M. Le Drian et moi-même sommes heureux de répondre à l'invitation de vos deux commissions.
La situation en Centrafrique vous étant largement connue, je me bornerai à un point sur son état actuel, au moment où nous nous exprimons, en laissant à M. Le Drian le soin d'insister sur les questions spécifiquement militaires.
L'opération Sangaris, qui s'inscrit dans le cadre d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, est menée suite aux demandes de l'Union africaine et des autorités centrafricaines. Elle recouvre trois domaines principaux, liés les uns aux autres, mais que l'on peut distinguer pour la clarté du propos : la sécurité, l'aide humanitaire et la transition démocratique, à laquelle on peut ajouter le développement.
S'agissant de l'aspect sécuritaire, notre objectif est le désarmement impartial. Les armes sont nombreuses sur place : certaines, d'un calibre modeste, sont détenues par les ex-Séléka, et d'autres plus simples, telles que des machettes, sont en la possession des anti-balaka, entre autres. De façon schématique, on peut dire que les musulmans et les chrétiens sont respectivement plus nombreux chez les premiers et les seconds.
Notre tâche, avec les 3 500 soldats de l'Union africaine – qui seront bientôt 6 000 – est en premier lieu le désarmement impartial : le désarmement est indispensable pour rétablir le calme et la sécurité ; il doit être impartial, afin de ne pas encourir les reproches de l'un ou l'autre camp. Cette tâche difficile, dont nos troupes s'acquittent remarquablement, donne déjà des résultats appréciables, à Bangui comme dans le reste du pays.
Ce sont désormais 1 600 soldats français qui sont engagés, et nous n'avons pas l'intention de dépasser ce nombre. S'y ajouteront, à terme, 6 000 soldats africains, avec un passage, aussi vite que possible, de la Mission de consolidation de la paix en Centrafrique (MICOPAX) – remplacée le 15 décembre par la MISCA – à une opération de maintien de la paix (OMP). Cet objectif, justifié par différentes raisons, a été unanimement réaffirmé, la semaine dernière, lors d'une réunion, autour du Président de la République, des principaux dirigeants africains, du secrétaire général des Nations unies et de responsables européens.
Au niveau européen, le recours au groupement tactique, actuellement piloté par les Britanniques, est théoriquement possible même si une telle procédure n'a jamais été utilisée ; pour ce faire, l'accord du pays pilote ainsi que des pays membres, qui financent alors l'opération, est nécessaire. Nous n'avons pas cet accord actuellement. Le pays pilote change néanmoins tous les six mois : la Bulgarie et la Grèce prendront le relais de la Grande-Bretagne.
Cependant, l'Union européenne, du moins certains de ses pays membres ont déjà décidé de s'engager ou sont prêts à le faire, sous une forme ou une autre. L'Union prend déjà partiellement à sa charge, à hauteur de 50 millions d'euros, les coûts liés au déploiement de la MISCA, au titre de la Facilité de paix pour l'Afrique. Elle a aussi décidé de débloquer des crédits, en deux fois – 20 millions d'euros, puis 18,5 millions –, pour la coopération humanitaire. En outre, une dizaine de pays de l'Union, parmi lesquels la Grande-Bretagne, la Belgique et l'Allemagne, ont par ailleurs décidé d'apporter un soutien logistique.
Il est par ailleurs envisageable que l'Union européenne assure, au moins en partie, la formation des futures forces armées centrafricaines, comme elle l'a fait au Mali.
Si l'on veut aller plus loin, il faudra envisager que d'autres pays européens, au-delà de leur soutien logistique, engagent des troupes au sol. Nous le leur avons demandé. Les discussions se poursuivent.
