 45 autres pays, nous promouvons la « programmation conjointe » visant à coordonner l'Union européenne en tant que telle et les États membres, notamment les plus importants, afin qu'ils agissent de manière complémentaire. Plusieurs réunions qui ont eu lieu cet automne à Bruxelles ont permis de relancer cette programmation, laquelle s'inscrit dans le nouveau programme du FED pour les sept prochaines années.
Après le budget, les financements innovants constituent peut-être la grande bataille à mener. Dans le cadre de la coopération renforcée, onze États de l'Union européenne négocient l'instauration d'une TTF – taux, assiette, affectation. Comme le Président de la République l'a rappelé lors de la clôture des Assises du développement et de la solidarité internationale le 1er mars, la France souhaite qu'une part significative en soit affectée au développement. À l'origine, la TTF devant financer les biens publics mondiaux et la lutte contre le sida, contre la pauvreté ou le changement climatique, il serait assez paradoxal, alors que nous nous apprêtons à la mettre en place, qu'aucun euro ne soit affecté aux pays du sud ! D'un autre côté, nous savons ce que sont les contraintes budgétaires et combien il serait difficile de dire aux gouvernements espagnol, portugais ou grec – qui participent à la coopération renforcée – qu'ils n'en verront pas le premier centime. Il importe donc de trouver un compromis mais une part significative de la taxe n'en devra pas moins être affectée au développement et aux biens publics mondiaux. Parce que la position française, en la matière, est minoritaire, je me dois de prendre mon bâton de pèlerin afin de convaincre mes homologues et l'ensemble des ministres des finances des onze pays avec lesquels nous travaillons.
La semaine dernière, à l'issue du dialogue entre la Commission, le Conseil et le Parlement européens, la position française visant à reporter la date de renégociation des APE en 2015 voire 2016 n'a pas été retenue. Elle aura donc lieu en 2014 même si nous continuons de penser qu'il aurait été préférable de la repousser et de négocier les conditions dans un sens plus favorables aux pays ACP.
En revanche, la question de la transparence a évolué très positivement. Ainsi la directive « comptabilité » rendra-t-elle obligatoire un reporting pays par pays et projet par projet. Dans les secteurs extractif et forestier, les grandes entreprises européennes devront ainsi faire état, projet par projet et pays par pays, des flux financiers qui les lient aux États dans lesquels elles interviennent. Il s'agit là d'une mesure essentielle pour lutter contre la corruption et renforcer la capacité des États du sud à collecter des recettes fiscales indispensables afin de mener, par exemple, les politiques de santé ou d'éducation. J'ajoute que les États-Unis ont voté une mesure comparable dans le cadre de la loi Dodd-Frank qui s'appliquera également en 2014 même si, et c'est tout à notre honneur, nous allons plus loin.
Au-delà de ce « standard » européen et américain, il faut maintenant convaincre les Australiens et les Japonais de faire la même chose dans le cadre du G20 et du G8 qui aura lieu au mois de juin sous la présidence britannique. Nous travaillons donc pour faire en sorte que cette transparence devienne la règle et non l'exception.
En outre, depuis une quinzaine de jours, un accord est intervenu sur le plan européen visant à favoriser la transparence totale des flux financiers dans le secteur bancaire, comme les ONG le demandaient d'ailleurs depuis longtemps. Toutes les banques européennes devront dire, pays par pays, quels sont les profits réalisés, quel est leur chiffre d'affaires, quelle est leur masse salariale, quels sont les impôts payés. Ce progrès très important est hélas passé à peu près inaperçu. Grâce, très largement, à l'Union européenne, le principe de transparence régit donc une grande partie de l'économie – industries extractives, secteurs forestier et bancaire – et de nos relations avec les pays du sud.
Nous souhaitons aller encore plus loin dans le cadre du G8 en nous interrogeant sur les secteurs de la construction, des ports ou des télécommunications. Au mois de mai, quinze jours ou trois semaines avant qu'il ne s'ouvre, nous organiserons une réunion dans le Nord-Pas-de-Calais avec les Britanniques afin de formuler un certain nombre de propositions concrètes en ce sens.
