Je veux commencer par rendre hommage aux caporaux Vokaer et Le Quinio. La mission confiée à nos forces en République centrafricaine est extrêmement difficile : très différente de celle accomplie au Mali, elle exige de la clairvoyance et de la minutie, car toute maladresse peut avoir des conséquences dramatiques, y compris pour nos hommes eux-mêmes. Le général Soriano et ses hommes font à cet égard un travail remarquable.
La FOMAC, la Force multinationale de l'Afrique centrale, a été mise en place en 2003 à la suite du coup d'État du Président Bozizé. Différents partenaires africains s'y étaient associés, dans le but d'assurer la sécurité du pays et le bon fonctionnement des institutions, mais cela n'a malheureusement pas empêché le coup d'État du Président Djotodia. Nos troupes, avec 250 hommes, étaient en appui de cette force africaine à travers l'opération BOALI.
Jeudi, la FOMAC, émanation militaire de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC), sera remplacée par la MISCA, placée sous l'autorité de l'Union africaine. Le général gabonais Akaga, commandant de la FOMAC, va donc céder la place au général camerounais Tumenta, officier de grande qualité qui commandera les forces de la MISCA. Celles-ci verront rapidement leurs effectifs portés à 4 000 hommes – contre 2 500 il y a seulement quelques jours –, et à 6 000 au cours des premières semaines de 2014, conformément à la décision annoncée par les chefs d'État africains lors du sommet de l'Élysée la semaine dernière.
Les forces engagées à ce jour viennent du Tchad, du Gabon, du Congo, de la Guinée équatoriale, du Cameroun et du Burundi. Chacune des composantes est amenée à augmenter, et d'autres participations sont attendues dans les jours qui viennent. Nous nous employons à assurer la cohérence entre la MISCA et nos troupes engagées dans le cadre de l'opération Sangaris. Les deux états-majors sont d'ailleurs établis dans le même bâtiment et, en accord avec le futur commandement de la MISCA, des officiers français ont intégré l'état-major de cette dernière.
Certains ont parfois tendance à déplorer les faiblesses des forces africaines ; mais, pour les avoir vues à l'oeuvre – avec les Congolais à Bossangoa, notamment –, je puis témoigner qu'elles sont très structurées, malgré les problèmes de financement qu'évoquait Laurent Fabius.
Les forces tchadiennes ont une histoire particulière dans ce pays: outre les éléments « loyalistes » membres de la MISCA, diligentés par le Président Déby, des hommes, en rupture de ban avec celui-ci, ont rejoint la Séléka, sans oublier les Tchadiens établis depuis longtemps en Centrafrique. Tous ces hommes se connaissent bien, parfois même depuis l'enfance. Cela explique certaines incompréhensions entre une partie de la population centrafricaine et les forces tchadiennes. J'ai échangé à ce sujet avec le Président Déby, samedi dernier, qui est pleinement conscient de ces difficultés. Depuis, le commandant en chef des forces tchadiennes en République centrafricaine a été changé.
Aussitôt après le vote de la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU et la décision du Président de la République, certaines de nos troupes, positionnées à Libreville, se sont projetées vers Bangui ; d'autres hommes, acheminés par anticipation sur le Dixmude, sont entrés dans le pays via le Cameroun, après une escale à Douala. D'autres troupes enfin sont arrivées à partir du Tchad, par le Nord. Ce sont au total 1 600 soldats français qui sont mobilisés : nous n'avons pas, à ce stade, l'intention de faire évoluer ce format. Un accompagnement aérien est assuré, essentiellement par hélicoptère, mais des vols de dissuasion ont été effectués, dès le début de l'opération, par des Rafale.
Aujourd'hui, 1 200 soldats, installés sur l'aéroport de M'Poko, sont présents à Bangui. L'envoi de nos forces y a fait baisser la tension de façon significative, de même qu'à Bossangoa, qui fut le théâtre de beaucoup d'exactions à caractère confessionnel. Dans cette dernière ville, une communauté de musulmans s'est réfugiée au sein de l'école coranique ; les catholiques, eux, ont trouvé refuge dans l'église. Des forces congolaises et françaises sont interposées entre les deux, et l'agressivité est retombée – j'ai d'ailleurs pu constater les premiers effets du désarmement. Les armes en présence vont de la machette ou des flèches empoisonnées au lance-roquettes.
J'ai également eu l'occasion de rencontrer la préfète de Bossangoa : elle était absolument seule, sans bureau ni maison, car les deux ont brûlé. On a beaucoup parlé des massacres du 5 décembre, mais de nombreuses exactions les avaient précédés : les populations réfugiées à Bossangoa viennent de la campagne, et ne veulent pas y retourner tant que la sécurité n'est pas assurée, par crainte de représailles.
À Bangui, la sécurité a beaucoup progressé aussi, du fait du désarmement impartial. Celui-ci consiste non seulement à récupérer des armes, mais aussi à contenir les milices armées dans certains lieux, afin qu'elles ne fassent pas usage de leurs armes en ville. Les ex-Séléka sont relativement bien contrôlés, bien que certains d'entre eux se soient dispersés dans la population, en cachant leurs armes : leur repérage est alors difficile.
Les anti-balaka sont beaucoup moins visibles, que ce soit à Bangui ou dans les autres villes, mais les risques demeurent. Le désarmement impartial fait que nos forces peuvent être prises à partie par les uns comme par les autres. Cet après-midi ont été menées deux opérations, dans deux quartiers qui constituent des bases secrètes pour les ex-Séléka et les anti-balaka. Des deux côtés, on assiste à une radicalisation attisée par les extrémismes. Une plateforme religieuse a été créée à l'initiative de l'archevêque de Bangui, de l'imam président de la communauté islamique et du président de la Conférence évangélique : tous trois lancent des appels au calme, et agissent dans les quartiers pour éviter la radicalisation et les risques d'affrontement confessionnel, qui sont d'ailleurs nouveaux dans ce pays.
Un comité réunissant nos forces, celles de la FOMAC et nos interlocuteurs auprès de M. Djotodia a été mis en place : il a permis l'engagement des mesures de confiance, l'organisation du cantonnement et l'identification des personnels ayant le droit de circuler armés dans la ville – comme la garde personnelle du Président Djotodia. Grâce à la baisse des tensions, des commerces et des banques ont pu rouvrir ; mais la situation reste bien entendu précaire.
Certaines de nos troupes se dirigent à présent vers Bozoum, qui a également connu de fortes tensions. L'arrivée progressive des forces africaines permettra un redéploiement de l'aéroport de M'Poko vers l'ensemble du territoire centrafricain.
Les gens se craignent les uns les autres, et viennent donc se réfugier dans des lieux où ils estiment être protégés. Autour de l'aéroport de M'Poko, 30 000 personnes vivent ainsi dans des conditions dramatiques. L'aide humanitaire et médicale commence à arriver, mais il faut l'accélérer. Reste que la situation ne pourra s'améliorer que si la sécurité devient visible pour tous. À cet égard, l'opération se déroule convenablement, malgré sa difficulté.