Intervention de Najat Vallaud-Belkacem

Séance en hémicycle du 24 janvier 2014 à 9h30
Égalité entre les femmes et les hommes — Article 14

Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement :

Permettez-moi, monsieur le président, de prendre un peu de temps pour répondre à Mme Crozon.

Comme vous l’avez parfaitement expliqué, votre amendement vise à instituer une compétence liée du préfet en matière de délivrance des cartes de séjour à toute personne dès lors qu’elle dépose plainte contre son conjoint, son partenaire ou son concubin, et ce dans l’attente d’un jugement. Sur le fond, je voudrais vous dire que je suis attentive à la préoccupation que vous exprimez d’éviter aux femmes de vivre une double peine – elles se retrouvent, en effet, à la fois victimes de violences et susceptibles de perdre leur titre de séjour quand elles se séparent de leur bourreau. C’est bien notre rôle de législateur de les libérer de cette emprise et de veiller à ne pas les soumettre à une double peine.

Si je ne peux souscrire à votre amendement – pour deux raisons juridiques que je vais vous exposer –, je pense que nous pouvons faire des progrès en la matière ; je vais d’ailleurs vous faire des propositions.

La première raison tient au fait que le dispositif créerait un problème d’équilibre dans la procédure. Dans le texte que vous proposez, la simple allégation de violences subies par l’un des membres du couple suffirait à entraîner sa régularisation par l’autorité administrative. Or le fait de déposer plainte ne préjuge pas des suites qui seront réservées à cette démarche. Nous ouvririons un droit dont nous ne maîtriserions pas toutes les conséquences. Qu’adviendrait-il de ce droit au séjour si la plainte ne donnait pas lieu à enquête et à poursuites parce qu’elle était fantaisiste ?

La seconde raison tient au fait qu’une procédure existe déjà pour répondre à ce type de situation dans le cadre de l’ordonnance de protection. L’article 316-3 du CESEDA a institué une compétence liée du préfet lui permettant de délivrer une carte de séjour temporaire aux victimes de violences, dès lors qu’elles sont placées sous la protection du juge des affaires familiales. Dans ce cadre, lorsque celui-ci constate effectivement une violence, le JAF intervient en urgence et il en va de même pour le préfet. Les femmes bénéficiant de l’ordonnance de protection ne subissent donc pas une double peine ; c’est une bonne chose.

Je reconnais que des difficultés subsistent dans notre législation concernant trois situations particulières.

La première est celle des femmes dont la qualité de victime a été reconnue par le JAF, mais dont la protection tombe parce que l’ordonnance de protection est arrivée à échéance. Cela permet de faire le lien avec d’autres amendements que vous avez déposés – je reconnais là votre cohérence. En pratique, dans le droit existant, le préfet a la faculté de renouveler le titre de séjour, même quand l’ordonnance de protection est arrivée à échéance, mais il est vrai qu’il n’en a pas l’obligation. Je vous propose que nous clarifiions cette règle par voie de circulaire – car c’est l’instrument le plus adapté –, de façon à ce que le renouvellement soit systématiquement accordé, même si l’ordonnance de protection est arrivée à échéance.

La deuxième situation pour laquelle nous pouvons améliorer les choses est celle des femmes qui, par manque d’informations ou parce que le dispositif tarde à être connu des magistrats eux-mêmes, n’auraient pas eu recours à l’ordonnance de protection.

À cet égard, nous devrons préciser dans la circulaire que, lorsqu’une action pénale est engagée et que le procureur fait application des dispositions des articles 41-1 et 41-2 du code de procédure pénale – en prenant des mesures immédiates avant d’enclencher l’action civile –, l’autorité administrative doit alors appliquer l’article L. 313-11 du CESEDA et ne peut retirer une carte de séjour « vie privée et familiale ».

Enfin, il nous faut mieux couvrir les cas où la rupture du couple a lieu à l’initiative du mari violent. Ceux-ci font l’objet de l’amendement no 237 , auquel je suis favorable. Au bénéfice de ces explications, et parce que je pense que nous pouvons progresser sur ce sujet, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.

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