L'une de mes priorités, conformément à l'un de axes majeurs de l'agenda international, est de faire converger le développement et le développement soutenable. Ce n'est d'ailleurs pas là une originalité française puisque tous les pays européens y travaillent. Selon le rapport de la Banque mondiale publié avant le sommet de Doha sur le climat, une augmentation de la température de quatre degrés entraînerait mécaniquement un plus grand nombre de décès d'enfants de moins de cinq ans et tous les résultats qui ont été obtenus pendant la dernière décennie dans la lutte contre la mortalité infantile seraient ainsi anéantis par un changement climatique aggravant la sécheresse et l'insécurité alimentaire.
Nous avons donc pris un certain nombre d'initiatives « franco-françaises » en réorientant la politique énergétique et d'investissements agricoles de l'Agence française de développement (AFD). Sur un plan européen, nous travaillons à ce que, dans la prochaine programmation du FED, outre les 20 % que vous avez évoqués, madame la présidente, qui sont dédiés à la santé et au domaine social, 20 % des crédits de développement – sur les 27 milliards de budget – soient affectés à des projets contribuant à lutter contre le changement climatique ou à en atténuer les effets. Avec l'Allemagne, nous avons également pris des initiatives visant à rassembler l'ensemble des États et à convaincre la Commission, même si elle est assez volontaire sur ce sujet, de manière à ce que les délégués de l'Union européenne dans le monde entier travaillent en ce sens.
Enfin, nous aurons l'occasion de rediscuter de notre politique nationale de développement à l'automne prochain lorsque nous déposerons le premier projet de loi de développement et de solidarité internationale de toute l'histoire de la République, comme François Hollande l'a annoncé voilà quelques jours.
Je tiens à saluer votre action, notamment au Mali, à travers trois points qui me paraissent importants.
Tout d'abord, l'ensemble des groupes parlementaires, dont le groupe d'amitié France-Mali, a bénéficié d'une information continue et complète.
Ensuite, la nouvelle doctrine de la coopération, du développement et du co-développement est pertinente puisqu'elle ne se réduit plus à un « supplément d'âme » après les combats. Sans esprit de polémique, je note que c'est « le jour et la nuit » entre l'intervention au Mali et celle qui s'est déroulée en Libye, laquelle a d'ailleurs eu des incidences au Sahel via des transferts d'armements.
Enfin, vous avez fait preuve de réactivité à Bruxelles, certes, mais aussi à Lyon, comme nous le verrons demain et, également, à Montreuil, grâce à la sollicitation de la diaspora malienne.
Vous avez évoqué de nombreux sujets – cartographies, reportings, « schémas directeurs » européens des projets, financements – mais qu'en est-il des infrastructures audiovisuelles de la presse et, plus largement, des médias ? Nous avons essuyé quelques critiques, notamment quant à l'absence d'images de ce conflit, et nous savons aussi que l'Office de radio et télévision malienne (ORTM) ne diffuse pas dans les trois principales villes libérées car les moyens font défaut et les personnels souffrent d'un manque de sécurité. Existe-t-il donc un projet sur cet enjeu stratégique et démocratique, l'audiovisuel malien étant l'un des plus anciens et des mieux structurés de toute l'Afrique ? J'ajoute que j'ai été interpellé voilà à peine 48 heures par des personnes proches de l'ORTM ou qui y travaillent et qui sont aussi journalistes en France.
J'ai été particulièrement intéressé par vos propos concernant la transparence.
Le Mali est l'un des pays avec lesquels la coopération décentralisée est la plus intense. Les collectivités territoriales ont un savoir-faire en la matière, des villes et des régions françaises et maliennes s'investissant en effet depuis de nombreuses années. Ce travail est néanmoins compliqué car, entre la décision de débloquer tel crédit pour tel équipement et la concrétisation du projet, c'est un véritable parcours du combattant qu'il faut effectuer ! Comment envisagez-vous l'avenir de la coopération entre l'Union européenne, la France et les collectivités territoriales ? Une meilleure mutualisation me semblerait de bonne politique.