Nous souhaitons enfin que l'Union prenne à sa charge une partie des coûts actuellement assumés par la France. Pour ce faire, l'opération doit être qualifiée « PSDC » - Politique de sécurité et de défense commune - ; aussi le communiqué publié hier à l'issue de la réunion des ministres européens des affaires étrangères suggère-t-il, à la demande de la France, qu'elle pourrait l'être. Pour l'heure, aucune décision n'est cependant intervenue en ce sens. La difficulté est qu'un tel engagement a bien entendu un coût, et qu'il suppose que l'Union reconnaisse que l'opération n'est pas seulement française, mais qu'elle est européenne. D'aucuns pourraient nous faire le mauvais procès de n'avoir pas demandé que l'opération soit qualifiée PSDC avant d'intervenir ; mais, si nous l'avions fait, compte tenu des délais opérationnels, ce sont plusieurs dizaines de milliers de morts qui seraient à déplorer, et non pas 600.
Deux idées seront sur la table du Conseil européen de défense de jeudi et vendredi. D'une part, certains crédits de la Facilité de paix pour l'Afrique pourraient permettre la prise en charge de l'équipement : bien que cette aide ne soit pas, a priori, dans leur périmètre, elle serait particulièrement utile.
D'autre part, comme je l'ai expliqué à mes homologues, et comme le Président de la République le fera à son tour, nous devons avoir une vision à plus long terme : certes, la France est intervenue car elle était seule à pouvoir le faire ; mais si l'on veut éviter la répétition de ce genre de crises, il faut une force interafricaine opérationnelle, dont l'action pourrait au besoin être relayée par des forces de l'ONU, de l'Europe, du Japon ou des pays du Golfe. Cette proposition émane de l'Union africaine elle-même, et elle a été reformulée il y a quelques jours à l'occasion du sommet de l'Élysée. Certaines lourdeurs s'y opposent, certes ; mais plusieurs pays s'y sont montrés favorables, pour peu que l'Union africaine manifeste une réelle volonté en ce domaine. Dès lors, un soutien de l'Europe serait à notre sens justifié.
Sur le plan humanitaire, la situation est déplorable et même effrayante. Hier, Mme Georgieva, commissaire européenne à la coopération internationale, à l'aide humanitaire et à la réaction aux crises, a fait un point sur le sujet. Sur les 4,5 millions d'habitants que compte la République centrafricaine, de 1,5 à 2 millions de personnes sont en situation de « pré-famine ». Et même si nous parvenons à rétablir la paix, la situation ne s'améliorera sans doute pas à court terme, car les agriculteurs sont conduits à vendre leur bétail ou à utiliser leurs graines pour se nourrir, de sorte que des pénuries sont à prévoir l'année prochaine. Les organisations non gouvernementales (ONG), l'ONU et l'Union européenne ont réagi, mais cette crise nécessitera des fonds. Une conférence des donateurs devrait se tenir en janvier prochain.
Quant à la transition démocratique, la situation est également complexe. M. Djotodia, Président de transition, dispose encore de quelques moyens d'action sur l'ex-Séléka, dont il était le chef et est beaucoup contesté. Le pays, de fait, n'a plus d'administration, les salaires n'étant au demeurant plus versés, sinon par des pays voisins.
Les Nations unies, représentées sur place par un homme de qualité, le général Gaye, du Sénégal, ont demandé des renforts pour mettre en place des structures administratives pérennes. Cette opération, bien entendu difficile, est en cours.
Aux termes de la résolution 2127 du Conseil de sécurité de l'ONU, les élections doivent avoir lieu en février 2015 ; mais l'ONU, dont une mission se rendra prochainement sur place, va faire en sorte d'accélérer le calendrier. Cela paraît effectivement nécessaire, même si la tâche ne s'annonce pas simple, car beaucoup de registres d'état-civil ont été détruits.
Hier a été installée l'autorité électorale, qui devait l'être avant fin décembre : reste à vérifier que sa composition est conforme à ce que nous pouvons souhaiter. Il faudra bien, à un moment ou à un autre, qu'une autorité légale de ce genre voie le jour. La France, fidèle à la neutralité qu'elle avait observée au Mali, a évité toute intervention en ce domaine.
Le premier objectif, je le répète, est le désarmement impartial, à Bangui, Bossangoa et jusqu'au Nord-Est ; le deuxième est une action humanitaire immédiate et massive ; le troisième, la transition démocratique.