Intervention de Didier Quentin

Réunion du 5 février 2013 à 16h45
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Quentin, co-rapporteur :

Le projet d'union bancaire tel que défini lors du Conseil européen des 28 et 29 juin 2012 repose sur trois piliers : l'intégration de la surveillance bancaire, la prévention et l'accompagnement des défaillances bancaires et l'harmonisation des règles applicables au secteur financier.

Le chantier qui apparaît le plus avancé est celui de la surveillance bancaire. Le Conseil européen des 13 et 14 décembre 2012 a, pour sa part, défini la marche à suivre en 2013 et 2014, pour compléter cette Union bancaire.

Je vous présenterai aujourd'hui un point d'étape sur les deux directives en cours de discussion. Quant au co-rapporteur, notre collègue Christophe Caresche, il nous présentera les recommandations proposées à notre commission, dans la perspective de l'examen du projet de loi relatif à la régulation bancaire.

Le projet français de réforme bancaire sur lequel notre Commission formule ses observations, aujourd'hui, s'inscrit dans un cadre européen, marqué par une multiplication d'initiatives, plus ou moins abouties. Celles-ci ont pour objectif d'éviter, et le cas échéant, de gérer au mieux des faillites bancaires, telles que celles connues à la suite de la défaillance de Lehman Brothers. Il s'agit ainsi de limiter au maximum le risque systémique, c'est-à-dire le risque de dégradation brutale de la stabilité financière, provoqué par une rupture dans le fonctionnement des services financiers et qui a des conséquences sur l'économie réelle.

Au-delà du cas emblématique des Etats-Unis, marqués par les difficultés de Lehman Brothers, Bear Stearns et Merrill Lynch, il apparaît en effet que, depuis 2008, chaque pays européen a dû faire face aux difficultés rencontrées par au moins l'un de ses établissements bancaires. Il en va notamment ainsi :

– du Royaume-Uni, où la défaillance de Northern Rock, banque de dépôt, a entraîné une ruée des déposants aux guichets à l'automne 2007 ; mais où la Royal Bank of Scotland et Barclays ont également été concernés ;

– de l'Allemagne, où la situation des Landenbank s'est révélée préoccupante et où l'État a dû nationaliser l'établissement spécialisé Hypo Real Estate (HRE) et renflouer la Deutsche Bank et la Commerzbank ;

– de l'Espagne, avec le sauvetage de Bankia et des caisses d'épargne (les cajas) ;

– de l'Italie, où la Banca Monte dei Paschi di Siena, qui a procédé à des transactions de dérivés risquées, de 2006 à 2009, pour maquiller ses comptes, devrait faire l'objet d'un renflouement par la banque centrale d'Italie ;

– de l'Irlande, qui a dû mettre en place un plan de sauvetage de son système ;

– de la France et de la Belgique, avec la défaillance de Dexia et, dans le cas français, les difficultés rencontrées par Natixis et aujourd'hui par le Crédit immobilier de France.

Autrement dit, comme les « Animaux malades de la peste », beaucoup ont été touchés.

Force est de constater la variété de ces crises, qui affectent aussi bien des grandes que des petites banques, des banques d'investissement que des banques de dépôt, des banques spécialisées que des banques universelles. La taille d'un établissement ne saurait donc être considérée comme le seul facteur pertinent. Ainsi, la chute de Northern Rock n'aurait vraisemblablement pas été considérée comme un facteur de crise systémique, en dehors du contexte créé par la crise des subprimes en 2007. Il faut donc se mettre en mesure de traiter, selon les procédures adaptées à une crise systémique, des établissements de toute taille et de profils d'activité très divers.

Devant cette diversité, les traitements, le plus souvent mis en place dans l'urgence, ont consisté en des solutions privées, avec, le cas échéant l'appui des autorités publiques : Merrill Lynch, Natixis ; des interventions étatiques sous forme de garanties publiques et de nationalisations partielles ou totales : Northern Rock, Barclays, Royal Bank of Scotland , Dexia. C'est ainsi, le plus souvent, sur le contribuable que le coût du traitement de ces défaillances a pesé .

Par ailleurs, les gouvernements ont cherché à mettre en place des processus destinés à éviter au maximum les défaillances bancaires, présentant un risque systémique. À cette fin, la plupart des pays européens ont créé des mécanismes de résolution des crises bancaires, à l'instar du Royaume-Uni avec la loi bancaire de février 2009 qui met en place un « special resolution regime ».

L'Allemagne a fait de même avec la loi sur la restructuration et la liquidation ordonnée des établissements bancaires et avec la mise en place d'un fonds de restructuration des établissements de crédit, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2011. Les Etats européens conduisent également une réflexion active sur la meilleure manière de cantonner le risque, et ainsi, faciliter la mise en oeuvre des plans de résolution. S'agissant de cette réforme des structures bancaires, le Royaume-Uni apparaissait, encore récemment, comme le pays européen dont la réflexion était la plus aboutie, avec les propositions faites par la commission d'experts indépendants présidée par Sir John Vickers en septembre 2011, dont s'inspire le projet de loi de séparation des activités bancaires qui a été présenté hier par George Osborne. Toutefois, la France a déposé son projet de loi en décembre dernier. Pour ce qui est de l'Allemagne, le ministre des finances, Wolfgang Schaüble, devrait présenter un projet de réforme demain, le 6 février.