La politique de développement doit-elle être conditionnée à des exigences sur le plan des droits humains et des droits de l'homme ? Alençon et la communauté urbaine d'Alençon, dont je suis respectivement maire et président, entretiennent des relations de coopération décentralisée avec Koutiala. Nous avons financé des jardins d'enfants, des marchés ainsi que le commissariat local mais je me suis rendu compte, lors de la visite de la prison avec le préfet et le maire de la ville, que les droits humains n'y étaient pas du tout respectés. Après que je leur ai dit que nous souhaitions poursuivre notre action mais que les détenus devaient bénéficier d'un minimum de droits, un lourd silence s'est installé. Il me semble qu'il est bon d'expliquer aux décideurs que nous avons un minimum d'exigences, lesquelles ne coûtent rien aux États en question. Je pourrais d'ailleurs citer d'autres exemples, y compris en Europe. Ainsi avons-nous aidé la Moldavie, pays qui connaît d'importantes difficultés économiques, mais nous n'avons eu aucune exigence en matière de droits humains alors qu'il fut un temps où ils n'y étaient pas du tout respectés. Je connais bien ce pays car j'y ai effectué une mission dans le cadre du Conseil de l'Europe.
Le vote du Parlement européen que madame la présidente et vous-même avez évoqué vous aidera-t-il ou non ? Favorisera-t-il une redéfinition de la politique européenne de développement sur le plan financier ? Il semble que les députés européens ne contestent pas l'enveloppe globale du budget mais sa répartition. Envisagez-vous de vous battre pour que la partie dédiée au développement soit augmentée ?
On évoque souvent l'objectif de 0,7 % du PNB des États membres de l'Union européenne consacré à la politique de développement. Quels sont les bons et les mauvais élèves en la matière ?
Certains pays se montrent plus volontaires que d'autres s'agissant de la politique de développement, dont la France. En est-il de même en ce qui concerne l'instauration de la TTF ?
Enfin, des réorientations géographiques de l'aide sont-elles envisagées sur un plan national et européen ? L'Europe est-elle de ce point de vue-là autant présente qu'auparavant au Proche et au Moyen-Orient, notamment dans le cadre du conflit israélo-palestinien ?
La volonté de favoriser en même temps le développement des régions du monde en difficulté et notre économie est contradictoire. Ainsi l'importation d'agro-carburants par l'Union européenne contredit-elle le droit à la sécurité alimentaire des peuples. De la même manière, le marché européen est fermé aux importations de produits agricoles du sud alors que l'Europe impose ses propres produits à ces pays-là. Comment donc trouver une cohérence et un équilibre satisfaisants alors que le Traité de Lisbonne a déjà permis quelques avancées puisqu'une telle cohérence est devenue une obligation légale via EuropeAid et Groupe Interservices ?
Le renforcement de l'aide publique est évidemment essentiel mais la question de la souveraineté alimentaire soulève celle de l'influence de notre politique de développement. Aujourd'hui, 300 000 tonnes d'oignons nigériens sont proposés à l'exportation, les producteurs ayant bénéficié d'un programme européen d'aides en termes de formation, notamment pour l'utilisation d'engrais biologiques. Or, les pays qui pourraient importer cette production sont aujourd'hui inondés par les productions européennes subventionnées alors même que l'Europe importe des oignons australiens. Le Niger, quant à lui, importe des oignons hollandais à un prix inférieur au coût de production local, ce qui déstructure complètement le marché à Niamey. Dans quelle mesure peut-on donc prendre en compte la globalité de la question de la cohérence dans l'application des politiques de développement ?
Je vous remercie de ces questions.
Je vous invite, monsieur Hammadi, à me communiquer les éléments dont vous disposez concernant l'ORTM. La réhabilitation des studios, dont la plupart a été saccagée, et les problèmes liés aux réseaux de télécommunication font partie des priorités d'action des « six mois » et constituent l'un des piliers de notre stratégie partagée et coordonnée avec l'ensemble des acteurs.
Outre la grande conférence franco-européenne du 15 mai, à Bruxelles, et notre action avec l'ensemble de la communauté internationale, les collectivités territoriales et les diasporas maliennes constituent deux autres fers de lance de notre politique. Ainsi organiserons-nous à Montreuil, le 10 avril, une réunion dédiée aux versants politique et économique de cette crise. Comment les migrants et les 120 000 franco-maliens peuvent-ils contribuer encore davantage au développement économique et à la reconstruction du Mali, étant entendu que les enjeux sont nombreux ? Les flux financiers sont plus importants que l'aide publique mais sont-ils bien répartis géographiquement ? Quelles en sont les conditions ? Ce sont là autant de sujets qui pourront être abordés.
