Vous me pardonnerez, monsieur le président, de prendre, à mon tour, un peu de temps pour répondre à cette question majeure, que je remercie Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes d’avoir introduite.
Je vais commencer par revenir sur le viol en tant que tel et sur la modification que vous proposez d’introduire dans la définition du viol dans le code pénal. Vous avez raison, la convention d’Istanbul, que la France a signé en 2011, et dont le projet de ratification est actuellement examiné par votre assemblée, fait du non-consentement le critère clé de la définition du viol et de l’agression sexuelle. Une relation sexuelle non-consentie est un viol ou une agression sexuelle.
Pour ce qui concerne notre droit, lorsque le législateur français a élaboré en 1980, dans le prolongement des grands procès des années 1970, une définition précise du crime de viol, il a décidé d’identifier trois critères objectifs pour matérialiser cette absence de consentement. La notion d’absence de consentement est donc bien présente, mais le législateur de l’époque a préféré la matérialiser sous trois formes : la violence, la contrainte, la surprise.
Le nouveau code pénal de 1994 a ajouté la menace, même si ce critère s’est révélé dans les faits assez inopérant, puisque la Cour de cassation a estimé qu’il ne s’agissait que d’une forme particulière de contrainte.
Pour revenir à vos propos, si l’absence de consentement en tant que tel ne figure pas dans le code pénal, elle est, néanmoins, examinée par les magistrats quand il s’agit de déterminer l’élément intentionnel de l’infraction. Je souscris à vos propos : elle n’est pas examinée lorsqu’il s’agit de déterminer l’élément matériel de l’infraction. En tout cas, ce n’est pas un passage obligé.
Je confirme qu’un certain nombre d’interrogations légitimes peuvent être soulevées à l’égard de certaines décisions de cours d’appel, qui acceptent de relaxer au motif que, pour caractériser l’élément matériel du viol, l’absence de consentement n’a pas été vérifiée.
Je vous propose donc de travailler sur cette question de façon sereine, car, à ce stade, nous ne pouvons qu’être défavorables à la rédaction que vous proposez, pour deux raisons. La première est que votre amendement traite uniquement de la question du viol, alors qu’on ne peut pas dissocier les incriminations d’agression sexuelle et de viol, qui doivent être abordées de concert. La deuxième réserve est plus substantielle : je crains que la rédaction que vous proposez ne puisse, là encore, créer le risque d’une lecture a contrario, puisqu’elle pourrait conduire certains juges à considérer qu’un consentement peut exister dans les autres cas, qui sont la violence, la surprise, ou la contrainte.
Nous voyons bien que, si nous en prenons la décision, la définition du viol doit être retouchée d’une main sûre, plutôt que d’une main « tremblante », comme le disait le rapporteur. Je vous propose donc de nous donner le temps de revenir sur cette question, d’autant que le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a constitué un groupe de travail sur le sujet, auquel vous participez, et qui n’a pas encore rendu ses conclusions. Ce groupe de travail va lui-même être nourri par les conclusions de l’inspection générale des services judiciaires, que nous avons saisie, avec la Garde des Sceaux, d’une mission sur le sujet de la correctionnalisation des viols.
Tout cela est étroitement lié : il y a une grande tendance, dans notre pays, à sous-qualifier l’agression vécue pour qu’elle soit traitée plus rapidement, ce qui conduit à correctionnaliser le viol, ce qui paraît insupportable. Nous voulons lutter contre cela. L’inspection générale des services judiciaires, l’IGSJ, est donc en train de travailler sur une mission sur ce sujet.
Si vous le voulez bien, il faut donc aller au bout de ce travail, auquel je souhaite évidemment vous associer, et examiner à nouveau ce sujet, en élaborant – pourquoi pas – un texte spécifique, comme l’a suggéré votre rapporteur. Je souhaite que ce texte puisse également approfondir la question de l’inceste – que je vous remercie également d’avoir abordée –, dans l’esprit de consensus qui s’est dégagé de votre commission des lois.
J’ai pu y entendre, toutes tendances politiques confondues, la volonté de travailler à une proposition de loi sur la question d’une meilleure définition de l’inceste et d’une meilleure protection des victimes. Je pense qu’il serait de bon aloi que cette proposition de loi puisse être commune aux différents groupes politiques.
Pourquoi avons-nous besoin d’une telle proposition de loi ? Ne nous y trompons pas, l’inceste figure toujours dans le code pénal, à la section 3 du chapitre II du titre II du livre II, au paragraphe intitulé « de l’inceste commis sur les mineurs », avec un régime particulier qui prévoit le retrait automatique de l’autorité parentale en cas de condamnation. Néanmoins, il est vrai que l’incrimination d’inceste en tant que telle ne figure plus dans le code pénal. Cela heurte notre sens commun.
Par ailleurs, notre droit doit répondre de façon plus claire à la question de savoir si, en cas d’inceste, l’absence de consentement de la victime doit être recherchée. Pour moi, la réponse est non : en cas d’inceste, l’absence de consentement de la victime ne doit pas être recherchée. Or, nous recueillons chaque jour des témoignages assez bouleversants, qui montrent que cela a bel et bien été recherché.
Pour préciser cette question, il faudrait prévoir explicitement qu’une atteinte sexuelle commise sur un mineur par une personne titulaire sur celui-ci de l’autorité parentale est présumée ne pas avoir été consentie pour l’application des articles 222-22 à 222-31 du code pénal.
Je suis donc très favorable à ce qu’un travail approfondi soit mené sur ces deux questions. Le Gouvernement soutiendra, bien entendu, l’inscription à l’ordre du jour d’un texte portant sur ces sujets dès qu’il sera prêt, mais, à ce stade, il ne me semble par pertinent d’émettre un avis favorable sur votre amendement, madame la présidente. Je vous demande donc de bien vouloir le retirer.