Intervention de Axelle Lemaire

Séance en hémicycle du 28 janvier 2014 à 15h00
Égalité entre les femmes et les hommes — Explications de vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAxelle Lemaire :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tant de chemin a été parcouru en si peu de temps et un temps qui nous paraît déjà si lointain : celui de l’Ancien Régime où seuls les fils avaient le droit à l’héritage, celui du code Napoléon qui consacra l’incapacité juridique de la femme mariée, celui qui interdisait les cours secondaires aux jeunes filles, qui refusait à la femme mariée le droit de toucher son propre salaire, d’ouvrir un compte en banque, de partager l’exercice de l’autorité parentale sur les enfants, ou qui faisait encourir la prison en cas d’avortement.

Et pourtant, dans les faits, les inégalités sont têtues, elles persistent en dépit des efforts répétés du législateur. Eh bien nous avons décidé d’être plus têtus qu’elles, mais avec une méthode nouvelle : les traquer dans toutes leurs manifestations quotidiennes, les chercher dans les interstices où elles s’engouffrent pour nuire à la vie d’une femme qui demande à être librement femme, librement mère, librement salariée, librement étrangère, librement égale.

Les femmes demandent à être égales au quotidien dans la vie personnelle, au travail, au sein de toutes les formes d’organisation structurelle de la société, dans la politique, la culture, l’entreprise, le sport, et même dans la transcendance littéraire, chez les Immortels du quai de Conti.

On nous pose la question : fallait-il parler de sociétal alors que tous les efforts doivent porter sur la lutte contre le chômage et la relance de l’activité économique ? Cette loi ne serait-elle pas un subterfuge ?

Est-ce un subterfuge de traiter du congé parental, des pensions alimentaires impayées, des violences conjugales, des négociations syndicales pour moins d’écart salarial ? Non.

Le penser, c’est méconnaître la porosité de la frontière entre, d’une part, les inégalités contre lesquelles nous avons le devoir de lutter au nom de la justice sociale, et, d’autre part, la relance de l’emploi et de l’activité économique.

Les femmes ont été les premières victimes de la crise économique. Elles vont remplir les rangs des travailleurs pauvres et précaires ; elles accumulent les discriminations ; elles sont deux fois plus souvent au SMIC que les hommes ; elles sont plus souvent au chômage aussi.

Toutes les études, de l’OCDE à la Commission européenne, prouvent que s’attaquer à ces inégalités, c’est se munir d’une arme supplémentaire pour stimuler la croissance.

Et puisque ce texte s’adresse aux femmes, il leur parle aussi dans leur intimité la plus profonde et peut-être la plus noble, celle de la libre maîtrise de leur corps. Il parle de l’avortement de manière sobre et épurée, sans plus d’artifices juridiques pour réaffirmer le droit inconditionnel d’y recourir dans les délais légaux.

Des mots ont résonné très fortement dans l’hémicycle la semaine dernière. Oublions les outrances, mais nous avons été accusés d’être des politicards. « Politicards, politicards ! » a-t-on entendu.

Ces mots continuent de résonner en moi. Alors que huit Français sur dix nous soutiennent sur ce sujet, il serait « politicard » de refuser les tabous, de ne pas reculer devant le risque de la haine.

Face au désarroi des femmes espagnoles, face à celles qui s’inquiètent en Tunisie, il faudrait fermer les yeux et se rassurer en invoquant le caractère immuable d’une loi votée il y a près de quarante ans.

Mais ce qui fait la force de la loi Veil, c’est justement sa capacité à s’adapter pour répondre à la volonté nouvelle du peuple. Elle peut refléter la réalité d’aujourd’hui et conserver son équilibre. Elle est aussi réversible car rien ne nous préserve des régressions et de l’orage. Quel dommage de voir des manipulations politiciennes là où s’exprime la sincérité de l’engagement au service des femmes !

Votre loi, madame la ministre, s’inscrit dans la conquête progressive de la liberté. Vous avez eu cette expression qui nous touche : « Naître fille demain en France ne doit plus équivaloir à de moindres opportunités dans la vie, pas plus qu’à une liberté entravée de se choisir un destin et de le réaliser selon son mérite, ses capacités, ses envies et son travail. »

Vous répondez ainsi à Simone de Beauvoir qui nous rappelait que « Se vouloir libre, c’est aussi vouloir les autres libres. »

Les députés du groupe SRC qui voteront pour cette loi invitent leurs collègues à le faire aussi, sans aucune autre prétention que celle de donner force et raison aux convictions. Pour que la liberté de chacune permette l’égalité de tous.

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