Les collectivités territoriales, quant à elles, constituent évidemment l'un des éléments centraux de notre action. Le 19 mars, j'ouvrirai une réunion, que Laurent Fabius clôturera, visant à mobiliser les cent collectivités françaises qui travaillent avec leurs homologues maliennes – ce qui représente environ une collectivité sur six au Mali – dans le cadre des coopérations décentralisées. Nous sommes donc à même d'agir dans la quasi-totalité de ce pays, en tenant compte naturellement des enjeux de sécurité inhérents à sa situation. M. le ministre des Affaires étrangères et moi-même ferons à cette occasion un certain nombre d'annonces.
Parallèlement, nous voulons que l'ensemble de l'aide internationale passe en partie et davantage qu'auparavant par des canaux locaux. Non seulement il s'agit là d'un gage d'efficacité et de proximité vis-à-vis des populations mais cette forme de décentralisation plus structurée, plus forte et plus affirmée nous semble contribuer à la solution politique du conflit, qui appartient certes d'abord aux Maliens.
Avec l'ensemble de nos partenaires, nous réfléchissons de surcroît à des aides budgétaires sectorielles décentralisées. Il existe en effet deux grands types d'aides publiques : l'aide sur des projets – réalisation d'une route, d'un pont, d'une centrale, d'une station de pompage etc. – et l'aide budgétaire – tant d'argent est attribué au ministère de l'éducation, de la santé ou de l'aménagement du territoire pour réaliser tel ou tel projet. Nous souhaitons donc que ce dernier type d'aide soit décentralisé de façon à ce qu'elle soit mise en oeuvre au Mali directement et avec cohérence par les collectivités locales.
Nous approfondirons ce questionnement le 19 mars mais, également, dans les semaines et les mois à venir, cette aide budgétaire étant d'abord européenne – la Commission a déjà annoncé le déblocage de 250 millions, somme qui pourrait être revue à la hausse si des besoins n'étaient pas satisfaits –, une partie pouvant aussi passer par les collectivités locales.
La question de la conditionnalité de l'aide au respect des droits de l'homme, des droits humains et, donc, du droit des femmes, particulièrement sujets à caution dans certains pays, est évidemment complexe. À titre personnel, je n'y suis pas hostile mais j'ai posé directement la question aux représentants des ONG et de la société civile des États concernés, lesquels ont tous répondu par la négative, jugeant que cela serait contre-productif. Annuler l'aide reviendrait en effet à céder la place à d'autres, à accroître la déstructuration et, en un sens, à imposer une double peine. Ce n'est pas parce que tel gouvernement ne respecte pas les droits de l'homme que les enfants qui sont scolarisés grâce à l'aide internationale ne doivent plus l'être. Nous devons donc trouver un équilibre subtil entre le silence, qui n'est conforme ni à nos valeurs, ni à nos intérêts, ni à l'intérêt des personnes concernées, et la conditionnalité.
Nous avons réfléchi à cette question en France, dans le cadre des Assises du développement, mais aussi sur un plan européen. Au mois de mai dernier, quelques jours avant le changement de Gouvernement, l'Union européenne, et donc la France, se sont mises d'accord sur une grille de lecture commune permettant de dire ensemble, comme nous l'avons fait pour le Mali : « Nous arrêtons de verser des aides si la démocratie n'est pas respectée ; nous la reprenons parce que tel ou tel acte politique va dans le bon sens. » Cette réflexion étant permanente et non encore aboutie, je souhaite que l'on continue à avancer, un certain nombre d'actions menées ces derniers mois nous permettant d'affirmer que cela sera possible.
S'agissant des 0,7 %, la situation varie selon les pays. Dans son dernier PLF, la France a stabilisé son effort budgétaire grâce à l'affectation d'une partie de la taxe française sur les transactions financières au développement. D'autres États sont parvenus à l'augmenter, dont le Royaume-Uni qui, malgré un contexte budgétaire identique au nôtre, accomplit un effort conséquent.