Pour autant, compte tenu d'une part de la nécessité d'éviter toute crise de nature systémique et d'assurer des règles de concurrence loyale, et d'autre part de l'imbrication des liens entre les différentes établissements bancaires, une harmonisation européenne apparaît indispensable.

À cet égard, il apparaît que la Commission européenne a ouvert, depuis 2010, de nombreux chantiers, qui sont plus ou moins aboutis à ce stade, et que le Conseil européen des 13 et 14 décembre 2012 a donné une nouvelle impulsion aux réformes, en promouvant l'Union bancaire.

Le dispositif proposé par la Commission européenne repose sur plusieurs textes, dont le calendrier s'est trouvé bousculé par le mécanisme de supervision unique, décidé par le Conseil européen de juin 2012, et validé définitivement par celui de décembre 2012:

Le premier texte est la proposition de directive du 12 juillet 2010 relative aux systèmes de garantie des dépôts, qui prévoit un remboursement plus rapide des déposants et une amélioration du financement des systèmes nationaux. À cet égard, les discussions sont bloquées, depuis l'échec d'un accord en première lecture lors du vote au Parlement européen le 15 février 2012. Le principal point de désaccord porte sur le niveau de financement ex ante des fonds de garantie, le Parlement européen étant favorable à un niveau-cible de 1,5 % des dépôts proposés par la Commission européenne, le Conseil prônant 0,5 %.

Le deuxième texte est la proposition de directive du 6 juin 2012 établissant un cadre pour le redressement et la résolution des défaillances des établissements de crédit et des entreprises d'investissement. Elle reprend les recommandations adoptées par le G20 en octobre 2011, afin de doter les pouvoirs publics de nouveaux instruments permettant de mieux prévenir et gérer les crises bancaires. Elle prévoit notamment la mise en place de plans de rétablissement et de résolution et d'une palette d'instruments de résolution (dont le transfert d'actifs, l'imputation des pertes et la diminution du passif par le « bail-in » ou renflouement interne). Les discussions, toujours en cours au sein du Conseil, font apparaître des divergences importantes sur quelques points dont les règles d'application aux filiales et la mutualisation du financement des mesures de résolution au niveau européen.

Sur ces deux textes relatifs à la garantie des dépôts et à la résolution, qui apparaissent comme les premiers fondements de l'union bancaire, le Conseil européen des 13 et 14 décembre a fixé comme objectif de parvenir à un accord au Conseil d'ici à mars 2013 et avec le Parlement européen avant juin 2013.

Vient ensuite le « paquet CRD 4 et CRR » – « capital requirements directive » et « capital requirements regulation » – qui transcrit en partie les recommandations de Bâle III. Il recouvre une proposition de règlement relatif aux exigences prudentielles, qui prévoit d'accroître le montant et la qualité des fonds propres que doivent détenir les banques, d'instaurer un ratio de couverture des besoins de liquidité et un ratio d'effet de levier ; et une propositions de directive qui a pour objectif de renforcer la gouvernance des établissements de crédit. Par rapport à Bâle III, ces propositions européennes sont moins dures sur la définition des fonds propres bancaires, mais plus exigeantes au sujet des rémunérations. Alors que les discussions s'éternisent – la date d'entrée en vigueur initialement fixée au 1er janvier 2013 a dû être repoussée, le Conseil européen de décembre 2012 en a demandé une adoption rapide, mais sans fixer de date !

Enfin, c'est le commissaire européen Michel Barnier, et non la Commission européenne, qui a mandaté, fin 2011, un groupe d'experts de haut niveau présidé par le gouverneur de la banque de Finlande Erkki Liikanen, afin d'étudier l'opportunité et les modalités d'une réforme structurelle du secteur bancaire, au sein de l'Union. Si les conclusions en ont été présentées en octobre 2012, ce n'est que très récemment que Michel Barnier a fait part de son intention de présenter un texte sur la séparation des activités bancaires ; le Conseil européen n'ayant d'ailleurs pas fixé de délai en la matière.

De fait, le calendrier de mise en oeuvre des propositions de la Commission européenne a été bousculé par la décision du Conseil européen de juin dernier de mettre en place un mécanisme de supervision unique. Afin de briser le cercle vicieux entre risque bancaire et risque souverain, le Conseil européen a, en effet, décidé d'autoriser le Mécanisme européen de stabilité, le MES, à recapitaliser directement les banques de la zone euro, à condition qu'un mécanisme de surveillance bancaire unique, le MSU, soit mis en place. La Commission européenne a ainsi dû présenter, dès début septembre, deux propositions de règlements : l'un confiant une mission de surveillance à la Banque centrale européenne, l'autre modifiant les règles de vote au sein de l'Autorité bancaire européenne. Les discussions achoppent aujourd'hui, notamment sur la question de la recapitalisation directe des banques par le MES, à laquelle l'Allemagne demeure opposée. Afin de créer une réelle Union bancaire, un mécanisme européen de résolution et de garantie des dépôts sera nécessaire à terme, en complément du mécanisme de surveillance unique.

Nous reviendrons, bien entendu, plus en détail sur ces différents points lors d'une prochaine réunion de la Commission.

Au total, c'est donc dans un contexte de négociations soutenues et de calendrier bousculé que le projet de réforme bancaire français est présenté. De manière orthodoxe du point de vue européen, il faut bien le souligner, il intervient en amont de toute proposition de la Commission européenne sur le sujet de la séparation des activités bancaires et en pleine négociation sur la direction relative au cadre de redressement et de résolution sur le sujet de la résolution.

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