Non. Un consensus existe à ce propos au sein de la société britannique, lequel n'est rompu ni par les travaillistes, ni par les conservateurs. La société est très mobilisée, de même que les grandes ONG.
Les Espagnols, quant à eux, ont réduit ce poste budgétaire de 80 % et les Hollandais de 25 %, les Canadiens ayant également pris des mesures assez drastiques.
Compte tenu de l'enveloppe globale du budget européen et du fait que le scénario Van Rompuy a été retenu, le FED n'est pas mal loti et ses capacités d'intervention ont été maintenues.
L'enjeu principal concerne la TTF. L'étude de la Commission européenne parue au mois de janvier montre que si l'on adopte le taux proposé par cette dernière il y a deux ans – il était un peu supérieur au taux français actuel – ainsi qu'une assiette large intégrant les produits dérivés, il est possible de dégager 35 milliards de recettes dans l'ensemble des pays concernés par la coopération renforcée. Nous verrons ce qu'il en sera finalement en fonction des choix qui seront opérés, des flux et des risques de délocalisations même si la proposition de la Commission est assez consistante sur ce point. Cependant, si 10 % ou 20 % de ce montant sont affectés au développement, les sommes n'en seront pas moins considérables en y ajoutant celles du FED, lesquelles s'élèvent à quasiment quatre milliards chaque année. Telle est la bataille qu'il convient donc de mener plutôt que d'envisager d'augmenter de quelques millions les 27 milliards de budget de l'aide européenne au développement.
Avec l'APD, la cohérence des politiques menées constitue un sujet majeur de notre politique de développement. Les flux financiers de l'APD et ceux qui proviennent des pays du sud en passant par des « juridictions non coopératives » montrent que ceux-ci sont dix fois plus importants que ceux-là. S'il n'est pas question de réduire l'APD, la bataille doit donc porter principalement sur la cohérence des politiques. Si tel n'est pas le cas, nous donnerons de l'argent à des États qui en possèdent mais qui, in fine, en seront privés en raison de l'évasion et de l'optimisation fiscales. D'où l'importance des directives sur la transparence que j'ai déjà évoquées pour les secteurs extractif, forestier et bancaire. J'espère que nous pourrons aller plus loin dans le cadre du prochain G8.
La politique de cohérence a également été au coeur des Assises du développement. Cette grande concertation, dont il n'y avait pas eu d'équivalent depuis quinze ans, comprenait en effet cinq chantiers dont l'un consacré à cette politique. Nous nous apprêtons, de plus, à réunir un comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) – qui, lui, n'avait pas été réuni depuis quatre ans – afin d'analyser les politiques agricole, commerciale, financière ou halieutique au regard des objectifs de développement de telle manière que la France évite de défendre A au cours de telle négociation et B pendant telle autre. Des incohérences sont cependant toujours possibles puisque les négociations internationales ou européennes fonctionnent aussi en silos. Je veillerai quant à moi à ce que des enjeux très importants figurent à l'ordre du jour de ce CICID, notamment en matière de pêche.
S'agissant des agro-carburants, des problèmes de sécurité alimentaire et, plus globalement, des investissements agricoles, nous sommes en train de réviser la doctrine de l'AFD. Après trois mois de consultations auprès des pays du sud concernés, celle-ci doit être adoptée au cours du conseil d'administration qui aura lieu dans quelques jours. Je formulerai des annonces lorsque les derniers arbitrages auront été finalisés et que le document sera voté.
Quoi qu'il en soit, je tiens absolument à ce que des projets financés par l'APD, par exemple en matière de développement d'agro-carburants, ne contribuent pas à la déforestation – et peu importe que ce soit ou non à des fins exportatrices. Nous serions en effet en contradiction si, d'une part, notre diplomatie travaillait à la lutte contre le changement climatique en prenant des initiatives financées par le contribuable français contre la déforestation et, d'autre part, si nous prêtions de l'argent à des opérateurs qui contribueraient à l'accroître. Cela fait partie des points que je souhaite écrire noir sur blanc dans la nouvelle doctrine d'investissement agricole de l'AFD.
S'agissant de la TTF, Monsieur Lequiller, le gouvernement allemand est divisé, les Autrichiens se montrent plutôt hostiles, les Belges y sont favorables, l'Italie, l'Espagne, le Portugal, la Slovénie et les autres pays n'ayant pas pris position publiquement. J'ai rencontré l'ensemble des ministres concernés et, à mon sens, l'idée d'une affectation partielle peut passer même si cela reste compliqué. Qui qu'il en soit, en l'état, nous sommes minoritaires.
Dans le cadre de la politique européenne de voisinage (PEV), nous sommes notamment favorables à un engagement plus soutenu en direction des pays du sud de la Méditerranée par rapport à ceux de l'est – il s'agit là d'une tradition française qui suscite d'ailleurs des débats récurrents avec d'autres États européens. Notre politique en Tunisie et au Maroc est cependant bloquée puisque notre puissance d'engagement y est maximale eu égard au « risque pays » tel que défini dans les ratios bancaires de l'AFD. Nous étudions la manière de faire évoluer cette situation car la consolidation des avancées démocratiques constitue l'une de nos priorités, avec toutes les réserves qu'il convient parfois d'émettre quand les droits de l'homme sont en jeu.
Les priorités du FED, quant à elles, doivent concerner selon nous les pays fragiles dont, évidemment, ceux de la zone sahélienne. Nous faisons en sorte que les crédits de ce dernier, pour les sept prochaines années, soient reconduits voire augmentés.
Je vous remercie.
La présidence irlandaise de l'Union européenne s'est montrée volontaire quant aux questions de développement. Cela constitue-t-il une aide ? Comment maintenir et conforter un tel état d'esprit ?
Alors que les fonds européens de lutte contre le changement climatique peuvent être augmentés, je note que l'on n'évoque plus la question des risques éventuels liés aux « réfugiés climatiques ». Comment aider les pays du sud afin qu'un tel phénomène ne se produise pas ? Réfléchissez-vous à ce problème sur le plan européen ?
Enfin, il est certes très positif que la France travaille au rétablissement de la distribution de l'eau à Tombouctou et à Gao mais, plus globalement, l'Union européenne développe-t-elle une réflexion spécifique sur cet enjeu crucial qu'est l'eau, en particulier en période de changement climatique ? J'ai suivi partiellement les débats des Assises du développement et il me semble qu'une telle discussion devrait se poursuivre, surtout avec les ONG.
Les Irlandais se sont en effet montrés très volontaires. Ils ont d'ailleurs organisé la réunion d'un Conseil européen informel de deux jours avec les ministres du développement, à Dublin, ce qui n'était pas arrivé depuis un certain nombre d'années. Nous ne pouvons que les remercier pour leur engagement.
La question du Mali a également été mise à l'ordre du jour par la présidence irlandaise, laquelle a aussi fait en sorte que le problème de la coordination européenne que j'ai évoqué soit discuté dans ce type de réunion.
Enfin, on aurait pu penser que les Irlandais se seraient montrés réticents s'agissant de la récente négociation bancaire, qui est d'ailleurs en voie d'aboutissement. Or, cela n'a absolument pas été le cas. Au contraire, ils ont favorisé un accord assez ambitieux sur la transparence et sur les bonus entre le Parlement et le Conseil.
En l'occurrence, je ne peux qu'avoir un avis positif sur la présidence irlandaise même si je suis moins sûr qu'elle ait suffisamment fait avancer la question de l'harmonisation fiscale en Europe… mais c'est un autre sujet !
Le Président de la République a annoncé que la France était prête à accueillir la conférence sur le climat à Paris en 2015, laquelle sera portée par les ministères de l'écologie et des affaires étrangères. Normalement, après l'échec relatif du sommet de Copenhague, ce nouveau rendez-vous devrait déboucher sur un accord international afin de définir le régime climatique de 2020 à 2030. Je suis quant à moi particulièrement mobilisé pour essayer de faire en sorte que l'on commence à écrire les conditions d'un succès à Paris sachant que, comme je l'ai dit hier devant la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, le principe de réalité nous impose de penser que l'accord à venir ne sera pas à la hauteur des enjeux. À nous de faire mentir ce principe ! Je préfère en effet que l'on progresse réellement plutôt que de placer la barre si haut que personne ne se rend compte des avancées éventuellement réalisées.
L'Europe revendique la mise en place d'un accord international légalement contraignant. Cependant, même sous la seconde présidence d'Obama, les Etats-Unis assurent qu'aucune majorité ne peut être dégagée pour le signer. Les Chinois et les Brésiliens, quant à eux, s'y refusent, arguant de leur souveraineté nationale. Je ne vois donc pas comment il est possible de faire bouger les lignes à la fois aux Etats-Unis, en Chine et au Brésil. Nous devrons inventer un agenda qui nous permettra d'aller beaucoup plus loin que ce qui est réalisé aujourd'hui – faute de quoi, nous serions dans le renoncement – tout en faisant en sorte qu'il soit réaliste. Si nous en restons aux modes de fonctionnement passés, il n'y a guère de raisons pour que nous réussissions là où les autres ont échoué.
Nous commençons donc à travailler sur cette question fondamentale. Pour la traiter, nous disposons de trois années devant nous ainsi que d'une véritable diplomatie, ce qui n'était plus le cas depuis longtemps : nous sommes présents à peu près partout dans le monde, notre parole a du poids, nous dialoguons avec les sociétés civiles, les gouvernements et les entreprises, donc, nous pouvons aller au-delà de ce que les présidences précédentes pouvaient faire. Maintenant, il convient de mobiliser, mobiliser et mobiliser encore ! Pour ce faire, nous avons besoin de vous, parlementaires, car vous pouvez contribuer, avec vos homologues, à faire bouger les lignes. Nous savons que les positions mexicaine, brésilienne, indonésienne ou de l'Afrique du sud évoluent en fonction des rapports de force interne et des pressions. Chacun doit prendre sa part afin que le succès soit au rendez-vous.
La politique du développement inclut évidemment le problème climatique. L'objectif de l'AFD est de faire en sorte que 50 % de ses projets aient un « co-bénéfice climat » - le premier bénéfice étant évidemment celui du développement – permettant de lutter contre le changement climatique ou de s'y adapter. Cette année, nous ne sommes pas loin de l'atteindre. Progressivement, nous souhaitons qu'une grande partie – pourquoi pas la totalité ? – de nos investissements dans les pays du sud intègrent la question climatique.
L'AFD, dorénavant, formulera certes un avis financier – l'Agence est une banque qui décide de financer ou non tel ou tel projet – mais, aussi, un avis « développement durable » qui l'un et l'autre seront soumis au conseil d'administration, expérimentalement dès le prochain conseil et systématiquement à partir du mois d'octobre, de manière à ce que l'ensemble des projets passe au crible financier et extra-financier. Nous sommes en train de faire de l'AFD un outil modèle.
Concernant les réfugiés climatiques, nous n'avons pas à ce jour d'autre action que préventive afin que ces derniers soient le moins nombreux possible, étant entendu que l'immense majorité d'entre eux ne viendra pas chez nous, les migrations s'effectuant « sud-sud ». Lorsque nous travaillons à éviter la montée des eaux à Saint-Louis du Sénégal ou en Asie du sud-est, nous contribuons à prévenir les flux de réfugiés même si, je le répète, nous ne menons pas d'actions spécifiques.
Cette année, une moitié de la part de la TTF française affectée au développement est consacrée à l'accès à l'eau potable au Sahel et l'autre moitié à la santé. Cette dernière sera reconduite l'année prochaine, à laquelle s'ajoutera une partie fonds vert pour le climat. Nous pouvons être fiers d'avoir taxé les transactions financières et que l'argent ainsi collecté ait permis de financer l'accès à l'eau potable pour plus d'enfants, de femmes et d'hommes, ce qui contribue d'ailleurs à améliorer les droits humains et les droits des femmes en particulier puisque ce sont souvent elles qui, en Afrique, sont chargées d'aller chercher l'eau dans les puits.
Je vous remercie vivement, monsieur le ministre. Je ne doute pas que nous aurons l'occasion de vous réentendre.
La séance est levée à 17 h 45